La répression des révoltes départementales
; Bordeaux, Lyon, Marseille, Toulon, villes martyres. Les massacres, L’action
des représentants en mission. Septembriseur devient un nom commun.
Le Jacobin : Despote par instinct et
par institution, son dogme l’a sacré roi
Avec un seau d’eau froide jeté à propos,
la Montagne pouvait éteindre la flamme qu’elle avait allumée dans
les grandes cités républicaines ; sinon, il ne lui restait qu’à la laisser
grandir, à l’attiser de ses propres mains, au risque d’embraser la patrie, sans
autre espoir que d’étouffer l’incendie sous un monceau de ruines, sans autre
but que de régner sur des vaincus, sur des captifs et sur des morts.
Mais justement,
tel est le but du jacobin ; car il ne se
contente pas à moins d’une soumission sans limites ; il veut régner à tout prix, à discrétion, n’importe par quels
moyens, n’importe sur quels débris. Despote
par instinct et par institution, son dogme l’a sacré roi ; il l’est de
droit naturel et divin, comme un Philippe II d’Espagne, béni par son
saint-office. C’est pourquoi il ne peut abandonner la moindre parcelle de son
autorité, sans en invalider le principe, ni traiter avec des rebelles, sauf
lorsqu’ils se rendent à merci ; par cela seul qu’ils se sont insurgés contre le
souverain légitime, ils sont des traîtres et de scélérats. Et quels plus grands
scélérats que les faux frères qui, au
moment où la secte, après trois ans d’attente et d’efforts, montait enfin au
pouvoir, se sont opposés à son avènement ! À Nîmes, Toulouse, Bordeaux, Toulon
et Lyon, non seulement ils ont prévenu ou arrêté chez eux le coup de main que
la capitale avait subi, mais encore ils ont terrassé les agresseurs, fermé le
club, désarmé les énergumènes, arrêté les principaux Maratistes ; bien pis, à
Toulon et à Lyon, cinq ou six massacreurs ou promoteurs de massacres, Châlier et Riard, Jassaud, Sylvestre et Lemaille, traduits devant les tribunaux, ont été condamnés et
exécutés, après un procès conduit dans toutes les formes. – Voilà le crime
inexpiable ; car, dans ce procès, la Montagne est en cause ; les principes de
Sylvestre et de Châlier sont les siens ; ce qu’elle a fait à Paris, ils l’ont
tenté en province ; s’ils sont coupables, elle l’est aussi ; elle ne peut
tolérer leur punition sans consentir à la sienne. Il faut donc qu’elle les
proclame héros et martyrs, qu’elle canonise leur mémoire , qu’elle venge leur supplice, qu’elle
reprenne et poursuive leurs attentats, qu’elle remette leurs complices en
place, qu’elle les fasse omnipotents, qu’elle courbe chaque cité rebelle sous
la domination de sa populace et de ses malfaiteurs. Peu importe que les
Jacobins y soient en minorité, qu’à Bordeaux
ils n’aient pour eux que quatre sections sur vingt-huit, qu’à Marseille ils n’aient pour eux que cinq
sections sur trente-deux, qu’à Lyon ils ne puissent compter que quinze cents
fidèles . Les suffrages ne se comptent pas, ils se pèsent ; car le droit se
fonde, non sur le nombre, mais sur le patriotisme, et le peuple souverain ne se
compose que des sans-culottes. Tant pis pour les villes où la majorité
contre-révolutionnaire est si grande : elles n’en sont que plus dangereuses ;
sous leurs démonstrations républicaines se cache l’hostilité des anciens partis
et des classes suspectes, modérés, feuillants et royalistes, négociants, hommes
de loi rentiers et muscadins . Ce sont
des nids de reptiles ; il n’y a rien à faire qu’à les écraser…
Le martyre de Bordeaux, Marseille, Lyon,
Toulon..
En effet, soumis
ou insoumis, on les écrase. Sont déclarés traîtres à la patrie, non seulement
les membres des comités départementaux, mais, à Bordeaux, tous ceux qui ont «
concouru ou adhéré aux actes de la Commission de salut public », à Lyon, tous
les administrateurs, fonctionnaires, officiers civils ou militaires qui ont «
convoqué ou souffert le congrès de Rhône-et-Loire », bien plus, « tout individu
dont le fils, ou le commis, ou le serviteur, ou même l’ouvrier d’habitude, aura
porté les armes ou contribué aux moyens de résistance », c’est-à-dire la garde
nationale entière, qui s’est armée, et la population presque entière, qui a
fourni son argent ou voté dans ses sections
. – En vertu du décret, tous les dissidents sont « hors la loi »,
c’est-à-dire bons à guillotiner sur simple constatation d’identité, et leurs
biens confisqués. En conséquence, à Bordeaux,
où pas un coup de fusil n’a été tiré, le maire Saige, principal auteur de la
soumission, est sur-le-champ conduit à l’échafaud, sans autre forme de
procès , et 881 autres l’y suivent, au
milieu du silence morne d’un peuple consterné ; 200 gros négociants sont arrêtés en une
nuit ; plus de 1 500 personnes sont emprisonnées ; on rançonne tous les gens
aisés, même ceux contre lesquels on n’a pu trouver de griefs politiques ; neuf
millions d’amendes sont perçus « sur les riches égoïstes ». Tel , accusé « d’insouciance et de modérantisme
», paye 20 000 francs, pour « ne pas s’être attelé au char de la Révolution ».
Tel autre, « convaincu d’avoir manifesté son mépris pour sa section et pour les
pauvres en donnant 30 livres par mois », est taxé à 1 200 000 livres, et les
nouvelles autorités, un maire escroc, douze coquins qui composent le Comité
révolutionnaire, trafiquent des biens et des vies…
A Marseille, dit Danton , « il s’agit de donner une grande leçon à
l’aristocratie marchande » ; nous devons « nous montrer aussi terribles envers
les marchands qu’envers les nobles et les prêtres » ; là-dessus, 12 000 sont
proscrits, et leurs biens mis en vente .
Dès le premier jour la guillotine travaillait à force ; néanmoins, le
représentant Fréron la juge lente et
trouve le moyen de l’accélérer. « La Commission militaire que nous avons
établie à la place du Tribunal révolutionnaire, écrit-il lui-même, va un train épouvantable contre les
conspirateurs... Ils tombent comme la grêle, sous le glaive de la loi.
Quatorze ont déjà payé de leurs têtes leurs infâmes trahisons. Demain, seize
doivent être guillotinés, presque tous chefs de légion, notaires,
sectionnaires, membres du tribunal populaire ; demain, trois négociants dansent
aussi la carmagnole ; c’est à eux que nous nous attachons . » Hommes et choses, il faut que tout
périsse : il veut démolir la ville et propose de combler le port. Retenu à grand’peine,
il se contente de détruire « les repaires de l’aristocratie », deux églises, la
salle des concerts, les maisons environnantes, et vingt-trois édifices où les
sections rebelles avaient siégé.
A Lyon, pour accroître le butin, les
représentants, par des promesses vagues, ont pris soin de rassurer d’abord les
industriels et les négociants : ceux-ci ont rouvert leurs magasins ; les
marchandises précieuses, les livres de recette, les portefeuilles ont été tirés
de leurs cachettes. Incontinent la proie étalée est saisie ; on dresse « le
tableau de toutes les propriétés appartenant aux riches et aux
contre-révolutionnaires » ; on les « confisque au profit des patriotes de la
ville » ; on impose en sus une taxe de 6 millions, payable dans la semaine par ceux
que la confiscation peut encore épargner
; on proclame en principe que le superflu de chaque particulier est le
patrimoine des sans-culottes, et que tout ce qu’il conserve au delà du strict
nécessaire est un vol commis par lui au détriment de la nation . Conformément à cette règle, une rafle
universelle et prolongée pendant six mois met toutes les fortunes d’une cité de
120 000 âmes aux mains de ses chenapans. Trente-deux comités révolutionnaires,
« dont les membres se tiennent comme teignes, choisissent des milliers de
gardiateurs à leur dévotion » ; dans
les hôtels et magasins séquestrés, ils ont apposé les scellés sans dresser
d’inventaire ; ils ont chassé du logis la femme, les enfants, les domestiques,
« pour n’avoir pas de témoins » ; ils ont gardé les clefs, ils entrent et
sortent à volonté, ou s’installent pour faire des orgies avec des filles. — En
même temps, on guillotine, on fusille, on mitraille ; officiellement, la commission révolutionnaire avoue 1 682 meurtres en
cinq mois, et, secrètement, un affidé de Robespierre en déclare 6 000 . Des
maréchaux ferrants sont condamnés à mort pour avoir ferré les chevaux de la
cavalerie lyonnaise ; des pompiers, pour avoir éteint l’incendie allumé par les
bombes républicaines ; une veuve, pour avoir payé la contribution de guerre
pendant le siège ; des revendeuses de poisson, pour avoir manqué de respect aux
patriotes. « C’est une septembrisade
» organisée, légale, et qui dure ; les auteurs ont si bien conscience de la
chose, que dans leur correspondance publique ils écrivent le mot .
— A Toulon, c’est pis : on tue en tas, presque
au hasard. Quoique les habitants les plus compromis, au nombre de 4 000, se
soient réfugiés sur les vaisseaux anglais, toute la ville, au dire des
représentants, est coupable. Quatre
cents ouvriers de la marine étant venus au-devant de Fréron, il remarque qu’ils
ont travaillé pendant l’occupation anglaise, et les fait mettre à mort sur
place. Ordre « aux bons citoyens de se rendre au Champ de Mars sous peine
de vie » ; ils y viennent au nombre de 3 000. Fréron, à cheval, entouré de canons et de troupes, arrive avec une
centaine de Maratistes, anciens complices de Lemaille, Sylvestre et autres
assassins notoires ; ce sont ses auxiliaires et conseillers locaux ; il leur
dit de choisir dans la foule, à leur gré, selon leur rancune, leur envie ou
leur caprice tous ceux qu’ils ont désignés sont rangés le long d’un mur, et
l’on tire dessus . Le lendemain et les
jours suivants, l’opération recommence : Fréron écrit, le 16 nivôse, « qu’il y a déjà 800 Toulonnais de fusillés ». — «
Fusillade, dit-il dans une autre lettre, et fusillade encore, jusqu’à ce qu’il
n’y ait plus de traîtres. » Ensuite, pendant les trois mois qui suivent, la guillotine expédie 1 800 personnes ;
onze jeunes femmes montent à la fois sur l’échafaud, pour célébrer une fête
républicaine ; un vieillard de quatre-vingt-quatorze ans y est porté sur une
chaise à bras ; et de vingt-huit mille habitants, la population tombe à six ou
sept mille.
Tout cela ne
suffit pas ; il faut que les deux cités qui ont osé soutenir un siège
disparaissent du sol français. La Convention décrète que « la ville de Lyon
sera détruite ; tout ce qui fut habité
par des riches sera démoli ; il ne restera que la maison du pauvre, les
habitations des patriotes égorgés ou proscrits, les édifices spécialement
employés à l’industrie, les monuments consacrés à l’humanité et à l’instruction
publique ». — Pareillement, à Toulon , «
les maisons de l’intérieur seront rasées ; il n’y sera conservé que les
établissements nécessaires au service de la guerre et de la marine, des
subsistances et des approvisionnements ». En conséquence, 12 000 maçons sont
requis dans le Var, et dans les départements voisins, pour raser Toulon. – A Lyon,
14 000 ouvriers jettent à bas le château de Pierre-Encize, les superbes maisons
de la place Belle-cour, celles du quai Saint-Clair, celles des rues de Flandre
et de Bourgneuf, quantité d’autres : l’opération coûte 400 000 livres par
décade ; en six mois la République dépense quinze millions pour détruire trois
ou quatre cents millions de valeurs appartenant à la République . Depuis
les Mongols du cinquième et du treizième siècle, on n’avait pas vu des abatis
si énormes et si déraisonnables, une telle fureur contre les œuvres les plus
utiles de l’industrie et de la civilisation humaines. – Encore, de la part des
Mongols, qui étaient nomades, cela se comprend : ils voulaient faire de la
terre une grande steppe.
Avec une emphase inepte et sinistre, le
Jacobin décrète l’extermination des hérétiques : non seulement
leurs monuments et leurs habitations seront anéantis avec leurs personnes, mais
encore leurs derniers vestiges seront abolis, et leurs noms même rayés de la
mémoire des hommes . – « Le nom de
Toulon sera supprimé ; cette commune portera désormais le nom de
Port-la-Montagne. » – Le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de la
République ; la réunion des maisons conservées portera désormais le nom de
Ville-Affranchie. Il sera élevé sur les ruines de Lyon une colonne..., avec
cette inscription ; Lyon fit la guerre à la liberté. Lyon n’est plus ».
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