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lundi 21 août 2017

Taine _ La Révolution- Le Gouvernement révolutionnaire_102_ le club des Jacobins sous la Terreur

Les meilleurs citoyens se taisent » dans les assemblées de section, « ou s’abstiennent de venir; l’assistance aux séances des clubs payée 40 sous par séance ; Le financement généreux des clubs. Les places publiques à l’encan. Jamais de comptes. Des instruments administratifs qui ont besoin d’être entretenus. Des défraiements généreux

Les meilleurs citoyens se taisent » dans les assemblées de section, « ou s’abstiennent de venir

Tels sont les souverains subalternes   qui, à Paris, pendant quatorze mois, disposent à leur gré des fortunes, des libertés et des vies…
« Quelquefois, dit un de ces meneurs  , nous ne nous trouvons que dix de la Société à l’assemblée générale de la section ; mais nous suffisons pour faire trembler le reste. Lorsqu’un citoyen de la section fait une proposition qui ne nous convient pas, nous nous levons tous, et nous crions que c’est un intrigant, un signataire (des anciennes pétitions constitutionnelles). C’est ainsi que nous imposons silence à ceux qui ne sont pas dans le sens de la Société. » – L’opération est d’autant plus aisée que, depuis le mois de septembre 1793, la majorité, composée de bêtes de somme, marche à la baguette. « Quand il s’agit de quelque chose qui tient à l’esprit d’intrigue ou à des intérêts particuliers  , la proposition est toujours faite par un des membres du comité révolutionnaire de la section, ou par un de ces patriotes énergumènes qui ne font qu’un avec le comité et ordinairement lui servent d’espions. À l’instant, les hommes ignorants, à qui Danton a fait accorder 40 sous par séance et qui depuis vont en foule aux assemblées où ils n’allaient pas auparavant, accueillent la proposition par des applaudissements bruyants, en criant Aux voix, et l’arrêté est pris à l’unanimité, quoique les citoyens instruits et bien intentionnés soient d’un avis différent. Si quelqu’un osait s’y opposer, il aurait tout à craindre d’être incarcéré comme suspect  , après avoir été traité d’aristocrate, de modéré, de fédéraliste, ou, tout au moins, lui refuserait-on un certificat de civisme, s’il avait le malheur d’en avoir besoin, sa subsistance en dépendit-elle, soit comme employé, soit comme pensionnaire. »..? Nombre de manœuvres, cochers, charretiers et ouvriers de tout métier gagnent ainsi leurs quarante sous, et n’imaginent pas qu’on puisse leur demander autre chose. Arrivés au commencement de la séance, ils se font inscrire, puis sortent pour « boire bouteille », sans se croire tenus d’écouter l’amphigouri des orateurs ; vers la fin, ils rentrent, et, du gosier, des pieds, des mains, font tout le tapage requis, puis ils vont « reprendre leur carte et toucher leur paye »  . – Avec des claqueurs de cette espèce, on a vite raison des opposants, ou plutôt toute opposition est étouffée d’avance. « Les meilleurs citoyens se taisent » dans les assemblées de section, « ou s’abstiennent de venir »…

Le financement généreux des clubs. Les places publiques à l’encan

Pour combler la mesure, et à l’exemple de la Commune, jamais de comptes, ou, si l’on en rend pour la forme, défense d’y trouver à redire sous peine de suspicion », etc. – Propriétaires et distributeurs du civisme, les douze meneurs n’ont eu qu’à s’entendre pour s’en répartir les bénéfices ; à chacun selon ses appétits ; désormais la cupidité et la vanité sont à l’aise pour manger la chose publique sous le couvert de l’intérêt public.
La pâture est immense, et d’en haut on les y appelle. « Je suis bien aise, dit Henriot, dans un de ses ordres du jour  , d’avertir mes frères d’armes que toutes les places sont à la disposition du gouvernement. Le gouvernement actuel, qui est révolutionnaire, qui a des intentions pures, qui ne veut que le bien de tous..., va, jusque dans les greniers, chercher les hommes vertueux..., les pauvres et purs sans-culottes. » Et il y a de quoi les satisfaire, 35 000 emplois publics dans la seule capitale   : c’est une curée ; déjà, avant le mois de mai 1793, « la société des Jacobins se vantait d’avoir « placé 9 000 agents dans les administrations   », et, depuis le 2 juin, « les hommes vertueux, les pauvres et purs sans-culottes » sortent en foule « de leurs greniers », de leurs taudis, de leurs chambres garnies, pour attraper chacun son lopin. – Sans parler des anciens bureaux de la guerre, de la marine, des travaux publics, des finances et des affaires étrangères qu’ils assiègent, où ils s’installent par centaines et d’autorité, où ils dénoncent incessamment le demeurant des employés capables, et font des vides afin de les remplir  , il y a vingt administrations nouvelles qu’ils se réservent en propre. Commissaires aux biens nationaux de la première confiscation, commissaires aux biens nationaux qui proviennent des émigrés et des condamnés, commissaires à la réquisition des chevaux de luxe, commissaires aux habillements, commissaires pour la récolte et la fabrication du salpêtre, commissaires aux accaparements, commissaires civils dans chacune des quarante-huit sections, commissaires pour la propagande dans les départements, commissaires aux subsistances, et quantité d’autres ; dans le seul département des subsistances, on compte 1 500 places à Paris, et tout cela est payé ; voilà déjà nombre d’emplois acceptables. – Il y en a d’infimes pour la racaille, 200 à 20 sous par jour, pour les clabaudeurs chargés de diriger l’opinion dans les groupes du Palais-Royal et des Tuileries, ainsi que dans les tribunes de la Convention et de l’Hôtel de Ville  , 200 autres, à 400 francs par an, pour les garçons de café, de tripot et d’hôtel, chargés de surveiller les étrangers et les consommateurs ; des centaines, à 2 francs, 3 francs, 5 francs par jour, outre la nourriture, pour les gardiens des scellés et pour les gardiens des suspects à domicile ; des milliers, avec prime, solde et licence plénière, pour les brigands qui, sous Ronsin, composent l’armée révolutionnaire, pour les canonniers, pour la garde soldée et pour les gendarmes de Henriot. – Mais les principaux postes sont ceux qui mettent à la discrétion de leurs occupants les libertés et les vies car, par ce pouvoir plus que royal, on a le reste, et tel est le pouvoir des hommes qui composent les quarante-huit comités révolutionnaires, les bureaux du Comité de Sûreté générale, la Commune et l’état-major de la force armée. Ils sont les chevilles ouvrières et les ressorts agissants de la Terreur, tous Jacobins, triés sur le volet et vérifiés par plusieurs triages, tous désignés ou approuvés par la Société centrale qui s’est attribué le monopole du patriotisme et qui, érigée en suprême concile de la secte, ne délivre le brevet d’orthodoxie qu’à ses suppôts…

Des instruments administratifs qui ont besoin d’être entretenus…


Des instruments administratifs qui tranchent si bien ont besoin d’être entretenus soigneusement, et, à cet effet, de temps en temps, on les graisse   ; le 20 juillet 1793, le gouvernement alloue 2 000 francs à chacun des quarante-huit comités, et 8 000 francs au général Henriot, « pour défrayer la surveillance des manœuvres contre-révolutionnaires » ; le 7 août, 50 000 francs aux membres peu fortunés des quarante-huit comités, 300 000 francs au général Henriot, « pour déjouer les complots et assurer le triomphe de la Liberté », 50 000 francs au maire « pour découvrir les complots des malveillants » ; le 10 septembre, 40 000 francs au maire, au président et au procureur-syndic du département, « pour des mesures de sûreté » ; le 13 septembre, 300 000 francs au maire, « pour prévenir les efforts des malveillants » ; le 15 novembre, 100 000 francs aux sociétés populaires, « parce qu’elles sont nécessaires à la propagation des bons principes ». D’ailleurs, outre les gratifications et le traitement fixe, il y a les douceurs et les revenants-bons de l’emploi  . Henriot a mis ses camarades dans le personnel des surveillants ou dénonciateurs à gages, et, naturellement, ils profitent de leur office pour remplir leurs poches ; sous prétexte d’incivisme, ils multiplient les visites domiciliaires, rançonnent le maître du logis, ou volent chez lui ce qui leur convient  . – A la Commune et aux comités révolutionnaires, toutes les extorsions peuvent impunément s’exercer et s’exercent. « Je connais, dit Quêvremont, deux citoyens qui ont été mis en prison, sans qu’on leur ait dit pourquoi, et, au bout de trois semaines ou d’un mois, ils en sont sortis, sais-tu comment ? En payant l’un 15 000 livres, l’autre 25 000... Grambone, à la Force, pour ne pas rester dans les poux, paye une chambre 1 500 livres par mois, et, de plus, il a fallu qu’il donnât 2 000 livres de pot-de-vin en y entrant. Pareille chose est arrivée à bien d’autres, et encore n’ose-t-on en parler que tout bas  . » Malheur à l’imprudent qui, ne s’étant jamais occupé des affaires publiques, se fie à son innocence, écarte le courtier officieux et ne finance pas tout de suite : pour avoir refusé ou offert trop tard les 100 000 écus qu’on lui demandait, le notaire Brichard mettra la tête « à la fenêtre rouge ». – Et j’omets les rapines ordinaires, le vaste champ offert à la concussion par les inventaires, les séquestres et les adjudications innombrables, par l’énormité des fournitures, par la rapidité des achats ou des livraisons, par le gaspillage des deux millions de francs que, chaque semaine, le gouvernement donne à la Commune pour approvisionner la capitale, par la réquisition des grains, qui fournit à quinze cents hommes de l’armée révolutionnaire l’occasion de rafler, jusqu’à Corbeil et à Meaux, les fermes du voisinage et de se garnir les mains selon le procédé des chauffeurs  . – Avec le personnel que l’on sait, rien d’étonnant dans ces vols anonymes. Babeuf, le faussaire en écritures publiques, est secrétaire pour les subsistances à la Commune, Maillard, le septembriseur de l’Abbaye, reçoit 8 000 francs pour diriger, dans les quarante-huit sections, les quatre-vingt-seize observateurs et conducteurs de l’esprit public. Chrétien, dont la tabagie, rue Favart, sert de rendez-vous aux tape-dur, devient juré à 18 francs par jour au Tribunal révolutionnaire, règne dans son comité et mène sa section, le sabre haut  . Sade, le professeur de crime, est maintenant l’oracle de son quartier, et vient, au nom de la section des Piques, lire des adresses à la Convention…


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