Les rôles de Marat et de Danton ; Danton,
un vrai conducteur d’hommes : le 10 août et le 2 septembre, c’est moi qui
l’ai fait. Les républicains sont une minorité infime. Il faut mettre une
rivière de sang entre les Français et les émigrés. Septembre est le début,
l’abrégé, le modèle de la Terreur. Les noms des massacreurs et de leurs inspirateurs
Encore une fois, contrairement à ce qu’affirment
pudiquement les « bonnes histoires » de la Révolution, donneurs d’ordre
et exécuteurs sont parfaitement connus !
Le plan du Massacre- Marat
Depuis le 23
août , leur résolution est prise, le plan du massacre s’est dessiné dans
leur esprit, et peu à peu, spontanément, chacun, selon ses aptitudes, y prend
son rôle, qu’il choisit ou qu’il subit.
Avant tous, Marat a proposé et prêché l’opération, et,
de sa part, rien de plus naturel. Elle est l’abrégé de sa politique : un dictateur ou tribun, avec pleins
pouvoirs pour tuer et n’ayant de pouvoirs que pour cela, un bon coupe-tête en
chef, responsable, « enchaîné et le boulet aux pieds », tel est, depuis le
14 juillet 1789, son programme de gouvernement, et il n’en rougit pas : « tant
pis pour ceux qui ne sont pas à la hauteur de l’entendre ». Du premier coup, il a compris le
caractère de la révolution, non par génie, mais par sympathie, lui-même aussi
borné et aussi monstrueux qu’elle, atteint depuis trois ans de délire
soupçonneux et de monomanie homicide, réduit par l’appauvrissement mental à une
seule idée, celle du meurtre, ayant perdu jusqu’à la faculté du raisonnement
vulgaire, le dernier des journalistes, sauf pour les poissardes et les hommes à
piques, p.720 si monotone dans son paroxysme continu , qu’à lire ses numéros de suite on croit
entendre le cri incessant et rauque qui sort d’un cabanon de fou. Dès le 19
août, il a poussé le peuple aux prisons. « Le parti le plus sûr et le plus
sage, dit-il, est de se porter en armes à l’Abbaye, d’en arracher les traîtres,
particulièrement les officiers suisses et leurs complices, et de les passer au
fil de l’épée. Quelle folie que de vouloir faire leur procès ! Il est tout
fait. – Vous avez massacré les soldats ; pourquoi épargneriez-vous les
officiers, infiniment plus coupables ? » – Et, deux jours après, insistant avec
son imagination de bourreau : « Les soldats méritaient mille morts... Quant aux
officiers, ils méritent d’être écartelés, comme Louis Capet et ses suppôts du
Manège . » – Là-dessus la Commune l’adopte comme son journaliste officiel, lui
donne une tribune dans la salle de ses séances, lui confie le compte rendu de
ses actes, et tout à l’heure va le faire entrer dans son comité de surveillance
ou d’exécution.
Danton : il dira du 2 septembre aussi justement que du
10 août : « C’est moi qui l’ai fait
Mais un pareil énergumène n’est bon que
pour être un instigateur et un trompette ; tout au plus au dernier moment il
pourra figurer parmi les ordonnateurs subalternes. – L’entrepreneur en
chef est d’une autre espèce et d’une
autre taille, Danton, un vrai conducteur d’hommes : par son passé
et sa place, par son cynisme populacier, ses façons et son langage, par ses
facultés d’initiative et de commandement, par la force intempérante de sa
structure corporelle et mentale, par l’ascendant physique de sa volonté
débordante et absorbante, il est approprié d’avance à son terrible office. –
Seul de la Commune, il est devenu ministre, et il n’y a que lui pour abriter
l’attentat municipal sous le patronage ou sous l’inertie de l’autorité
centrale. – Seul de la Commune et du ministère, il est capable d’imprimer
l’impulsion et de coordonner l’action dans le pêle-mêle du chaos
révolutionnaire ; maintenant, au conseil des ministres, comme auparavant à
l’Hôtel de Ville, c’est lui qui gouverne. Dans la bagarre continue des
discussions incohérentes , à travers «
les propositions ex abrupto, les cris, les jurements, les allées et venues des
pétitionnaires interlocuteurs », on le voit maîtriser ses nouveaux collègues
par « sa voix de Stentor, par ses gestes d’athlète, par ses effrayantes menaces
», s’approprier leurs fonctions, leur dicter ses choix, « apporter des
commissions toutes dressées », se charger de tout, faire les propositions, les
arrêtés, les proclamations, les brevets », et, puisant à millions dans le
Trésor public, jeter la pâtée à ses dogues des Cordeliers et de la Commune, « à l’un 20 000 livres, à l’autre 10 000 »,
« pour la révolution, à cause de leur patriotisme » voilà tout son compte rendu.
Ainsi gorgée, la meute des « braillards » à jeun et des « intrigants » avides, tout le personnel actif des sections et des
clubs est dans sa main. On est bien fort avec ce cortège en temps
d’anarchie ; effectivement, pendant les
mois d’août et de septembre, Danton a régné, et plus tard il dira du 2
septembre aussi justement que du 10 août : « C’est moi qui l’ai fait ».
Non qu’il soit vindicatif ou sanguinaire
par nature
; tout au rebours avec un tempérament de
boucher, il a un cœur d’homme, et tout à l’heure, au risque de se
compromettre, contre la volonté de Marat et de Robespierre, il sauvera ses adversaires politiques,
Duport, Brissot, les Girondins, l’ancien côté droit . Non qu’il soit aveuglé par la peur, la
haine ou la théorie avec les emportements d’un clubiste, il a la lucidité d’un
politique, il n’est pas dupe des phrases ronflantes qu’il débite, il sait ce
que valent les coquins qu’il emploie ;
il n’a d’illusion ni sur les hommes, ni sur les choses, ni sur autrui, ni sur
lui-même ; s’il tue, c’est avec une pleine conscience de son œuvre, de son
parti, de la situation, de la révolution, et les mots crus que, de sa voix de
taureau, il lance au passage ne sont que la forme vive de la vérité exacte : «
Nous sommes de la canaille, nous sortons du ruisseau » ; avec les principes
d’humanité ordinaire, « nous y serions bientôt replongés ; nous ne pouvons gouverner qu’en faisant
peur ». — Les Parisiens sont des j... f..., il faut mettre une rivière de sang entre eux et les émigrés » — « Le tocsin qu’on va sonner n’est point
un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie... Pour les
vaincre, que faut-il ? De l’audace, et encore de l’audace, et toujours de
l’audace . » – « J’ai fait venir ma
mère, qui a 70 ans ; j’ai fait venir mes deux enfants, ils sont arrivés hier au
soir. Avant que les Prussiens entrent dans Paris, je veux que ma famille
périsse avec moi ; je veux que vingt mille flambeaux en un instant fassent de
Paris un tas de cendres . » – « C’est dans Paris qu’il faut se maintenir
par tous les moyens. Les républicains sont une minorité infime, et, pour
combattre, nous ne pouvons compter que sur eux ; le reste de la France est
attaché à la royauté. Il faut faire peur aux royalistes ! » – C’est
lui qui, le 28 août, obtient de l’Assemblée la grande visite domiciliaire par
laquelle la Commune emplit ses prisons. C’est lui qui, le 2 septembre, pour
paralyser la résistance des honnêtes gens, fait décréter la peine de mort
contre quiconque, « directement ou indirectement, refusera d’exécuter ou
entravera, de quelque manière que ce soit, les ordres donnés et les mesures
prises par le pouvoir exécutif ». C’est
lui qui, le même jour, annonce au journaliste Prudhomme le prétendu complot des
prisons, et, le surlendemain, lui envoie son secrétaire, Camille Desmoulins,
pour falsifier le compte rendu des massacres . C’est lui qui, le 3
septembre, au ministère de la justice, devant les commandants de bataillon et
les chefs de service, devant Lacroix, président de l’Assemblée nationale, et
Pétion, maire de Paris, devant Clavière, Servan, Monge, Lebrun et tout le
conseil exécutif, sauf Roland, réduit d’un geste les principaux personnages de
l’État à l’office de complices passifs et répond à un homme de cœur qui se lève
pour arrêter les meurtres : « Sieds-toi,
c’était nécessaire . » C’est lui
qui, le même jour, fait expédier sous son contre-seing la circulaire par
laquelle le comité de surveillance
annonce le massacre et invite « ses frères des départements » à suivre
l’exemple de Paris . C’est lui qui,
le 10 septembre, « non comme ministre de
la justice, mais comme ministre du peuple, » félicitera et remerciera les
égorgeurs de Versailles . – Depuis le 10
août, par Billaud-Varennes, son ancien secrétaire, par Fabre d’Églantine, son
secrétaire du sceau, par Tallien, secrétaire de la Commune et son plus intime
affidé, il est présent à toutes les délibérations de l’Hôtel de Ville, et, à la
dernière heure, il a soin de mettre au comité de surveillance un homme à lui,
le chef de bureau Deforgues . – Non seulement la machine à faucher a été
construite sous ses yeux et avec son assentiment, mais encore, au moment où
elle entre en branle, il en garde en main la poignée pour en diriger la faux.
Septembre est le début, l’abrégé, le
modèle ; on ne fera pas autrement ni mieux au plus beau temps de la guillotine.- les exécuteurs
Il a raison : si
parfois il n’enrayait pas, elle se briserait par son propre jeu. Introduit dans le comité comme professeur
de saignée politique, Marat, avec la raideur de l’idée fixe, tranchait à fond
au delà de la ligne prescrite ; déjà des mandats d’arrêt étaient lancés
contre trente députés, on fouillait les papiers de Brissot, l’hôtel de Roland
était cerné, Duport, empoigné dans un département voisin, arrivait dans la
boucherie. Celui-ci est le plus difficile à sauver ; il faut des coups de
collier redoublés pour l’arracher au maniaque qui le réclame. Avec un
chirurgien comme Marat, et des carabins comme les cinq ou six cents meneurs de
la Commune et des sections, on n’a pas besoin de pousser le manche du couteau,
on sait d’avance que l’amputation sera large. Leurs noms seuls parlent assez
haut : à la Commune, Manuel,
procureur-syndic, Hébert et Billaud-Varennes, ses deux substituts, Huguenin, Lhuillier, M.-J. Chénier,
Audouin, Léonard Bourdon, Boula et Truchon, présidents successifs ; à la
Commune et aux sections, Panis, Sergent, Tallien, Rossignol, Chaumette, Fabre d’Églantine, Pache,
Hassen¬fratz, le cordonnier Simon, l’imprimeur Momoro ; à la garde nationale,
Santerre, commandant général, Henriot,
chef de bataillon, au-dessous d’eux, la tourbe des démagogues de quartier,
comparses de Danton, d’Hébert ou de Robespierre, et guillotinés plus tard avec
leurs chefs de file , bref la fleur des futurs terroristes. –
Ils font aujourd’hui leur premier pas dans le sang, chacun avec son attitude
propre et ses mobiles personnels, M.-J.
Chénier, dénoncé comme membre du club de la Sainte-Chapelle et d’autant
plus exagéré qu’il est suspect ; Manuel, pauvre homme excitable, effaré,
entraîné, et qui frémira de son œuvre après l’avoir vue ; Santerre, beau figurant circonspect qui, le 2 septembre, sous
prétexte de garder les bagages, monte sur le siège d’une berline arrêtée et y
reste deux heures pour ne pas faire son office de commandant général ; Panis,
président du comité de surveillance, bon subalterne, né disciple et caudataire,
admirateur de Robespierre, qu’il a proposé pour la dictature, et de Marat,
qu’il prône comme un prophète ; Henriot, Hébert et Rossignol,
simples malfaiteurs en écharpe ou en uniforme ; Collot d’Herbois, comédien-poétereau, dont l’imagination théâtrale
combine avec satisfaction des horreurs de mélodrame ; Billaud-Varennes,
ancien oratorien, bilieux et sombre, aussi froid devant les meurtres qu’un
inquisiteur devant un autodafé ; enfin le cauteleux Robespierre, qui pousse les
autres sans s’engager, ne signe rien, ne donne point d’ordres, harangue
beaucoup, conseille toujours, se montre partout, prépare son règne, et,
tout d’un coup, au dernier moment, comme un chat qui saute sur sa proie, tâche
de faire égorger ses rivaux les Girondins
.
Jusqu’ici, quand ils tuaient ou faisaient
tuer, c’était en émeutiers, dans la rue ; à présent, c’est aux prisons, en
magistrats et fonctionnaires, sur des registres d’écrou, après constatation
d’identité et jugement sommaire, par des exécuteurs payés, au nom du salut
public, avec méthode et sang-froid, presque aussi régulièrement que plus tard
sous « le gouvernement révolutionnaire ». Effectivement
Septembre en est le début, l’abrégé, le modèle ; on ne fera pas autrement ni
mieux au plus beau temps de la guillotine.
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