Les meilleurs citoyens se
taisent » dans les assemblées de section, « ou s’abstiennent de venir; l’assistance
aux séances des clubs payée 40 sous par séance ; Le financement généreux des
clubs. Les places publiques à l’encan. Jamais de comptes. Des instruments
administratifs qui ont besoin d’être entretenus. Des défraiements généreux
Les meilleurs citoyens se
taisent » dans les assemblées de section, « ou s’abstiennent de venir
Tels
sont les souverains subalternes qui, à
Paris, pendant quatorze mois, disposent à leur gré des fortunes, des libertés
et des vies…
«
Quelquefois, dit un de ces meneurs ,
nous ne nous trouvons que dix de la Société à l’assemblée générale de la
section ; mais nous suffisons pour faire trembler le reste. Lorsqu’un citoyen
de la section fait une proposition qui ne nous convient pas, nous nous levons
tous, et nous crions que c’est un intrigant, un signataire (des anciennes
pétitions constitutionnelles). C’est ainsi que nous imposons silence à ceux qui
ne sont pas dans le sens de la Société. » – L’opération est d’autant plus aisée
que, depuis le mois de septembre 1793, la majorité, composée de bêtes de somme,
marche à la baguette. « Quand il s’agit de quelque chose qui tient à l’esprit
d’intrigue ou à des intérêts particuliers
, la proposition est toujours faite par un des membres du comité
révolutionnaire de la section, ou par un de ces patriotes énergumènes qui ne
font qu’un avec le comité et ordinairement lui servent d’espions. À l’instant, les hommes ignorants, à qui
Danton a fait accorder 40 sous par séance et qui depuis vont en foule aux
assemblées où ils n’allaient pas auparavant, accueillent la proposition par
des applaudissements bruyants, en criant Aux voix, et l’arrêté est pris à l’unanimité,
quoique les citoyens instruits et bien intentionnés soient d’un avis différent.
Si quelqu’un osait s’y opposer, il aurait tout à craindre d’être incarcéré
comme suspect , après avoir été traité
d’aristocrate, de modéré, de fédéraliste, ou, tout au moins, lui refuserait-on
un certificat de civisme, s’il avait le malheur d’en avoir besoin, sa
subsistance en dépendit-elle, soit comme employé, soit comme pensionnaire. »..?
Nombre de manœuvres, cochers, charretiers et ouvriers de tout métier gagnent
ainsi leurs quarante sous, et n’imaginent pas qu’on puisse leur demander autre
chose. Arrivés au commencement de la séance, ils se font inscrire, puis sortent
pour « boire bouteille », sans se croire tenus d’écouter l’amphigouri des
orateurs ; vers la fin, ils rentrent, et, du gosier, des pieds, des mains, font
tout le tapage requis, puis ils vont « reprendre leur carte et toucher leur
paye » . – Avec des claqueurs de cette
espèce, on a vite raison des opposants, ou plutôt toute opposition est étouffée
d’avance. « Les meilleurs citoyens se
taisent » dans les assemblées de section, « ou s’abstiennent de venir »…
Le financement généreux
des clubs. Les places publiques à l’encan
Pour
combler la mesure, et à l’exemple de la Commune, jamais de comptes, ou, si l’on en rend pour la forme, défense d’y
trouver à redire sous peine de suspicion », etc. – Propriétaires et
distributeurs du civisme, les douze meneurs n’ont eu qu’à s’entendre pour s’en
répartir les bénéfices ; à chacun selon ses appétits ; désormais la cupidité et
la vanité sont à l’aise pour manger la chose publique sous le couvert de
l’intérêt public.
La pâture est immense, et d’en haut on les y
appelle. « Je suis bien aise, dit Henriot, dans un de ses ordres du jour , d’avertir mes frères d’armes que toutes les
places sont à la disposition du gouvernement. Le gouvernement actuel, qui est
révolutionnaire, qui a des intentions pures, qui ne veut que le bien de
tous..., va, jusque dans les greniers, chercher les hommes vertueux..., les
pauvres et purs sans-culottes. » Et il y a de quoi les satisfaire, 35 000 emplois publics dans la seule
capitale : c’est une curée ; déjà,
avant le mois de mai 1793, « la société des Jacobins se vantait d’avoir « placé
9 000 agents dans les administrations
», et, depuis le 2 juin, « les hommes vertueux, les pauvres et purs
sans-culottes » sortent en foule « de leurs greniers », de leurs taudis, de
leurs chambres garnies, pour attraper chacun son lopin. – Sans parler des
anciens bureaux de la guerre, de la marine, des travaux publics, des finances
et des affaires étrangères qu’ils assiègent, où ils s’installent par centaines
et d’autorité, où ils dénoncent incessamment le demeurant des employés capables,
et font des vides afin de les remplir ,
il y a vingt administrations nouvelles qu’ils se réservent en propre. Commissaires aux biens nationaux de la
première confiscation, commissaires aux biens nationaux qui proviennent des
émigrés et des condamnés, commissaires à la réquisition des chevaux de luxe,
commissaires aux habillements, commissaires pour la récolte et la fabrication
du salpêtre, commissaires aux accaparements, commissaires civils dans chacune
des quarante-huit sections, commissaires pour la propagande dans les
départements, commissaires aux subsistances, et quantité d’autres ; dans le
seul département des subsistances, on compte 1 500 places à Paris, et tout
cela est payé ; voilà déjà nombre d’emplois acceptables. – Il y en a d’infimes
pour la racaille, 200 à 20 sous par jour, pour les clabaudeurs chargés de
diriger l’opinion dans les groupes du Palais-Royal et des Tuileries, ainsi que
dans les tribunes de la Convention et de l’Hôtel de Ville , 200 autres, à 400 francs par an, pour les
garçons de café, de tripot et d’hôtel, chargés de surveiller les étrangers et
les consommateurs ; des centaines, à 2 francs, 3 francs, 5 francs par jour,
outre la nourriture, pour les gardiens des scellés et pour les gardiens des
suspects à domicile ; des milliers, avec prime, solde et licence plénière, pour
les brigands qui, sous Ronsin, composent l’armée révolutionnaire, pour les
canonniers, pour la garde soldée et pour les gendarmes de Henriot. – Mais les
principaux postes sont ceux qui mettent à la discrétion de leurs occupants les
libertés et les vies car, par ce pouvoir plus que royal, on a le reste, et tel
est le pouvoir des hommes qui composent les quarante-huit comités
révolutionnaires, les bureaux du Comité de Sûreté générale, la Commune et l’état-major
de la force armée. Ils sont les chevilles ouvrières et les ressorts agissants
de la Terreur, tous Jacobins, triés sur le volet et vérifiés par plusieurs
triages, tous désignés ou approuvés par la Société centrale qui s’est attribué
le monopole du patriotisme et qui, érigée en suprême concile de la secte, ne
délivre le brevet d’orthodoxie qu’à ses suppôts…
Des
instruments administratifs qui ont besoin d’être entretenus…
– Des
instruments administratifs qui tranchent si bien ont besoin d’être entretenus
soigneusement, et, à cet effet, de temps en temps, on les graisse ; le 20 juillet 1793, le gouvernement alloue
2 000 francs à chacun des quarante-huit comités, et 8 000 francs au général Henriot, « pour défrayer la surveillance des
manœuvres contre-révolutionnaires » ; le 7 août, 50 000 francs aux membres peu
fortunés des quarante-huit comités, 300 000 francs au général Henriot, « pour
déjouer les complots et assurer le triomphe de la Liberté », 50 000 francs
au maire « pour découvrir les complots des malveillants » ; le 10 septembre, 40
000 francs au maire, au président et au procureur-syndic du département, « pour
des mesures de sûreté » ; le 13 septembre, 300 000 francs au maire, « pour
prévenir les efforts des malveillants » ; le 15 novembre, 100 000 francs aux sociétés populaires, « parce qu’elles sont
nécessaires à la propagation des bons principes ». D’ailleurs, outre les
gratifications et le traitement fixe, il y a les douceurs et les revenants-bons
de l’emploi . Henriot a mis ses
camarades dans le personnel des surveillants ou dénonciateurs à gages, et,
naturellement, ils profitent de leur office pour remplir leurs poches ; sous
prétexte d’incivisme, ils multiplient les visites domiciliaires, rançonnent le
maître du logis, ou volent chez lui ce qui leur convient . – A la Commune et aux comités
révolutionnaires, toutes les extorsions peuvent impunément s’exercer et
s’exercent. « Je connais, dit Quêvremont, deux citoyens qui ont été mis en
prison, sans qu’on leur ait dit pourquoi, et, au bout de trois semaines ou d’un
mois, ils en sont sortis, sais-tu comment ? En payant l’un 15 000 livres,
l’autre 25 000... Grambone, à la Force, pour ne pas rester dans les poux, paye une
chambre 1 500 livres par mois, et, de plus, il a fallu qu’il donnât 2 000
livres de pot-de-vin en y entrant. Pareille chose est arrivée à bien d’autres,
et encore n’ose-t-on en parler que tout bas
. » Malheur à l’imprudent qui, ne s’étant jamais occupé des affaires
publiques, se fie à son innocence, écarte le courtier officieux et ne finance
pas tout de suite : pour avoir refusé ou offert trop tard les 100 000 écus
qu’on lui demandait, le notaire Brichard mettra la tête « à la fenêtre rouge ».
– Et j’omets les rapines ordinaires, le vaste champ offert à la concussion par
les inventaires, les séquestres et les adjudications innombrables, par
l’énormité des fournitures, par la rapidité des achats ou des livraisons, par
le gaspillage des deux millions de francs que, chaque semaine, le gouvernement
donne à la Commune pour approvisionner la capitale, par la réquisition des
grains, qui fournit à quinze cents hommes de l’armée révolutionnaire l’occasion
de rafler, jusqu’à Corbeil et à Meaux, les fermes du voisinage et de se garnir
les mains selon le procédé des chauffeurs
. – Avec le personnel que l’on sait, rien d’étonnant dans ces vols
anonymes. Babeuf, le faussaire en écritures publiques, est secrétaire pour les
subsistances à la Commune, Maillard, le septembriseur de l’Abbaye, reçoit 8 000
francs pour diriger, dans les quarante-huit sections, les quatre-vingt-seize
observateurs et conducteurs de l’esprit public. Chrétien, dont la tabagie, rue
Favart, sert de rendez-vous aux tape-dur, devient juré à 18 francs par jour au
Tribunal révolutionnaire, règne dans son comité et mène sa section, le sabre
haut . Sade, le professeur de crime, est
maintenant l’oracle de son quartier, et vient, au nom de la section des Piques,
lire des adresses à la Convention…
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