La
Terreur Jacobine _ les expulsions ; La Terreur Jacobine _ les
prisons ; La Terreur_ les exécutions judiciaires
La
Terreur Jacobine _ les expulsions
Avant
tout, pour le Jacobin, il s’agit d’anéantir ses adversaires constatés ou
présumés, probables ou possibles. Quatre opérations violentes concourrent,
ensemble ou tour à tour, à la destruction physique ou à la destruction sociale
des Français qui ne sont pas ou qui ne sont plus de la secte et du parti.
La première opération
consiste à les expulser du territoire. – Dès 1789,
par l’émigration forcée, on les a jetés dehors ; livrés, sans défense et sans
la permission de se défendre, aux jacqueries de la campagne et aux émeutes de
la ville , les trois quarts n’ont quitté
la France que pour échapper aux brutalités populaires, contre lesquelles la loi
et l’administration ne les protégeaient plus. À mesure que la loi et l’administration,
en devenant plus jacobines, leur sont devenues plus hostiles, ils sont partis
par plus grosses troupes. Après le 10 août et le 2 septembre, ils ont dû fuir
en masse ; car désormais, si quelqu’un d’entre eux s’obstinait à rester,
c’était avec la chance presque certaine d’aller en prison, pour y vivre dans
l’attente du massacre ou de la guillotine. Vers le même temps, aux fugitifs la
loi a joint les bannis, tous les ecclésiastiques insermentés, une classe
entière, près de 40 000 hommes . On calcule qu’au sortir de la Terreur la
liste totale des fugitifs et des bannis contenait plus de 150 000 noms . Il y en aurait eu davantage, si la
frontière n’avait pas été gardée par des patrouilles, si, pour la franchir, il
n’avait pas fallu risquer sa vie ; et cependant, pour la franchir, beaucoup
risquent leur vie, déguisés, errants, la nuit, en plein hiver, à travers les
coups de fusil, décidés à se sauver coûte que coûte, pour aller, en Suisse, en
Italie, en Allemagne et jusqu’en Hongrie, chercher la sécurité et le droit de
prier Dieu à leur façon . – Si quelqu’un des exilés ou déportés se
hasarde à rentrer, on le traque comme une bête fauve : sitôt pris, sitôt
guillotiné…
La
Terreur Jacobine _ les prisons
La
seconde opération consiste à priver les suspects de leur liberté, et dans cette
privation il y a plusieurs degrés, car il y a plusieurs moyens de mettre la
main sur les personnes. – Tantôt le suspect est « ajourné », c’est-à-dire que
l’ordre d’arrestation reste suspendu sur sa tête, qu’il vit sous une menace
perpétuelle et ordinairement suivie d’effet, que chaque matin il peut
s’attendre à coucher le soir dans une maison d’arrêt. – Tantôt il est consigné
dans l’enceinte de sa commune. – Tantôt il est reclus chez lui, avec ou sans
gardes, et, dans le premier cas, toujours avec l’obligation de payer ses
gardes. – Tantôt enfin, et c’est le cas le plus fréquent, il est enfermé dans
une maison d’arrêt ou de détention. – Dans
le seul département du Doubs on compte
1 200 hommes et femmes ajournés, 300 consignés dans leur commune, 1 500 reclus
chez eux et 2 200 en prison. Dans Paris, 36 vastes prisons et 96 « violons
» ou geôles provisoires, que remplissent incessamment les comités
révolutionnaires, ne suffisent pas au service
, et l’on calcule qu’en France, sans compter plus de 40 000 geôles
provisoires, 1 200 prisons, pleines et bondées, contiennent chacune plus de 200
reclus . À Paris , malgré les vides
quotidiens opérés par la guillotine, le chiffre des détenus monte, le 9 floréal
an II, à 7 840 ; et, le 25 messidor suivant, malgré les grandes fournées de
cinquante et soixante personnes conduites en un seul jour et tous les jours à
l’échafaud, le chiffre est encore de 7 502. Il y a 975 détenus dans les prisons
de Brest ; il y en a plus de 1 000 dans
les prisons d’Arras, plus de 1 500 dans celles de Toulouse, plus de 3 000 dans
celles de Strasbourg, plus de 13 000 dans celles de Nantes . Dans les deux départements de Vaucluse
et des Bouches-du-Rhône, le représentant Maignet, qui est sur place, annonce de
12 000 à 15 000 arresta¬tions . «
Quelque temps avant Thermidor, dit le représentant Beaulieu, le nombre des détenus s’élevait à près de
400 000 ; c’est ce qui résulte des listes et des registres qui étaient
alors au Comité de Sûreté générale . » –
Parmi ces malheureux, il y a des enfants, et non pas seulement dans les prisons
de Nantes, où les battues révolutionnaires ont ramassé toute la population des
campagnes ; dans les prisons d’Arras ,
entre vingt cas semblables, je trouve un marchand de charbon et sa femme, avec
leurs sept fils et filles âgés de dix-sept à six ans ; une veuve, avec ses
quatre enfants âgés de dix-sept à douze ans ; une autre veuve noble, avec ses
neuf enfants âgés de dix-sept à trois ans ; six enfants de la même famille,
sans père ni mère, âgés de vingt-trois à neuf ans. – Presque partout, ces
prisonniers d’État sont traités comme on ne traitait pas les voleurs et les
assassins sous l’ancien régime…– « On les tourmente dans toutes leurs
affections et, pour ainsi dire, dans tous les points de leur sensibilité. On
leur enlève successivement leurs biens, leurs assignats, leurs meubles, leurs
aliments, la lumière du jour et celle des lampes, les secours réclamés par
leurs besoins et leurs infirmités, la connaissance des événements publics, les
communications, soit immédiates, soit même par écrit, avec leurs pères, leurs
fils, leurs épouses . » On les oblige à
payer leur logement, leurs gardiens, leur nourriture ; on leur vole à la porte
les vivres qu’ils font venir du dehors ; on les fait manger à la gamelle ; on
ne leur fournit que des aliments insuffisants et dégoûtants, « morue pourrie,
harengs infects, viande en putréfaction, légumes absolument gâtés, le tout
accompagné d’une demi-chopine d’eau de la Seine, teinte en rouge au moyen de
quelques drogues ». On les affame , on
les rudoie et on les vexe exprès, comme si l’on avait résolu de lasser leur
patience et de les pousser à une révolte, dont on a besoin pour les expédier
tous en masse, ou, du moins, pour justifier l’accélération croissante de la
guillotine. On les accumule par dix, vingt, trente, dans une même pièce, à la
Force, « huit dans une chambre de quatorze pieds en carré », où tous les lits se
touchent, où plusieurs lits chevauchent les uns sur les autres, où, sur les
huit détenus, deux sont obligés de coucher à terre, où la vermine foisonne, où
la fermeture des lucarnes, la permanence du baquet et l’encombrement des corps
empoisonnent l’air. – En plusieurs endroits, la proportion des malades et des
morts est plus grande que dans la cale d’un négrier. « De quatre-vingt-dix
individus avec lesquels j’étais reclus, il y a deux mois, écrit un détenu de Strasbourg, soixante-six ont
été conduits à l’hôpital dans l’espace de huit jours. » En deux mois, dans les prisons de Nantes, sur 13 000 prisonniers,
il en meurt 3 000 du typhus et de la pourriture .
La Terreur_ les exécutions
judiciaires
Troisième
expédient, le meurtre après jugement ou sans jugement. – Cent soixante-dix-huit
tribunaux, dont quarante sont ambulants
, prononcent, dans toutes les parties du territoire, des condamnations à
mort, qui sont exécutées sur place et à l’instant. Du 16 avril 1793 au 9
Thermidor an II, celui de Paris fait guillotiner 2 625 personnes , et les juges
de province travaillent aussi bien que les juges de Paris. Dans la seule petite
ville d’Orange, ils font guillotiner 331 personnes. Dans la seule ville
d’Arras, ils font guillotiner 299 hommes et 93 femmes. Dans la seule ville de
Nantes, les tribunaux révolutionnaires et les commissions militaires font
guillotiner ou fusiller en moyenne 100 personnes par jour, en tout 1971. Dans
la seule ville de Lyon, la commission révolutionnaire avoue 1 684 exécutions,
et un correspondant de Robespierre, Cadillot, lui en annonce 6 000 . Le relevé de ces meurtres n’est pas
complet, mais on en a compté 17 000 , « la plupart accomplis sans formalités, ni
preuves », ni délit, entre autres le
meurtre « de plus de 1 200 femmes, dont
plusieurs octogénaires et infirmes »,
notamment le meurtre de 60 femmes condamnées à mort, disent les arrêts, pour
avoir « fréquenté » les offices d’un prêtre insermenté, ou pour avoir « négligé
» les offices d’un prêtre assermenté. « Des accusés, mis en coupe réglée,
furent condamnés à vue. Des centaines de jugements prirent environ une minute
par tête. On jugea des enfants de sept ans, de cinq ans, de quatre ans. On
condamna le père pour le fils, et le fils pour le père. On condamna à mort un
chien. Un perroquet fut produit comme témoin. De nombreux accusés, dont la
condamnation ne put être écrite, furent exécutés. » A Angers, la sentence de plus de 400 hommes et de 360 femmes,
exécutés pour désencombrer les prisons, fut mentionnée sur les registres par la
seule lettre F ou G (fusillé ou guillotiné)
. — A Paris comme en province, le plus léger prétexte suffisait pour constituer un crime et pour
justifier un meurtre. La fille du célèbre peintre Joseph Vernet fut guillotinée, comme « receleuse », pour
avoir gardé chez elle cinquante livres de bougie, distribuées aux employés de
la Muette par les liquidateurs de la liste civile. Le jeune de Maillé, âgé de
seize ans , fut guillotiné comme «
conspirateur », pour avoir « jeté à la tête de son geôlier un hareng pourri
qu’on lui servit ». Mme Puy de Verine
fut guillotinée, comme « coupable » de n’avoir pas ôté à son vieux mari
aveugle, sourd et en enfance une bourse de jetons à jouer marqués à l’effigie
royale. — A défaut de prétexte , on
supposait une conspiration ; on donnait à des émissaires payés des listes en
blanc : ils se chargeaient d’aller dans les diverses prisons et d’y choisir le
nombre requis de têtes ; ils inscrivaient les noms à leur fantaisie, et cela
faisait une fournée pour la guillotine. — « Quant à moi, disait le juré Vilate,
je ne suis jamais embarrassé, je suis toujours convaincu. En révolution, tous
ceux qui paraissent devant le tribunal doivent être condamnés. » — A Marseille, la commission Brutus, «
siégeant sans accusateur public ni jurés, faisait monter de la prison ceux
qu’elle voulait envoyer à la mort. Après leur avoir demandé leur nom, leur
profession, et quelle devait être leur fortune, on les faisait descendre pour
être placés sur une charrette qui se trouvait devant la porte du palais de
justice ; les juges paraissaient ensuite sur le balcon, et prononçaient la
sentence de mort ». — Même procédé à Cambrai, Arras, Nantes, le Mans, Bordeaux,
Nîmes, Lyon, Strasbourg et ailleurs. – Évidemment, le simulacre du jugement
n’est qu’une parade ; on l’emploie comme un moyen décent, parmi d’autres moins
décents, pour exterminer les gens qui n’ont pas les opinions requises ou qui
appartiennent à des classes proscrites ; Samson à Paris et ses collègues en
province, les pelotons d’exécution à Lyon et à Nantes, ne sont que les
collaborateurs des égorgeurs proprement dits, et les massacres légaux ont été
imaginés pour compléter les massacres purs et simples…
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