Viv(r)e la recherche se propose de rassembler des témoignages, réflexions et propositions sur la recherche, le développement, l'innovation et la culture



Rechercher dans ce blog

samedi 19 août 2017

Taine _ La Révolution- Le Gouvernement révolutionnaire_88_ le dogme montagnard et l’Etat totalitaire

Important et magistral : ou du Jacobinisme comme religion pour comprendre les racines du totalitarisme. Le Contrat social de Rousseau : nous  forcerons l’homme à être libre.  Régénérer l’Homme, Créer l‘Homme Nouveau. Nous travaillons pour les générations futures. « Nous ferons un cimetière de la France,, plutôt que de ne la pas régénérer à notre manière ». Pour cela, nécessité d’abolir les religions. Le plan jacobin d’éradication systématique de toutes les religions, et d’abord de la religion catholique. Le jacobinisme comme guerre religieuse.
La-dessus, encore cf. Auguste Comte sur le lien entre Rousseau rétrogradation théologique, régénération de l’homme et totalitarisme : « La rétrogradation théologique du parti révolutionnaire à ses divers degrés et spécialement du parti républicain est due à l‘école de Rousseaules partisans les plus conséquents de la politique métaphysique, tels que Rousseau qui l’a coordonnée ont été conduits jusqu'à regarder l'état social comme une dégénération d'un état de nature composé par leur imagination, ce qui n'est que l'analogue métaphysique de l'idée théologique relative à la dégradation de l'espèce humaine par le péché originel ». Voire également Michelet définissant Robespierre comme un prêtre, et Proudhon, encore plus proche, dénonçant Rousseau et Robespierre entrainant la révolution sur un terrain religieux.

La régénération de l’Homme : recréer le peuple qu’on veut rendre à la liberté

Rien d’arbitraire dans cette opération ; car le modèle idéal est tracé d’avance. Si l’État est omnipotent, c’est pour « régénérer les hommes », et la théorie qui lui confère ses droits lui assigne en même temps son objet…
Ils (Les hommes civilisés)  n’ont point acquis le sentiment de la communauté ; ils ne savent pas, comme leurs frères des savanes, s’assister entre eux et subordonner l’intérêt de l’individu à l’intérêt du troupeau. Chacun d’eux tire à soi, nul ne se soucie des autres, tous sont égoïstes, les instincts sociaux ont avorté. — Tel est l’homme aujourd’hui, une créature défigurée qu’il faut restaurer, une créature inachevée qu’il faut parfaire. Ainsi notre tâche est double : nous avons à démolir et nous avons à construire ; nous dégagerons d’abord l’homme naturel, pour édifier ensuite l’homme social.
L’entreprise est immense, et nous en sentons l’immensité. « Il faut, dit Billaud-Varennes  , recréer en quelque sorte le peuple qu’on veut rendre à la liberté, puisqu’il faut détruire d’anciens préjugés, changer d’antiques habitudes, perfectionner des affections dépravées, restreindre des besoins superflus, extirper des vices invétérés. » – Mais l’entreprise est sublime, car il s’agit de « remplir les vœux de la nature , d’accomplir les destins de l’humanité, de tenir les promesses de la philosophie ». — « Nous voulons, dit Robespierre , substituer la morale à l’égoïsme, la probité à l’honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l’empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l’insolence, la grandeur d’âme à la vanité, l’amour de la gloire à l’amour de l’argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l’intrigue, le génie au bel esprit, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l’homme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c’est-à-dire toutes les vertus et tous les miracles de la république à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie. » Nous ferons cela, tout cela, coûte que coûte. Peu importe la génération vivante : nous travaillons pour les générations futures….
« Le jour où je serai convaincu, écrit Saint-Just, qu’il est impossible de donner au peuple français des mœurs douces, énergiques, sensibles, inexorables pour la tyrannie et l’injustice, je me poignarderai. » – « Ce que j’ai fait dans le Midi, dit Baudot, je le ferai dans le Nord : je les rendrai patriotes : ou ils mourront, ou je mourrai. » – « Nous ferons un cimetière de la France, dit Carrier, plutôt que de ne la pas régénérer à notre manière. » – En vain des esprits aveugles ou des cœurs dépravés voudraient protester ; c’est parce qu’ils sont aveugles ou dépravés qu’ils protestent. En vain l’individu alléguerait ses droits individuels ; il n’en a plus : par le Contrat social qui est obligatoire et seul valable, il a fait abandon de tout son être ; n’ayant rien réservé, « il n’a rien à réclamer ».

L’homme nouveau,  que la nature a fait, que l’histoire a défait et que la Révolution doit refaire  .

Pareillement, il faudra secouer l’homme pour le rendre à son attitude normale. Mais, en ceci, nous n’avons point de scrupules   ; car nous ne le courbons pas, nous le redressons ; selon le mot de Rousseau, « nous le forçons à être libre » ; nous lui conférons le plus grand des bienfaits que puisse recevoir une créature humaine ; nous le ramenons à la nature, et nous l’amenons à la justice. C’est pourquoi, maintenant qu’il est averti, s’il s’obstine à résister, il devient criminel et digne de tous les châtiments   ; car il se déclare rebelle et parjure, ennemi de l’humanité et traître au pacte social…
Commençons par nous figurer l’homme naturel ; certainement, aujourd’hui on a peine à le reconnaître : il ne ressemble guère à l’être artificiel que nous rencontrons à sa place, à la créature déformée par un régime immémorial de contrainte et de fraude, serrée dans son harnais héréditaire de superstitions et de sujétions, aveuglée par sa religion et matée à force de prestiges, exploitée par son gouvernement et dressée à force de coups, toujours à l’attache, toujours employée à contresens et contre nature, quel que soit son compartiment, haut ou bas, quelle que soit sa mangeoire, pleine ou vide, tantôt appliquée à des besognes serviles, comme le cheval abruti qui, les yeux bandés, tourne sa meule, tantôt occupée à des parades futiles, comme le chien savant qui, paré d’oripeaux, déploie ses grâces en public  . Mais supprimez par la pensée les oripeaux, les bandeaux, les entraves, les compartiments de l’écurie sociale, et vous verrez apparaître un homme nouveau, qui est l’homme primitif, intact et sain d’esprit, d’âme et de corps. En cet état, il est exempt de préjugés, il n’a pas été circonvenu de mensonges, il n’est ni juif, ni protestant, ni catholique ; s’il essaye de concevoir l’ensemble de l’univers et le principe des choses, il ne se laissera pas duper par une révélation prétendue, il n’écoutera que sa raison ; il se peut que parfois il devienne athée, mais presque toujours il se trouvera déiste. – En cet état, il n’est engagé dans aucune hiérarchie, il n’est point noble ni roturier, ouvrier ni patron, propriétaire ni prolétaire, inférieur ni supérieur. Indépendants les uns les autres, tous sont égaux, et, s’ils conviennent de s’associer entre eux, leur bons sens stipulera comme premier article le maintien de l’égalité primordiale. – Voilà l’homme que la nature a fait, que l’histoire a défait et que la Révolution doit refaire  . Sur les deux enveloppes de bandelettes qui le tiennent entortillé, sur la religion positive qui comprime et fausse son intelligence, sur l’inégalité sociale qui fausse et mutile sa volonté, on ne peut frapper trop fort   ; car, à chaque coup que l’on porte, on brise une ligature, et, à chaque ligature que l’on brise, on restitue un mouvement aux membres paralysés.

L’opération libératrice : le plan jacobin pour l’éradication des religions- une répression religieuse systématique

Suivons le progrès de l’opération libératrice. – Aux prises avec l’institut ecclésiastique, l’Assemblée Constituante, toujours timide, n’a su prendre que des demi-mesures ; elle a entamé l’écorce, elle n’a osé porter la hache jusque dans l’épaisseur du tronc. Confiscation des biens du clergé, dissolution des ordres religieux, répression de l’autorité du pape, à cela se réduit son œuvre ; elle a voulu établir une Église nouvelle et transformer les prêtres en fonctionnaires assermentés de l’État ; rien de plus. Comme si le catholicisme, même administratif, cessait d’être le catholicisme ! comme si l’arbre malfaisant, une fois marqué au sceau public, devait perdre sa malfaisance ! On n’a pas détruit la vieille officine de mensonges, on en a patenté une autre à côté d’elle, en sorte qu’au lieu d’une, on en a deux. Avec ou sans l’étiquette officielle, elle fonctionne dans toutes les communes de France, et, comme par le passé, distribue impunément sa drogue au public. Voilà justement ce que nous ne pouvons tolérer. –
A la vérité, nous avons à garder les apparences, et, en paroles, nous décréterons de nouveau la liberté des cultes  . Mais, en fait et en pratique, nous détruirons l’officine et nous empêcherons le débit de la drogue ; il n’y aura plus de culte catholique en France, pas un baptême, pas une confession, pas un mariage, pas une extrême-onction, pas une messe ; nul ne fera ou n’écoutera un sermon, personne n’administrera ou ne recevra un sacrement, sauf en cachette, et avec l’échafaud ou la prison pour perspective.
– A cet effet, nous procéderons par ordre. Pour l’Église qui se dit orthodoxe, point d’embarras : ses membres, ayant refusé le serment, sont hors la loi : on s’exclut d’une société quand on en répudie le pacte : ils ont perdu leur qualité de citoyens, ils sont devenus de simples étrangers, surveillés par la police ; et, comme ils propagent autour d’eux la désaffection et la désobéissance, ils ne sont pas même des étrangers, mais des séditieux, des ennemis déguisés, les auteurs d’une Vendée diffuse et occulte ; nous n’avons pas besoin de les poursuivre comme charlatans, il suffit de les frapper comme rebelles. À ce titre, nous avons déjà banni de France les ecclésiastiques insermentés, environ 40 000 prêtres, et nous déportons tous ceux qui n’ont pas franchi la frontière dans le délai fixé ; nous ne souffrons sur le sol français que les sexagénaires et les infirmes, et encore à l’état de détenus et de reclus ; peine de mort contre eux, s’ils ne viennent pas s’entasser dans la prison de leur chef-lieu ; peine de mort contre les bannis qui rentrent ; peine de mort contre les receleurs de prêtres  .
Par suite, faute de clergé orthodoxe, il n’y aura plus de culte orthodoxe ; la plus dangereuse des deux manufactures de superstition est fermée. Afin de mieux arrêter le débit de la vénéneuse denrée, nous punissons ceux qui la demandent comme ceux qui la fournissent, et nous poursuivons non seulement les pasteurs, mais encore les fanatiques du troupeau ; s’ils ne sont pas les auteurs de la rébellion ecclésiastique, ils en sont les fauteurs et les complices. Or, grâce au schisme, nous les connaissons d’avance, et, dans chaque commune, leur liste est faite. Nous appelons fanatiques tous ceux qui repoussent le ministère du prêtre assermenté, les bourgeois qui l’appellent intrus, les religieuses qui ne se confessent pas à lui, les paysans qui ne vont pas à sa messe, les vieilles femmes qui ne baisent pas sa patène, les parents qui ne veulent pas de lui pour baptiser leur nouveau-né. Tous ces gens-là et ceux qui les fréquentent, proches, alliés, amis, hôtes, visiteurs, quels qu’ils soient, hommes ou femmes, sont séditieux dans l’âme, et partant suspects. Nous leur ôtons leurs droits électoraux, nous les privons de leurs pensions, nous les chargeons de taxes spéciales, nous les internons chez eux, nous les emprisonnons par milliers, nous les guillotinons par centaines ; peu à peu le demeurant se découragera et renoncera à pratiquer un culte impraticable  .
— Restent les tièdes, la foule moutonnière qui tient à ses rites ; elle les prendra où ils seront, et, comme ils sont les mêmes dans l’Église autorisée que dans l’Église réfractaire, au lieu d’aller chez le prêtre insoumis, elle ira chez le prêtre soumis. Mais elle ira sans zèle, sans confiance, souvent même avec défiance, en se demandant si ces rites, administrés par un excommunié, ne sont pas maintenant de mauvais aloi. Une telle Église n’est point solide, et nous n’aurons besoin que d’une poussée pour l’abattre. Nous discréditerons de tout notre effort les prêtres constitutionnels ; nous leur interdirons le costume ecclésiastique ; nous les obligerons par décret à bénir le mariage de leurs confrères apostats ; nous emploierons la terreur et la prison pour les contraindre à se marier eux-mêmes ; nous ne leur donnerons point de répit qu’ils ne soient rentrés dans la vie civile, quelques-uns en se déclarant imposteurs, plusieurs en remettant leurs lettres de prêtrise, le plus grand nombre en se démettant de leurs places  . Privé de conducteurs par ces désertions volontaires ou forcées, le troupeau catholique se laissera aisément mener hors de la bergerie, et, pour lui ôter la tentation d’y rentrer, nous démolirons le vieil enclos. Dans les communes où nous sommes maîtres, nous nous ferons demander, par les Jacobins du lieu, l’abolition du culte, et nous l’abolirons d’autorité dans les autres communes par nos représentants en mission. Nous fermerons les églises, nous abattrons les clochers, nous fondrons les cloches, nous enverrons les vases sacrés à la Monnaie, nous briserons les saints, nous profanerons les reliques, nous interdirons l’enterrement religieux, nous imposerons l’enterrement civil, nous prescrirons le repos du décadi et le travail du dimanche.

Point d’exception : puisque toute religion positive est une maîtresse d’erreur, nous proscrirons tous les cultes ; nous exigerons des ministres protestants une abjuration publique ; nous défendrons aux juifs de pratiquer leurs cérémonies ; nous ferons « un autodafé de tous les livres et signes du culte de Moïse   ». Mais, parmi les diverses machines à jongleries, c’est la catholique qui est la pire, la plus hostile à la nature par le célibat de ses prêtres, la plus contraire à la raison par l’absurdité de ses dogmes, la plus opposée à l’institution démocratique, puisque chez elle les pouvoirs se délèguent de haut en bas, la mieux abritée contre l’autorité civile, puisque son chef est hors de France. C’est donc sur elle qu’il faut s’acharner ; même après Thermidor, nous prolongerons contre elle la persécution, petite et grande ; jusqu’au Consulat, nous déporterons et nous fusillerons des prêtres, nous renouvellerons contre les fanatiques les lois de la Terreur, « nous entraverons leurs mouvements, nous désolerons leur patience, nous les inquiéterons le jour, nous les troublerons la nuit, nous ne leur donnerons pas un moment de relâche   ». Nous astreindrons la population au culte décadaire ; nous la poursuivrons de notre propagande jusqu’à table ; nous changerons les jours de marché pour que nul fidèle ne puisse acheter de poisson les jours maigres  . — Rien ne nous tient plus à cœur que cette guerre au catholicisme ; aucun article de notre programme ne sera exécuté avec tant d’insistance et de persévérance ; c’est qu’il s’agit de la vérité : nous en sommes les dépositaires, les champions, les ministres, et jamais serviteurs de la vérité n’auront appliqué la force avec tant de détail et de suite à l’extirpation de l’erreur

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentaires

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.