La
médiocrité des leaders jacobins : Buchot, Henrion, Une séance chez les
Jacobins : obtenir un certificat de civisme ; Chalendon, l’exterminateur du Marais
La
médiocrité des leaders jacobins : Buchot, Henrion
Regardons de près quelques figures ; plus elles
sont en vue et à la première place, plus la grandeur de l’office met en lumière
l’indignité du potentat. – Il en est un que l’on a déjà vu en passant, Buchot,
noté deux fois par Robespierre, et de la
propre main de Robespierre, comme « un homme probe, énergique et capable des
fonctions les plus importantes ».
Nommé par le Comité de Salut public « commissaire aux relations extérieures »,
c’est-à-dire ministre des affaires étrangères, il s’est maintenu dans ce haut
p.178 poste pendant près de six mois. C’est un maître d’école du Jura , récemment débarqué de sa petite ville, et
dont « l’ignorance, les manières ignobles et la stupidité surpassent tout ce
qu’on peut imaginer. Les chefs de division ont renoncé à travailler avec lui ;
il ne les voit ni ne les demande. On ne le trouve jamais dans son cabinet, et,
quand il est indispensable de lui demander sa signature pour quelque
légalisation, seul acte auquel il ait réduit ses fonctions, il faut aller la
lui arracher au café Hardy, où il passe habituellement ses journées ». Bien
entendu, il est envieux et haineux, il se venge de son incapacité sur ceux dont
la compétence lui fait sentir son ineptie, il les dénonce comme modérés, il
parvient enfin à faire décerner un mandat d’arrêt contre ses quatre chefs de
services, et, le matin du 9 Thermidor, avec un sourire atroce, il annonce à
l’un d’eux, M. Miot, la bonne nouvelle.
– Par malheur, après Thermidor, voilà Buchot
destitué et M. Miot mis à sa place… Buchot,
songe tout de suite au solide, et d’abord il demande à garder provisoirement
son appartement au ministère. La chose accordée, il remercie, dit à M. Miot
qu’on a bien fait de le nommer. « Mais moi, c’est très désagréable ; on m’a
fait venir à Paris, on m’a fait quitter mon état en province, et maintenant on
me laisse sur le pavé. » Là-dessus, avec une impudence admirable, il demande à
l’homme qu’il a voulu guillotiner une place de commis au ministère. M. Miot
essaye de lui faire entendre qu’il serait peu convenable à un ancien ministre
de descendre ainsi. Buchot trouve cette délicatesse étrange et, voyant
l’embarras de M. Miot, finit par lui dire : « Si vous ne me trouvez pas capable
de remplir une place de commis, je me contenterai de celle de garçon de bureau.
» – Il s’est jugé lui-même, à sa valeur.
L’autre, que nous avons aussi rencontré et que l’on
connaît déjà par ses actes, général à Paris de toute la force armée, commandant
en chef de 110 000 hommes, est cet ancien domestique ou petit clerc chez le
procureur Formey, qui, chassé par son patron pour vol, enfermé à Bicêtre, tour
à tour mouchard, matamore de spectacle forain, commis aux barrières et
massacreur de Septembre, a purgé la Convention, le 2 juin ; bref, le fameux
Henriot, aujourd’hui simple soudard et soulard. En cette dernière qualité,
malgré ses connivences avec Hébert et les Cordeliers, on l’a épargné dans le
procès des exagérés. On l’a gardé comme instrument, sans doute parce qu’il est
borné, brutal et maniable, plus compromis que personne, bon à p.179 tout faire,
hors d’état de se rendre indépendant, sans services dans l’armée , sans prestige sur les vrais soldats,
général intrus, de parade et de rue, plus populacier que la populace. Avec son
hôtel, sa loge à l’Opéra-Comique, ses chevaux, son importance dans les fêtes et
revues, surtout avec des orgies, il est content. — Le soir, en grand uniforme,
escorté de ses aides de camp, il galope jusqu’à Choisy-sur-Seine, et là, dans
la maison d’un complaisant, nommé Fauvel, avec des affidés de Robespierre ou
des démagogues du lieu, il fait ripaille : on sable les vins du duc de Coigny,
on casse les verres, les assiettes et les bouteilles, on va faire tapage dans
les bastringues voisins, on y enfonce les portes, on brise les bancs et les
chaises, bref on s’amuse. — Le lendemain, ayant cuvé son vin, il dicte ses
ordres du jour, vrais chefs-d’œuvre, où la niaiserie de l’imbécile, la
crédulité du badaud, la sentimentalité de l’ivrogne, le boniment du
saltimbanque et les tirades apprises du philosophe à cinquante francs par jour,
se fondent ensemble en une mixture unique, à la fois écœurante et brûlante…
Une
séance chez les Jacobins : obtenir un certificat de civisme
Il est
curieux de les voir en séance.
Vers la fin de septembre 1793 , un des
vétérans de la philosophie libérale, de l’économie politique et de l’Académie
française, le vieil abbé Morellet, ruiné
par la Révolution, a besoin d’un certificat de civisme pour toucher la
petite pension de 1 000 francs que l’Assemblée Constituante lui a votée en récompense
de ses écrits, et la Commune, qui veut se renseigner, lui choisit trois
examinateurs.
Naturellement, il fait auprès d’eux toutes les
démarches préalables. D’abord, il écrit « un billet bien humble, bien civique
», au président du Conseil général, Lubin fils, ancien rapin qui, ayant quitté
les arts pour la politique, vit chez son père, boucher, rue Saint-Honoré.
Morellet traverse l’étal, marche dans les flaques de la tuerie, et admis après
quelque attente, trouve son juge au lit et plaide sa cause. Puis il visite
Bernard, ex-prêtre, « fait comme un brûleur de maisons, d’une figure ignoble »,
et salue respectueusement la dame du logis, « une petite femme assez jeune,
mais bien laide et bien malpropre ». Enfin il porte ses dix ou douze volumes au
plus important des trois commissaires, Vialard, « ex-coiffeur de dames » ;
celui-ci est presque un collègue : « car, dit-il, j’ai toujours aimé les
mécaniques, et j’ai présenté à l’Académie des Sciences un toupet de mon
invention ». Mais le pétitionnaire ne s’est point montré dans la rue au 10
août, ni au 2 septembre, ni au 31 mai ; comment,
après ces marques de tiédeur, lui accorder un certificat de civisme ?
Morellet ne se rebute point, attend le tout-puissant coiffeur à l’Hôtel de
Ville et l’aborde plusieurs fois au passage. L’autre, « avec plus de morgue et
de distraction que le ministre de la guerre le plus inabordable n’en montra
jamais au plus petit lieutenant d’infanterie », écoutant à peine et marchant
toujours, va s’asseoir, et Morellet, dix
ou douze fois, bien malgré lui, assiste aux séances.
– Étranges
séances où des députations, des volontaires, des amateurs patriotes viennent
tour à tour déclamer et chanter, où tout le Conseil général chante, où le
président Lubin, « orné de son écharpe », entonne lui-même, par cinq ou six
fois, la Marseillaise, le Ça ira, des chansons à plusieurs couplets sur des
airs de l’Opéra-Comique, et toujours « hors de mesure, avec une voix, des
agréments et des manières de beau Léandre. Je crois bien que, dans la dernière
séance, il chanta ainsi en solo à peu près trois quarts d’heure, en différentes
fois, l’assemblée répétant le dernier vers du couplet ». – « Mais c’est drôle, disait à côté de Morellet
une femme du peuple ; c’est drôle de passer comme ça tout le temps de leur
assemblée à chanter. Est-ce qu’ils sont là pour ça ? » Non pas seulement
pour cela : après la parade de foire, les harangueurs ordinaires, et surtout le
coiffeur de dames, « viennent, d’une voix forcenée, avec des gestes furibonds
», lancer des motions meurtrières. Voilà les beaux parleurs et les hommes de décor. – Les autres, qui ne
parlent pas et savent à peine écrire, agissent et empoignent. Tel est un
certain Chalandon, membre de la
Commune président du comité
révolutionnaire de la section de l’Homme Arme, et probablement très bon
chasseur d’hommes ; car « les comités du gouvernement lui ont accordé droit de
surveillance sur toute la rive droite de la Seine, et, muni de pouvoirs
extraordinaires, il règne, du fond de son échoppe, sur la moitié de Paris.
Malheur aux gens dont il a eu à se plaindre, à ceux qui lui ont retiré ou ne
lui ont pas donné leur pratique ! Souverain de son quartier jusqu’au 10
thermidor, ses dénonciations sont des arrêts de mort » ; il y a des rues, notamment celle du Grand-Chantier, qu’il «
dépeuple ». Et cet exterminateur du Marais est un « savetier », collègue en
cuirs et à la Commune de Simon, le précepteur et le meurtrier du petit Dauphin.
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