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mardi 15 août 2017

Taine _ La Révolution- La conquête jacobine_68_ Les massacres de septembre

Les massacres de septembre étaient bien préparés par la Commune insurrectionnelle. La Garde Nationale neutralisée ;  on a ôté aux prisonniers leurs couteaux de table et même leurs fourchettes _Peuple, tu immoles tes ennemis. Tout se passe également bien. Une vingtaine de bouchers par prison. Les massacreurs à six francs par jours. Les Marseillais_« ils ont bien travaillé ».
NB : le terme de travail comme euphémisme du massacre apparait ici, avant d'être repris par les génocidaires Khmers rouges et rwandais

 Les massacres de septembre étaient bien préparés - Peuple, tu immoles tes ennemis, tu fais ton devoir ;

Jusqu’ici, quand ils tuaient ou faisaient tuer, c’était en émeutiers, dans la rue ; à présent, c’est aux prisons, en magistrats et fonctionnaires, sur des registres d’écrou, après constatation d’identité et jugement sommaire, par des exécuteurs payés, au nom du salut public, avec méthode et sang-froid, presque aussi régulièrement que plus tard sous « le gouvernement révolutionnaire ». Effectivement Septembre en est le début, l’abrégé, le modèle ; on ne fera pas autrement ni mieux au plus beau temps de la guillotine. Seulement, comme on est encore mal outillé, au lieu de la guillotine, on emploie les piques, et, comme toute pudeur n’est pas encore abolie, les chefs se dissimulent derrière les manœuvres. Mais on les suit à la trace, on les prend sur le fait, on a leurs autographes ; ils ont concerté l’opération, ils la commandent, ils la conduisent. Le 30 août, la Commune a décidé que les sections jugeraient les détenus, et, le 2 septembre, cinq sections affidées lui répondent en arrêtant que les détenus seront égorgés  . Le même jour, 2 septembre, Marat entre au comité de surveillance. Le même jour, 2 septembre, Panis et Sergent signent la commission de « leurs camarades » Maillard et consorts à l’Abbaye et leur « ordonnent de juger », c’est-à-dire de tuer les prisonniers . Le même jour et les jours suivants, à la Force, trois membres de la Commune, Hébert, Monneuse et Rossignol, président tour à tour le tribunal des assassins  . Le même jour, un commissaire du comité de surveillance vient à la section des Sans-Culottes requérir douze hommes pour aider au massacre des prêtres de Saint-Firmin  . Le même jour, un commissaire de la Commune visite les diverses prisons pendant qu’on y égorge, et trouve que « tout s’y passe également bien   ». Le même jour, à cinq heures du soir, le substitut de la Commune, Billaud-Varennes, « avec le petit habit puce et la perruque noire qu’on lui connaît », marchant sur les cadavres, dit aux massacreurs de l’Abbaye : « Peuple, tu immoles tes ennemis, tu fais ton devoir ; » dans la nuit, il revient, les comble d’éloges, et leur confirme la promesse du salaire « convenu » ; le lendemain à midi, il revient encore, les félicite de plus belle, leur alloue à chacun un louis et les exhorte à continuer  .– Cependant, à l’état-major, Santerre, requis par Roland, déplore hypocritement son impuissance volontaire et persiste à ne pas donner les ordres sans lesquels la garde nationale ne peut marcher  .
Aux sections, les présidents M.-J. Chénier, Ceyrat, Boula, Momoro, Collot d’Herbois, envoient ou ramènent des malheureux sous les piques. À la Commune, le conseil général vote 12 000 livres à prendre sur les morts pour solder les frais de l’opération  . Au comité de surveillance, Marat et ses collègues écrivent pour propager le meurtre dans les départements. – Manifestement, les meneurs et les subalternes sont unanimes, chacun à son poste et dans son emploi : par la collaboration spontanée de tout le parti, l’injonction d’en haut se rencontre avec l’impulsion d’en bas   ; les deux se fondent en commune volonté meurtrière, et l’œuvre s’accomplit avec d’autant plus de précision qu’elle est facile. – Les geôliers ont reçu l’ordre d’ouvrir et de laisser faire. Par surcroît de précautions, on a ôté aux prisonniers leurs couteaux de table et même leurs fourchettes .
Un à un, sur l’appel de leurs noms, ils défileront comme des bœufs dans un abattoir, et une vingtaine de bouchers par prison, en tout deux ou trois cents   suffiront à la besogne…

Les massacreurs à six francs par jours

Deux sortes d’hommes fournissent les recrues, et c’est ici surtout qu’il faut admirer l’effet du dogme révolutionnaire sur des cerveaux bruts. – Il y a d’abord les fédérés du Midi, rudes gaillards, anciens soldats ou anciens bandits, déserteurs, bohèmes et sacripants de tout pays et de toute provenance, qui, après avoir travaillé à Marseille ou Avignon, sont venus à Paris pour recommencer. « Triple nom de Dieu, disait l’un d’eux, je ne suis pas venu de 180 lieues pour ne pas f… 180 têtes au bout de ma pique   ! » A cet effet, ils se sont constitués d’eux-mêmes en un corps spécial, permanent, résidant, et ne souffrent pas qu’on les détourne de l’emploi qu’ils se sont donné. « Ils n’écouteront pas les mouvements d’un faux patriotisme   » ; ils n’iront pas à la frontière. Leur poste est dans la capitale, ils ont « juré d’y défendre la liberté » ; ni avant, ni après septembre, on ne pourra les en arracher. Quand enfin, après s’être fait payer sur toutes les caisses et sous tous les prétextes, ils consentiront à quitter Paris, ce sera pour retourner à Marseille ; ils n’opèrent qu’à l’intérieur et sur des adversaires politiques. Mais ils n’en sont que plus zélés dans cet office : ce sont eux qui, les premiers, viennent prendre les vingt-quatre prêtres de la mairie, et dans le trajet, de leurs propres mains, commencent le massacre  . – Il y a ensuite les enragés de la plèbe parisienne, quelques-uns commis ou boutiquiers, le plus grand nombre artisans et de tous les corps d’état, serruriers, maçons, bouchers, charrons, tailleurs, cordonniers, charretiers, notamment des débardeurs, des ouvriers du port, des forts de la Halle, mais surtout des journaliers, manœuvres, compagnons et apprentis, bref des gens habitués à se servir de leurs bras et qui, dans l’échelle des métiers, occupent le plus bas échelon  . Parmi eux, on trouve des bêtes de proie, massacreurs d’instinct ou simples voleurs  . D’autres, comme un auditeur de l’abbé Sicard, qu’il aime et vénère, confessent n’avoir marché que par contrainte. D’autres sont de simples machines qui se laissent pousser : tel, commissionnaire du coin, très honnête homme, mais entraîné, puis soûlé, puis affolé, tue vingt prêtres pour sa part et en meurt au bout d’un mois, buvant toujours, ne dormant plus, l’écume aux lèvres et tremblant de tous ses membres  . Quelques-uns enfin, venus à bonnes intentions, sont pris de vertige au contact du tourbillon sanglant, et, par un coup soudain de la grâce révolutionnaire, se convertissent à la religion du meurtre ; un certain Grapin, député par sa section pour sauver deux prisonniers, s’assoit à côté de Maillard, juge avec lui pendant soixante-trois heures et lui en demande certificat  . Mais la plupart ont les opinions de ce cuisinier qui, après la prise de la Bastille, s’étant trouvé là et ayant coupé la tête de M. de Launey, croyait avoir fait une action « patriotique » et s’estimait digne d’une « médaille pour avoir détruit un monstre ». Ce ne sont pas des malfaiteurs ordinaires, mais des voisins de bonne volonté qui, voyant un service public installé dans leur quartier  , sortent de leur maison pour donner un coup d’épaule : ils ont la dose de probité qu’on rencontre aujourd’hui chez les gens de leur état.
Au commencement surtout, nul ne songe à remplir ses poches. À l’Abbaye, ils apportent fidèlement sur la table du comité civil les portefeuilles et les bijoux des morts  . S’ils s’approprient quelque chose, ce sont des souliers pour leurs pieds nus, et encore après en avoir demandé la permission. Quant au salaire, toute peine en mérite un, et d’ailleurs, entre eux et leurs embaucheurs, c’est chose convenue. N’ayant pour vivre que leurs bras, ils ne peuvent pas donner leur temps gratis  , et, comme la besogne est rude, la journée doit leur être comptée double. Il leur faut 6 francs par jour, outre la nourriture et du vin à discrétion ; un seul traiteur en fournira 346 pintes aux hommes de l’Abbaye   : dans un travail qui ne s’interrompt ni de jour ni de nuit et qui ressemble à celui des égoutiers ou des équarrisseurs, il n’y a que cela pour mettre du cœur au ventre. – Fournitures et salaire, la nation payera, puisque c’est pour elle qu’on travaille, et naturellement, quand on leur oppose des formalités, ils se mettent en colère, ils se portent chez Roland, chez le trésorier de la ville, aux comités de section, au comité de surveillance  , en grondant, en menaçant, et en montrant leurs piques ensanglantées. Voilà la preuve qu’ils ont bien travaillé : ils s’en vantent à Pétion, ils lui font valoir « leur justice, leur attention   », leur discernement, la longueur de l’ouvrage, tant de journées à tant d’heures ; nul embarras chez eux, nul doute de leur bon droit ; ils ne réclament que « leur dû » ; quand un trésorier, avant de les payer, veut écrire leurs noms, ils les donnent sans difficulté. Ceux qui reconduisent un prisonnier absous, maçons, perruquiers, fédérés, ne veulent point de récompense, mais « un simple rafraîchissement ». – « Nous ne faisons point, disent-ils, ce métier pour de l’argent ; voilà votre ami, il nous a promis un verre d’eau-de-vie, nous le boirons et nous retournerons à notre poste  . » – Hors de leur métier, ils ont la sympathie expansive et la sensibilité prompte de l’ouvrier parisien. À l’Abbaye, un fédéré   apprenant que depuis vingt-six heures on avait laissé les détenus sans eau, voulait absolument « exterminer » le guichetier négligent et l’eût fait, sans « les supplications des détenus eux-mêmes ». Lorsqu’un prisonnier est acquitté, gardes et tueurs, tout le monde l’embrasse avec transport ; pendant plus de cent pas, Weber passe d’accolade en accolade…

On condamnera et tuera par catégories : la folie et l’entrainement du meurtre de masse

Tout ce que la foule accorde, c’est un tribunal improvisé, la lecture du livre d’écrou, des jugements accélérés : on condamnera et on tuera d’après la commune renommée ; cela simplifie. — Autre simplification plus redoutable encore : on condamnera et tuera par catégories. Suisses, prêtres, officiers ou serviteurs du roi, « chenilles de la liste civile », chacun de ces titres suffit. Dans les enclos où il n’y a que des prêtres ou des Suisses, on ne prendra pas la peine de juger, on égorgera en tas. — Ainsi réduite, l’opération est à la portée des opérateurs ; le nouveau souverain a les bras forts autant que l’intelligence courte, et, par une adaptation inévitable, il ravale son œuvre au niveau de ses facultés.
A son tour, son œuvre le pervertit et le dégrade. Ce n’est pas impunément qu’un homme, surtout un homme du peuple, pacifié par une civilisation ancienne, se fait souverain et, du même coup, bourreau. Il a beau s’exciter contre ses patients et s’entraîner en leur criant des injures   ; il sent vaguement qu’il commet une action énorme, et son âme, comme celle de Macbeth, est « pleine de scorpions ». Par une contraction terrible, il se raidit contre l’humanité héréditaire qui tressaille en lui ; elle résiste, il s’exaspère, et, pour l’étouffer, il n’a d’autre moyen que de « se gorger d’horreurs   » en accumulant les meurtres. Car le meurtre, surtout tel qu’il le pratique, c’est-à-dire à l’arme blanche et sur des gens désarmés, introduit dans sa machine animale et morale deux émotions extraordinaires et disproportionnées qui la bouleversent, d’une part la sensation de la toute-puissance exercée sans contrôle, obstacle ou danger, sur la vie humaine et sur la chair sensible  , d’autre part la sensation de la mort sanglante et diversifiée, avec son accompagnement toujours nouveau de contorsions et de cris   ; jadis dans les cirques romains, on ne pouvait s’en détacher : celui qui avait vu le spectacle une fois y revenait tous les jours. Et justement, aujourd’hui, chaque cour de prison est un cirque, avec cette aggravation que les spectateurs y sont acteurs. –


Ils sont gais ; autour de chaque nouveau cadavre, ils dansent, ils chantent la carmagnole   ; ils font lever les curieux du quartier pour les « amuser », pour leur donner part « à la bonne fête   ». Des bancs sont disposés pour « les messieurs », et d’autres pour « les dames » : celles-ci, plus curieuses, veulent en outre contempler à leur aise « les aristocrates » déjà tués : en conséquence, on requiert des lampions et on en pose un sur chaque cadavre.

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