Les représentants en
mission dans les départements : la folie homicide. Fouché, Fréron, Collot,
Carrer. Le club des Jacobins parisiens sous la Terreur ; la folie
épuratoire. Les certificats de civisme : Quiconque n’est pas de la bande
n’est pas de la cité. Ils se dénoncent les uns après les autres
Les représentants en
mission dans les départements : la folie homicide
Pareillement, dans la plupart des autres
pachaliks, si quelque tête, condamnée mentalement par le pacha, échappe ou
tarde à tomber, celui-ci s’indigne contre les délais et les formes de la
justice, contre les juges et les jurés que souvent il a choisis lui-même.
Javogues écrit une lettre d’injures à la commission de Feurs qui a osé
acquitter deux ci-devant. Laignelot, Le Carpentier, Milhaud, Monestier, Lebon,
cassent, recomposent ou remplacent les commissions de Fontenay, de Saint-Malo
et de Perpignan, les tribunaux d’Aurillac, de Pau, de Nîmes et d’Arras, qui
n’ont pas jugé à leur fantaisie . Lebon,
Bernard de Saintes, Dartigoeyte et Fouché remettent en jugement, pour le même
fait, des prévenus solennellement acquittés par leurs propres tribunaux. Bô,
Prieur de la Marne et Lebon envoient en prison des juges ou jurés qui
ne veulent pas voter toujours la mort
. Barras et Fréron expédient, de brigade en
brigade, au tribunal révolutionnaire de Paris, l’accusateur public et le
président du tribunal révolutionnaire de Marseille, comme indulgents et contre-révolutionnaires, parce que, sur 528 prévenus, ils
n’en ont fait guillotiner que 162 .
– Contredire le représentant infaillible ! Cela seul est une offense ; le
représentant se doit à lui-même de punir les indociles, de ressaisir les
délinquants absous, et de soutenir ses cruautés par des cruautés.
Quand on a bu longtemps d’une boisson nauséabonde
et forte, non seulement le palais s’y habitue, mais parfois il y prend goût ;
bientôt il la veut plus forte ; à la fin, il l’avale pure, toute crue, sans
aucun mélange pour en adoucir l’âcreté, sans aucun assaisonnement pour en
déguiser l’horreur. – Tel est, pour certaines imaginations, le spectacle du
sang humain ; après s’y être accoutumées, elles s’y complaisent. Lequinio,
Laignelot et Lebon font dîner le bourreau à leur table ; Monestier, « avec ses coupe-jarrets, va
lui-même chercher les prévenus dans les cachots, les accompagne au tribunal,
les accable d’invectives s’ils veulent se défendre, et, après les avoir fait
condamner, assiste en costume » à leur supplice
. Fouché, lorgnette en main,
regarde de sa fenêtre une boucherie de deux cent dix Lyonnais. Collot, La Porte
et Fouché font ripaille, en grande compagnie, les jours de fusillade, et, au
bruit de la décharge, se lèvent, avec des cris d’allégresse, en agitant leurs
chapeaux . À Toulon, c’est Fréron en
personne qui commande et fait exécuter sous ses yeux le premier grand massacre
du champ de Mars . – Sur la place
d’Arras, M. de Vielfort, déjà lié et couché sur la planche, attendait la chute
du couperet. Lebon paraît au balcon du théâtre, fait signe au bourreau
d’arrêter, ouvre le journal, lit et commente à haute voix, pendant plus de dix
minutes, les succès récents des armées françaises ; puis, se tournant vers le
condamné : « Va, scélérat, apprendre à tes pareils les nouvelles de nos
victoires . » – À Feurs, où les
fusillades se font chez M. du Rosier, dans la grande allée du parc, la fille de
la maison, une toute jeune femme, vient en pleurant demander à Javogues la
grâce de son mari. « Oui, ma petite, répond Javogues, demain tu l’auras chez
toi. » En effet, le lendemain, le mari est fusillé, enterré dans l’allée . - Manifestement, le métier a fini par leur
agréer ; comme leurs prédécesseurs de septembre, ils s’enivrent de leurs
meurtres ; autour d’eux, on parle en
termes gais « du théâtre rouge, du rasoir national » ; on dit d’un
aristocrate qu’il va « mettre la tête à la fenêtre nationale, qu’il a passé la
tête à la chatière ». Eux-mêmes ils ont
le style et les plaisanteries de l’emploi. « Demain, à sept heures, écrit
Hugues, dressez la sainte guillotine. » – « La demoiselle guillotine, écrit Le
Carlier, va ici toujours son train . » –
« MM. les parents et amis d’émigrés et de prêtres réfractaires, écrit Lebon,
accaparent la guillotine ... Avant hier,
la sœur du ci-devant comte de Béthume a éternué dans le sac. » – Carrier avoue
hautement « le plaisir qu’il goûte » à voir exécuter des prêtres : « Jamais je
n’ai tant ri que lorsque je les voyais faire leurs grimaces en mourant . » C’est ici la suprême perversion de la
nature humaine, celle d’un Domitien qui, sur le visage de ses condamnés, suit
l’effet du supplice, mieux encore celle d’un nègre qui éclate de rire et se
tient les côtes à l’aspect d’un homme sur le pal. – Et cette joie de contempler les angoisses de la mort sanglante, Carrier
se la donne sur des enfants. Malgré les remontrances du tribunal
révolutionnaire, et les instances du président Phélippes-Tronjolly , il signe, le 29 frimaire an II, l’ordre exprès de guillotiner sans jugement
vingt-sept personnes, dont sept femmes, parmi elles quatre sœurs,
mesdemoiselles de la Métayrie, l’une de vingt-huit ans, l’autre de vingt-sept,
la troisième de vingt-six, la dernière de dix-sept. Deux jours auparavant,
malgré les remontrances du même parmi
eux deux garçons de quatorze ans et deux autres de treize ans ; tribunal et
les instances du même président, il a signé l’ordre exprès de guillotiner
vingt-quatre artisans et laboureurs, il s’est fait conduire « en fiacre » sur
la place de l’exécution, et il en a suivi le détail ; il a pu entendre l’un des
enfants de treize ans, déjà lié sur la planche, mais trop petit et n’ayant sous
le couperet que le sommet de la tête, dire à l’exécuteur : « Me feras-tu beaucoup de mal ? » On
devine sur quoi le triangle d’acier est tombé. - Carrier a vu cela de ses yeux,
et tandis que l’exécuteur, ayant horreur
de lui-même, meurt, un peu après, de ce qu’il a fait, Carrier, installant un
autre bourreau, recommence et continue….
Le club
des Jacobins parisiens sous la Terreur ;
la folie épuratoire
À Paris, ils sont cinq ou six mille, et, après
Thermidor, on les retrouve en nombre à peu près égal, ralliés par les mêmes
appétits autour du même dogme ,
niveleurs et terroristes, « les uns parce qu’ils sont dans la misère, les
autres parce qu’ils sont déshabitués du travail de leur état », furieux contre
les « scélérats à porte-cochère, contre les richards et les détenteurs d’objets
de première nécessité », plusieurs « ayant arsouillé dans la Révolution et
prêts à se remettre à la besogne, pourvu que ce soit pour tuer les coquins de
riches, d’accapareurs et de marchands », tous « ayant fréquenté les sociétés
populaires et se croyant des philosophes, quoique la plupart ne sachent pas
lire » ; à leur tête, le demeurant des plus notables bandits politiques, le
fameux maître de poste Drouet, qui, à la tribune de la Convention, s’est
lui-même déclaré « brigand » ;
Javogues, le voleur de Montbrison et « le Néron de l’Ain » ; l’ivrogne Cusset, jadis ouvrier en soie,
ensuite pacha de Thionville ; Bertrand, l’ami de Châlier, ex-maire et bourreau
de Lyon ; Darthé, ex-secrétaire de Lebon et bourreau d’Arras ; Rossignol et
neuf autres septembriseurs de l’Abbaye et des Carmes ; enfin, le grand apôtre
du communisme autoritaire, Babeuf, qui, condamné à vingt ans de fers pour un
double faux en écritures publiques, aussi besogneux que taré, promène sur le
pavé de Paris ses ambitions frustrées et ses poches vides….
Car la besogne quotidienne qu’on leur impose, et
qu’ils doivent faire de leurs propres mains, est le vol et le meurtre ; sauf
les purs fanatiques qui sont rares, les brutes et les drôles ont seuls de
l’aptitude et du goût pour cet emploi. À Paris, comme en province, on va les
prendre où ils sont, dans leurs rendez-vous, dans les clubs ou sociétés
populaires. – Il y en a au moins une dans chaque section de Paris, en tout
quarante-huit, ralliées autour du club central de la rue Saint-Honoré,
quarante-huit ligues de quartier formées par les émeutiers et braillards de
profession, par les réfractaires et les goujats de l’armée sociale, par tous
les individus, hommes ou femmes ,
impropres à la vie rangée et au travail utile, surtout par ceux qui, le 31 mai
et le 2 juin, ont aidé la Commune et la Montagne à violenter la Convention. Ils
se reconnaissent à ce signe que « chacun
d’eux, en cas de contre-révolution, serait pendu », et posent, « comme une vérité
incontestable, que, s’ils épargnent un seul aristocrate, ils iront tous à
l’échafaud ». – Naturellement ils
se tiennent en garde, et se serrent entre eux dans leur coterie, « tout se fait
par compère et commère » ; on n’y est
admis qu’à condition d’avoir fait ses preuves au « 10 août et au 31 mai ». – Et, comme derrière leurs chefs
vainqueurs ils se sont poussés à la Commune et aux comités révolutionnaires,
ils peuvent, par les certificats de civisme qu’ils accordent ou refusent
arbitrairement, exclure, non seulement
de la vie politique, mais encore de la vie civile, tous les hommes qui ne sont
pas de leur clique…
« Plusieurs sections arrêtent de ne point accorder
de certificats de civisme aux citoyens qui ne seraient point membres d’une
société populaire. » – Et, de mois en mois, la rigueur des exclusions va
croissant. On annule les anciens certificats, on en impose de nouveaux, on
charge ces nouveaux brevets de formalités nouvelles, on exige un plus grand
nombre de répondants, on refuse plusieurs catégories de garants, on est plus
strict sur les gages donnés et sur les qualités requises, on ajourne le
candidat jusqu’à plus ample informé, on le rejette sur le moindre soupçon : il doit s’estimer trop heureux si on le
tolère dans la république à l’état de sujet passif, si l’on se contente de le
taxer ou de le vexer à discrétion, si on ne l’envoie pas rejoindre en prison
les suspects ; quiconque n’est pas de la
bande n’est pas de la cité.
Entre eux et dans leurs sociétés populaires, c’est
pis : car « l’envie d’avoir des places
fait qu’ils se dénoncent les uns après les autres ». Par suite, aux Jacobins, de la rue Saint-Honoré
et dans les succursales de quartier, ils s’épurent incessamment, et toujours
dans le même sens, jusqu’à purger leur faction de tout alliage honnête et
passable, jusqu’à ne garder d’eux-mêmes qu’une minorité qui empire à chaque
triage. Tel annonce que dans son club on a déjà chassé 80 membres douteux ; un
autre, que dans le sien on va en exclure 100
. – Le 23 ventôse , dans la
société du Bon Conseil, le plus grand nombre des membres examinés est repoussé
: « On est si strict, qu’un homme qui ne s’est pas montré d’une façon énergique
dans les temps de crise ne peut faire partie de l’assemblée ; pour un rien, on
est mis à l’écart ». – Le 13 ventôse, dans la même société, « sur 26 examinés,
7 seulement ont été admis. Un citoyen, marchand de tabac, âgé de 68 ans, qui a
toujours fait son service, a été rejeté pour avoir appelé le président Monsieur
et pour avoir parlé à la tribune tête nue : deux membres, après cela, ont
prétendu qu’il ne pouvait être qu’un modéré, et il n’en a pas fallu davantage
pour qu’il fût exclu ». – Ceux qui sont maintenus sont les vauriens les plus
affichés, les plus remuants, les plus bavards, les plus féroces, et le club,
mutilé par lui-même, se réduit à un noyau de charlatans et de chenapans.
Vainement
Robespierre, écrivant et récrivant ses listes secrètes, cherche des hommes
capables de soutenir le système ; toujours il ressasse les mêmes noms, des noms
d’inconnus, d’illettrés , une centaine
de scélérats ou d’imbéciles, parmi eux quatre ou cinq despotes et fanatiques de
second ordre, aussi malfaisants et aussi bornés que lui. – Le creuset
épuratoire a trop longtemps et trop souvent fonctionné ; on l’a trop chauffé ;
on a évaporé de force les éléments sains ou demi-sains de la liqueur primitive
; le reste a fermenté et s’est aigri : il n’y a plus au fond du vase qu’un
reliquat de stupidité et de méchanceté, l’extrait concentré, corrosif et
bourbeux de la lie.
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