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lundi 21 août 2017

Taine _ La Révolution- Le Gouvernement révolutionnaire_103_ le club des Jacobins sous la Terreur

La médiocrité des leaders jacobins : Buchot, Henrion, Une séance chez les Jacobins : obtenir un certificat de civisme ;  Chalendon, l’exterminateur du Marais

La médiocrité des leaders jacobins : Buchot, Henrion

Regardons de près quelques figures ; plus elles sont en vue et à la première place, plus la grandeur de l’office met en lumière l’indignité du potentat. – Il en est un que l’on a déjà vu en passant, Buchot, noté deux fois par Robespierre, et de la propre main de Robespierre, comme « un homme probe, énergique et capable des fonctions les plus importantes   ». Nommé par le Comité de Salut public « commissaire aux relations extérieures », c’est-à-dire ministre des affaires étrangères, il s’est maintenu dans ce haut p.178 poste pendant près de six mois. C’est un maître d’école du Jura  , récemment débarqué de sa petite ville, et dont « l’ignorance, les manières ignobles et la stupidité surpassent tout ce qu’on peut imaginer. Les chefs de division ont renoncé à travailler avec lui ; il ne les voit ni ne les demande. On ne le trouve jamais dans son cabinet, et, quand il est indispensable de lui demander sa signature pour quelque légalisation, seul acte auquel il ait réduit ses fonctions, il faut aller la lui arracher au café Hardy, où il passe habituellement ses journées ». Bien entendu, il est envieux et haineux, il se venge de son incapacité sur ceux dont la compétence lui fait sentir son ineptie, il les dénonce comme modérés, il parvient enfin à faire décerner un mandat d’arrêt contre ses quatre chefs de services, et, le matin du 9 Thermidor, avec un sourire atroce, il annonce à l’un d’eux, M. Miot, la bonne nouvelle.
– Par malheur, après Thermidor, voilà Buchot destitué et M. Miot mis à sa place… Buchot, songe tout de suite au solide, et d’abord il demande à garder provisoirement son appartement au ministère. La chose accordée, il remercie, dit à M. Miot qu’on a bien fait de le nommer. « Mais moi, c’est très désagréable ; on m’a fait venir à Paris, on m’a fait quitter mon état en province, et maintenant on me laisse sur le pavé. » Là-dessus, avec une impudence admirable, il demande à l’homme qu’il a voulu guillotiner une place de commis au ministère. M. Miot essaye de lui faire entendre qu’il serait peu convenable à un ancien ministre de descendre ainsi. Buchot trouve cette délicatesse étrange et, voyant l’embarras de M. Miot, finit par lui dire : « Si vous ne me trouvez pas capable de remplir une place de commis, je me contenterai de celle de garçon de bureau. » – Il s’est jugé lui-même, à sa valeur.

L’autre, que nous avons aussi rencontré et que l’on connaît déjà par ses actes, général à Paris de toute la force armée, commandant en chef de 110 000 hommes, est cet ancien domestique ou petit clerc chez le procureur Formey, qui, chassé par son patron pour vol, enfermé à Bicêtre, tour à tour mouchard, matamore de spectacle forain, commis aux barrières et massacreur de Septembre, a purgé la Convention, le 2 juin ; bref, le fameux Henriot, aujourd’hui simple soudard et soulard. En cette dernière qualité, malgré ses connivences avec Hébert et les Cordeliers, on l’a épargné dans le procès des exagérés. On l’a gardé comme instrument, sans doute parce qu’il est borné, brutal et maniable, plus compromis que personne, bon à p.179 tout faire, hors d’état de se rendre indépendant, sans services dans l’armée  , sans prestige sur les vrais soldats, général intrus, de parade et de rue, plus populacier que la populace. Avec son hôtel, sa loge à l’Opéra-Comique, ses chevaux, son importance dans les fêtes et revues, surtout avec des orgies, il est content. — Le soir, en grand uniforme, escorté de ses aides de camp, il galope jusqu’à Choisy-sur-Seine, et là, dans la maison d’un complaisant, nommé Fauvel, avec des affidés de Robespierre ou des démagogues du lieu, il fait ripaille : on sable les vins du duc de Coigny, on casse les verres, les assiettes et les bouteilles, on va faire tapage dans les bastringues voisins, on y enfonce les portes, on brise les bancs et les chaises, bref on s’amuse. — Le lendemain, ayant cuvé son vin, il dicte ses ordres du jour, vrais chefs-d’œuvre, où la niaiserie de l’imbécile, la crédulité du badaud, la sentimentalité de l’ivrogne, le boniment du saltimbanque et les tirades apprises du philosophe à cinquante francs par jour, se fondent ensemble en une mixture unique, à la fois écœurante et brûlante…

Une séance chez les Jacobins : obtenir un certificat de civisme

Il est curieux de les voir en séance. Vers la fin de septembre 1793  , un des vétérans de la philosophie libérale, de l’économie politique et de l’Académie française, le vieil abbé Morellet, ruiné par la Révolution, a besoin d’un certificat de civisme pour toucher la petite pension de 1 000 francs que l’Assemblée Constituante lui a votée en récompense de ses écrits, et la Commune, qui veut se renseigner, lui choisit trois examinateurs.
Naturellement, il fait auprès d’eux toutes les démarches préalables. D’abord, il écrit « un billet bien humble, bien civique », au président du Conseil général, Lubin fils, ancien rapin qui, ayant quitté les arts pour la politique, vit chez son père, boucher, rue Saint-Honoré. Morellet traverse l’étal, marche dans les flaques de la tuerie, et admis après quelque attente, trouve son juge au lit et plaide sa cause. Puis il visite Bernard, ex-prêtre, « fait comme un brûleur de maisons, d’une figure ignoble », et salue respectueusement la dame du logis, « une petite femme assez jeune, mais bien laide et bien malpropre ». Enfin il porte ses dix ou douze volumes au plus important des trois commissaires, Vialard, « ex-coiffeur de dames » ; celui-ci est presque un collègue : « car, dit-il, j’ai toujours aimé les mécaniques, et j’ai présenté à l’Académie des Sciences un toupet de mon invention ». Mais le pétitionnaire ne s’est point montré dans la rue au 10 août, ni au 2 septembre, ni au 31 mai ; comment, après ces marques de tiédeur, lui accorder un certificat de civisme ? Morellet ne se rebute point, attend le tout-puissant coiffeur à l’Hôtel de Ville et l’aborde plusieurs fois au passage. L’autre, « avec plus de morgue et de distraction que le ministre de la guerre le plus inabordable n’en montra jamais au plus petit lieutenant d’infanterie », écoutant à peine et marchant toujours, va s’asseoir, et Morellet, dix ou douze fois, bien malgré lui, assiste aux séances.

 – Étranges séances où des députations, des volontaires, des amateurs patriotes viennent tour à tour déclamer et chanter, où tout le Conseil général chante, où le président Lubin, « orné de son écharpe », entonne lui-même, par cinq ou six fois, la Marseillaise, le Ça ira, des chansons à plusieurs couplets sur des airs de l’Opéra-Comique, et toujours « hors de mesure, avec une voix, des agréments et des manières de beau Léandre. Je crois bien que, dans la dernière séance, il chanta ainsi en solo à peu près trois quarts d’heure, en différentes fois, l’assemblée répétant le dernier vers du couplet ». – « Mais c’est drôle, disait à côté de Morellet une femme du peuple ; c’est drôle de passer comme ça tout le temps de leur assemblée à chanter. Est-ce qu’ils sont là pour ça ? » Non pas seulement pour cela : après la parade de foire, les harangueurs ordinaires, et surtout le coiffeur de dames, « viennent, d’une voix forcenée, avec des gestes furibonds », lancer des motions meurtrières. Voilà les beaux parleurs   et les hommes de décor. – Les autres, qui ne parlent pas et savent à peine écrire, agissent et empoignent. Tel est un certain Chalandon, membre de la Commune   président du comité révolutionnaire de la section de l’Homme Arme, et probablement très bon chasseur d’hommes ; car « les comités du gouvernement lui ont accordé droit de surveillance sur toute la rive droite de la Seine, et, muni de pouvoirs extraordinaires, il règne, du fond de son échoppe, sur la moitié de Paris. Malheur aux gens dont il a eu à se plaindre, à ceux qui lui ont retiré ou ne lui ont pas donné leur pratique ! Souverain de son quartier jusqu’au 10 thermidor, ses dénonciations sont des arrêts de mort » ; il y a des rues, notamment celle du Grand-Chantier, qu’il « dépeuple ». Et cet exterminateur du Marais est un « savetier », collègue en cuirs et à la Commune de Simon, le précepteur et le meurtrier du petit Dauphin.

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