Important et magistral : ou du Jacobinisme comme religion pour comprendre les racines du totalitarisme. Le
Contrat social de Rousseau : nous forcerons l’homme à être libre. Régénérer l’Homme, Créer l‘Homme Nouveau. Nous
travaillons pour les générations futures. « Nous ferons un cimetière de la
France,, plutôt que de ne la pas régénérer à notre manière ». Pour cela,
nécessité d’abolir les religions. Le plan jacobin d’éradication systématique de
toutes les religions, et d’abord de la religion catholique. Le jacobinisme
comme guerre religieuse.
La-dessus, encore cf. Auguste
Comte sur le lien entre Rousseau rétrogradation théologique, régénération de l’homme
et totalitarisme : « La rétrogradation théologique du parti révolutionnaire à ses divers
degrés et spécialement du parti républicain est due à l‘école de Rousseau…les partisans les plus conséquents de la politique métaphysique,
tels que Rousseau qui l’a coordonnée ont été conduits jusqu'à regarder l'état
social comme une dégénération d'un état de nature composé par leur imagination,
ce qui n'est que l'analogue métaphysique de l'idée théologique relative à la
dégradation de l'espèce humaine par le péché originel ». Voire également
Michelet définissant Robespierre comme un prêtre, et Proudhon, encore plus
proche, dénonçant Rousseau et Robespierre entrainant la révolution sur un
terrain religieux.
La régénération de l’Homme : recréer le peuple qu’on veut
rendre à la liberté
Rien d’arbitraire dans cette opération ; car le modèle idéal est tracé
d’avance. Si l’État est omnipotent, c’est pour « régénérer les hommes », et la
théorie qui lui confère ses droits lui assigne en même temps son objet…
Ils (Les hommes civilisés) n’ont
point acquis le sentiment de la communauté ; ils ne savent pas, comme leurs
frères des savanes, s’assister entre eux et subordonner l’intérêt de l’individu
à l’intérêt du troupeau. Chacun d’eux tire à soi, nul ne se soucie des autres,
tous sont égoïstes, les instincts sociaux ont avorté. — Tel est l’homme aujourd’hui, une créature défigurée qu’il faut
restaurer, une créature inachevée qu’il faut parfaire. Ainsi notre tâche
est double : nous avons à démolir et nous avons à construire ; nous dégagerons
d’abord l’homme naturel, pour édifier ensuite l’homme social.
L’entreprise est immense, et nous en sentons l’immensité. « Il faut, dit Billaud-Varennes , recréer
en quelque sorte le peuple qu’on veut rendre à la liberté, puisqu’il faut
détruire d’anciens préjugés, changer d’antiques habitudes, perfectionner des
affections dépravées, restreindre des besoins superflus, extirper des vices
invétérés. » – Mais l’entreprise est
sublime, car il s’agit de « remplir les vœux de la nature , d’accomplir les
destins de l’humanité, de tenir les promesses de la philosophie ». — « Nous
voulons, dit Robespierre ,
substituer la morale à l’égoïsme, la probité à l’honneur, les principes aux
usages, les devoirs aux bienséances, l’empire de la raison à la tyrannie de la
mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l’insolence, la
grandeur d’âme à la vanité, l’amour de la gloire à l’amour de l’argent, les
bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l’intrigue, le génie au bel
esprit, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l’homme à
la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple
aimable, frivole et misérable, c’est-à-dire toutes les vertus et tous les
miracles de la république à tous les vices et à tous les ridicules de la
monarchie. » Nous ferons cela, tout
cela, coûte que coûte. Peu importe la génération vivante : nous travaillons
pour les générations futures….
« Le jour où je serai convaincu, écrit Saint-Just, qu’il est impossible de
donner au peuple français des mœurs douces, énergiques, sensibles, inexorables
pour la tyrannie et l’injustice, je me poignarderai. » – « Ce que j’ai fait
dans le Midi, dit Baudot, je le ferai dans le Nord : je les rendrai patriotes :
ou ils mourront, ou je mourrai. » – « Nous
ferons un cimetière de la France, dit Carrier, plutôt que de ne la pas
régénérer à notre manière. » – En vain des esprits aveugles ou des cœurs
dépravés voudraient protester ; c’est parce qu’ils sont aveugles ou dépravés
qu’ils protestent. En vain l’individu
alléguerait ses droits individuels ; il n’en a plus : par le Contrat social
qui est obligatoire et seul valable, il a fait abandon de tout son être ;
n’ayant rien réservé, « il n’a rien à réclamer ».
L’homme nouveau, que la nature a fait, que l’histoire a défait
et que la Révolution doit refaire .
Pareillement, il
faudra secouer l’homme pour le rendre à son attitude normale. Mais, en ceci,
nous n’avons point de scrupules ; car
nous ne le courbons pas, nous le redressons ; selon le mot de Rousseau, « nous le forçons à être libre » ; nous lui
conférons le plus grand des bienfaits que puisse recevoir une créature humaine
; nous le ramenons à la nature, et nous l’amenons à la justice. C’est pourquoi, maintenant qu’il est
averti, s’il s’obstine à résister, il devient criminel et digne de tous les châtiments ; car il se déclare rebelle et parjure,
ennemi de l’humanité et traître au pacte social…
Commençons par nous figurer l’homme
naturel
; certainement, aujourd’hui on a peine à le reconnaître : il ne ressemble guère
à l’être artificiel que nous rencontrons à sa place, à la créature déformée par
un régime immémorial de contrainte et de fraude, serrée dans son harnais
héréditaire de superstitions et de sujétions, aveuglée par sa religion et matée
à force de prestiges, exploitée par son gouvernement et dressée à force de
coups, toujours à l’attache, toujours employée à contresens et contre nature, quel
que soit son compartiment, haut ou bas, quelle que soit sa mangeoire, pleine ou
vide, tantôt appliquée à des besognes serviles, comme le cheval abruti qui, les
yeux bandés, tourne sa meule, tantôt occupée à des parades futiles, comme le
chien savant qui, paré d’oripeaux, déploie ses grâces en public . Mais supprimez par la pensée les oripeaux,
les bandeaux, les entraves, les compartiments de l’écurie sociale, et vous verrez apparaître un homme nouveau,
qui est l’homme primitif, intact et sain d’esprit, d’âme et de corps. En cet
état, il est exempt de préjugés, il n’a pas été circonvenu de mensonges, il
n’est ni juif, ni protestant, ni catholique ; s’il essaye de concevoir
l’ensemble de l’univers et le principe des choses, il ne se laissera pas duper
par une révélation prétendue, il n’écoutera que sa raison ; il se peut que
parfois il devienne athée, mais presque toujours il se trouvera déiste. – En
cet état, il n’est engagé dans aucune hiérarchie, il n’est point noble ni roturier, ouvrier ni patron, propriétaire ni
prolétaire, inférieur ni supérieur. Indépendants les uns les autres, tous sont
égaux, et, s’ils conviennent de s’associer entre eux, leur bons sens
stipulera comme premier article le maintien de l’égalité primordiale. – Voilà l’homme que la nature a fait, que
l’histoire a défait et que la Révolution doit refaire . Sur les deux enveloppes de bandelettes qui
le tiennent entortillé, sur la religion positive qui comprime et fausse son
intelligence, sur l’inégalité sociale qui fausse et mutile sa volonté, on ne
peut frapper trop fort ; car, à chaque
coup que l’on porte, on brise une
ligature, et, à chaque ligature que l’on brise, on restitue un mouvement aux
membres paralysés.
L’opération libératrice : le plan
jacobin pour l’éradication des religions- une répression religieuse
systématique
Suivons le progrès de l’opération
libératrice. – Aux prises avec l’institut ecclésiastique,
l’Assemblée Constituante, toujours timide, n’a su prendre que des demi-mesures
; elle a entamé l’écorce, elle n’a osé porter la hache jusque dans l’épaisseur
du tronc. Confiscation des biens du clergé, dissolution des ordres religieux, répression
de l’autorité du pape, à cela se réduit son œuvre ; elle a voulu établir une Église nouvelle et transformer les prêtres en
fonctionnaires assermentés de l’État ; rien de plus. Comme si le catholicisme,
même administratif, cessait d’être le catholicisme ! comme si l’arbre
malfaisant, une fois marqué au sceau public, devait perdre sa malfaisance ! On n’a pas détruit la vieille officine de
mensonges, on en a patenté une autre à côté d’elle, en sorte qu’au lieu
d’une, on en a deux. Avec ou sans l’étiquette officielle, elle fonctionne dans
toutes les communes de France, et, comme par le passé, distribue impunément sa
drogue au public. Voilà justement ce que nous ne pouvons tolérer. –
A la vérité, nous
avons à garder les apparences, et, en
paroles, nous décréterons de nouveau la liberté des cultes . Mais, en fait et en pratique, nous
détruirons l’officine et nous empêcherons le débit de la drogue ; il n’y aura plus de culte catholique en
France, pas un baptême, pas une
confession, pas un mariage, pas une extrême-onction, pas une messe ; nul ne
fera ou n’écoutera un sermon, personne n’administrera ou ne recevra un
sacrement, sauf en cachette, et avec l’échafaud ou la prison pour perspective.
– A cet effet,
nous procéderons par ordre. Pour
l’Église qui se dit orthodoxe, point d’embarras : ses membres, ayant refusé le
serment, sont hors la loi : on s’exclut d’une société quand on en répudie
le pacte : ils ont perdu leur qualité de citoyens, ils sont devenus de simples
étrangers, surveillés par la police ; et, comme ils propagent autour d’eux la
désaffection et la désobéissance, ils ne sont pas même des étrangers, mais des
séditieux, des ennemis déguisés, les auteurs d’une Vendée diffuse et occulte ; nous n’avons pas besoin de les poursuivre
comme charlatans, il suffit de les frapper comme rebelles. À ce titre, nous
avons déjà banni de France les ecclésiastiques insermentés, environ 40 000 prêtres, et nous
déportons tous ceux qui n’ont pas franchi la frontière dans le délai fixé ;
nous ne souffrons sur le sol français que les sexagénaires et les infirmes, et
encore à l’état de détenus et de reclus ; peine de mort contre eux, s’ils ne
viennent pas s’entasser dans la prison de leur chef-lieu ; peine de mort contre les bannis qui rentrent ; peine de mort contre les
receleurs de prêtres .
Par suite, faute
de clergé orthodoxe, il n’y aura plus de culte orthodoxe ; la plus dangereuse des deux manufactures de superstition
est fermée. Afin de mieux arrêter le débit de la vénéneuse denrée, nous
punissons ceux qui la demandent comme ceux qui la fournissent, et nous
poursuivons non seulement les pasteurs, mais encore les fanatiques du troupeau
; s’ils ne sont pas les auteurs de la rébellion ecclésiastique, ils en sont les
fauteurs et les complices. Or, grâce au schisme, nous les connaissons d’avance,
et, dans chaque commune, leur liste est faite. Nous appelons fanatiques tous
ceux qui repoussent le ministère du prêtre assermenté, les bourgeois qui
l’appellent intrus, les religieuses qui ne se confessent pas à lui, les paysans
qui ne vont pas à sa messe, les vieilles femmes qui ne baisent pas sa patène,
les parents qui ne veulent pas de lui pour baptiser leur nouveau-né. Tous ces
gens-là et ceux qui les fréquentent, proches, alliés, amis, hôtes, visiteurs,
quels qu’ils soient, hommes ou femmes, sont séditieux dans l’âme, et partant
suspects. Nous leur ôtons leurs droits
électoraux, nous les privons de leurs pensions, nous les chargeons de taxes
spéciales, nous les internons chez eux, nous les emprisonnons par milliers,
nous les guillotinons par centaines ; peu à peu le demeurant se découragera
et renoncera à pratiquer un culte impraticable
.
— Restent les tièdes, la foule moutonnière
qui tient à ses rites ; elle les prendra où ils seront, et,
comme ils sont les mêmes dans l’Église autorisée que dans l’Église réfractaire,
au lieu d’aller chez le prêtre insoumis,
elle ira chez le prêtre soumis. Mais
elle ira sans zèle, sans confiance, souvent même avec défiance, en se
demandant si ces rites, administrés par un excommunié, ne sont pas maintenant
de mauvais aloi. Une telle Église n’est point solide, et nous n’aurons besoin
que d’une poussée pour l’abattre. Nous
discréditerons de tout notre effort les prêtres constitutionnels ; nous
leur interdirons le costume ecclésiastique ; nous les obligerons par décret à
bénir le mariage de leurs confrères apostats ; nous emploierons la terreur et
la prison pour les contraindre à se marier eux-mêmes ; nous ne leur donnerons
point de répit qu’ils ne soient rentrés
dans la vie civile, quelques-uns en se déclarant imposteurs, plusieurs en
remettant leurs lettres de prêtrise, le plus grand nombre en se démettant de
leurs places . Privé de conducteurs
par ces désertions volontaires ou forcées, le troupeau catholique se laissera
aisément mener hors de la bergerie, et, pour lui ôter la tentation d’y rentrer,
nous démolirons le vieil enclos. Dans les communes où nous sommes maîtres, nous
nous ferons demander, par les Jacobins du lieu, l’abolition du culte, et nous
l’abolirons d’autorité dans les autres communes par nos représentants en
mission. Nous fermerons les églises, nous abattrons les clochers, nous fondrons
les cloches, nous enverrons les vases sacrés à la Monnaie, nous briserons les
saints, nous profanerons les reliques, nous interdirons l’enterrement
religieux, nous imposerons l’enterrement civil, nous prescrirons le repos du
décadi et le travail du dimanche.
Point d’exception
: puisque toute religion positive est
une maîtresse d’erreur, nous
proscrirons tous les cultes ; nous exigerons des ministres protestants une
abjuration publique ; nous défendrons aux juifs de pratiquer leurs cérémonies ;
nous ferons « un autodafé de tous les livres et signes du culte de Moïse ». Mais, parmi les diverses machines à
jongleries, c’est la catholique qui est la pire, la plus hostile à la nature
par le célibat de ses prêtres, la plus contraire à la raison par l’absurdité de
ses dogmes, la plus opposée à l’institution démocratique, puisque chez elle les
pouvoirs se délèguent de haut en bas, la mieux abritée contre l’autorité
civile, puisque son chef est hors de France. C’est donc sur elle qu’il faut
s’acharner ; même après Thermidor, nous prolongerons contre elle la
persécution, petite et grande ; jusqu’au Consulat, nous déporterons et nous
fusillerons des prêtres, nous renouvellerons contre les fanatiques les lois de
la Terreur, « nous entraverons leurs
mouvements, nous désolerons leur patience, nous les inquiéterons le jour, nous
les troublerons la nuit, nous ne leur donnerons pas un moment de relâche ». Nous
astreindrons la population au culte décadaire ; nous la poursuivrons de notre
propagande jusqu’à table ; nous changerons les jours de marché pour que nul
fidèle ne puisse acheter de poisson les jours maigres . — Rien ne nous tient plus à cœur que cette
guerre au catholicisme ; aucun article de notre programme ne sera exécuté avec
tant d’insistance et de persévérance ; c’est qu’il s’agit de la vérité : nous
en sommes les dépositaires, les champions, les ministres, et jamais serviteurs de la vérité n’auront appliqué la force avec tant
de détail et de suite à l’extirpation de l’erreur…
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