Viv(r)e la recherche se propose de rassembler des témoignages, réflexions et propositions sur la recherche, le développement, l'innovation et la culture



Rechercher dans ce blog

samedi 12 août 2017

Taine _ La Révolution- La conquête jacobine_48_ Psychologie du Jacobin

Magistral et important ! Taine utilise ici pour la première fois le mot de secte pour qualifier le parti jacobin. Caractéristiques du totalitarisme : refus des faits au profit des abstractions, le dogmatisme, l’esprit classique au pire de sa déformation, une scolastique de pédants débitée avec une emphase d’énergumènes,  le jacobin seul  interprète autorisé de la volonté du peuple ( avant-garde consciente du peuple), par conséquent,, adversaires considérés comme ennemis du peuple. Responsabilité de Condorcet, Robespierre, Rousseau. Aliénation de chacun au profit de la communauté, : l’État, maître de toutes les fortunes, mais aussi de tous les corps et de toutes les âmes.
 Cf aussi l’analyse de Proudhon, pour ceux qui préfèrent : « « Le Jacobinisme , tel qu'il s'est manifesté à diverses reprises en France depuis la Révolution de 1789, est le produit d'une idée superficielle, suggérée en partie par la lecture du contrat social, et que l'on peut ainsi formuler : le droit divin qui régissait l'ancienne Société ayant été aboli et remplacé par le droit de l'homme, il suffit, pour la Révolution, que le mécanisme gouvernemental qui auparavant fonctionnait par et pour la Cour, fonctionne à l'avenir au profit du véritable Souverain qui est le Peuple, et par le ministère de ses élus ; voici en quelques mots, et au point de vue seulement des Principes^ tout le Jacobinisme. »

Le verbiage creux, l’emphase ronflante, pas de faits- ignorons les faits !

Considérez, en effet, les monuments authentiques de sa pensée, le journal des Amis de la Constitution, les gazettes de Loustalot, Desmoulins, Brissot, Condorcet, Fréron et Marat, les opuscules et les discours de Robespierre et Saint-Just, les débats de la Législative et de la Convention, les harangues, adresses et rapports des Girondins et des Montagnards, ou, pour abréger, les quarante volumes d’extraits compilés par Buchez et Roux. Jamais on n’a tant parlé pour si peu dire ; le verbiage creux et l’emphase ronflante y noient toute vérité sous leur monotonie et sous leur enflure. À cet égard, une expérience est décisive : dans cet interminable fatras, l’historien qui cherche des renseignements précis ne trouve presque rien à glaner ; il a beau en lire des kilomètres : à peine s’il y rencontre un fait, un détail instructif, un document qui évoque devant ses yeux une physionomie individuelle, qui lui montre les sentiments vrais d’un villageois ou d’un gentilhomme, qui lui peigne au vif l’intérieur d’un hôtel de ville ou d’une caserne, une municipalité ou une émeute. Pour démêler les quinze ou vingt types et situations qui résument l’histoire du temps, il nous a fallu et il nous faudra les chercher ailleurs, dans les correspondances des administrtions locales, dans les procès-verbaux des tribunaux criminels, dans les rapports confidentiels de police  , dans les descriptions des étrangers  , qui, préparés par une éducation contraire, traversent les mots pour aller jusqu’aux choses et aperçoivent la France par delà le Contrat social. Toute cette France vivante, la tragédie immense que vingt-six millions de personnages jouent sur une scène de vingt-six mille lieues carrées, échappe au Jacobin ; il n’y a, dans ses écrits comme dans sa tête, que des généralités sans substance, celles qu’on a citées tout à l’heure ; elles s’y déroulent par un jeu d’idéologie, parfois en trame serrée, lorsque l’écrivain est un raisonneur de profession comme Condorcet, le plus souvent en fils entortillés et mal noués, en mailles lâches et décousues, lorsque le discoureur est un politique improvisé ou un apprenti philosophe comme les députés ordinaires et les harangueurs de club.

Une machine à prendre le pouvoir, pas à gouverner, Le jacobin, seul interprète autorisé de la volonté générale

C’est une scolastique de pédants débitée avec une emphase d’énergumènes. Tout son vocabulaire consiste en une centaine de mots, et toutes les idées s’y ramènent à une seule, celle de l’homme en soi : des unités humaines, toutes pareilles, égales, indépendantes et qui pour la première fois contractent ensemble, voilà leur conception de la société. Il n’y en a pas de plus écourtée, puisque, pour la former, il a fallu réduire l’homme à un minimum ; jamais cerveaux politiques ne se sont desséchés à ce degré et de parti pris. Car c’est par système et pour simplifier qu’ils s’appauvrissent. En cela, ils suivent le procédé du siècle et les traces de Jean-Jacques Rousseau : leur cadre mental est le moule classique, et ce moule, déjà étroit chez les derniers philosophes, s’est encore étriqué chez eux, durci et racorni jusqu’à l’excès. À cet égard, Condorcet   parmi les Girondins, Robespierre parmi les Montagnards, tous les deux purs dogmatiques et simples logiciens, sont les meilleurs représentants du type, celui-ci au plus haut point et avec une perfection de stérilité intellectuelle qui n’a pas été surpassée.
Sans contredit, lorsqu’il s’agit de faire des lois durables, c’est-à-dire d’approprier la machine sociale aux caractères, aux conditions, aux circonstances, un pareil esprit est le plus impuissant et le plus malfaisant de tous ; car, par structure, il est myope ; d’ailleurs, interposé entre ses yeux et les objets, son code d’axiomes lui ferme l’horizon : au delà de sa coterie et de son club, il ne distingue rien, et, dans cet au-delà confus, il loge les idoles creuses de son utopie. – Mais, lorsqu’il s’agit de prendre d’assaut le pouvoir ou d’exercer arbitrairement la dictature, sa raideur mécanique le sert, au lieu de lui nuire. Il n’est pas ralenti et embarrassé, comme l’homme d’État, par l’obligation de s’enquérir, de tenir compte des précédents, de compulser les statistiques, de calculer et de suivre d’avance, en vingt directions, les contre-coups prochains et lointains de son œuvre, au contact des intérêts, des habitudes et des passions des diverses classes. Tout cela est maintenant suranné, superflu : le Jacobin sait tout de suite quel est le gouvernement légitime et quelles sont les bonnes lois ; pour bâtir comme pour détruire, son procédé rectiligne est le plus prompt et le plus énergique. Car, s’il faut de longues réflexions pour démêler ce qui convient aux vingt-six millions de Français vivants, il ne faut qu’un coup d’œil pour savoir ce que veulent les hommes abstraits de la théorie. En effet la théorie les a tous taillés sur le même patron et n’a laissé en eux qu’une volonté élémentaire ; par définition, l’automate philosophique veut la liberté, l’égalité, la souveraineté du peuple, le maintien des Droits de l’homme, l’observation du Contrat social. Cela suffit : désormais on connaît la volonté du peuple, et on la connaît d’avance ; par suite, on peut agir sans consulter les citoyens ; on n’est pas tenu d’attendre leur vote. En tout cas, leur ratification est certaine ; si par hasard elle manquait, ce serait de leur part ignorance, méprise ou malice, et alors leur réponse mériterait d’être considérée comme nulle ; aussi, par précaution et pour leur éviter la mauvaise, on fera bien de leur dicter la bonne. – En cela, le Jacobin pourra être de très bonne foi : car les hommes dont il revendique les droits ne sont pas les Français de chair et d’os que l’on rencontre dans la campagne ou dans les rues, mais les hommes en général, tels qu’ils doivent être au sortir des mains de la Nature ou des enseignements de la Raison. Point de scrupule à l’endroit des premiers : ils sont infatués de préjugés, et leur opinion n’est qu’un radotage. À l’endroit des seconds, c’est l’inverse ; pour les effigies vaines de sa théorie, pour les fantômes de sa cervelle raisonnante, le Jacobin est plein de respect, et toujours il s’inclinera devant la réponse qu’il leur prête ; à ses yeux, ils sont plus réels que les hommes vivants, et leur suffrage est le seul dont il tienne compte. Aussi bien, à mettre les choses au pis, il n’a contre lui que les répugnances momentanées d’une génération aveugle. En revanche, il a pour lui l’approbation de l’humanité prise en soi, de la postérité régénérée par ses actes, des hommes redevenus, grâce à lui, ce que jamais ils n’auraient dû cesser d’être. – C’est pourquoi, bien loin de se considérer comme un usurpateur et un tyran, il s’envisagera comme un libérateur, comme le mandataire naturel du véritable peuple, comme l’exécuteur autorisé de la volonté générale ; il marchera avec sécurité dans le cortège que lui fait ce peuple imaginaire ; les millions de volontés métaphysiques qu’il a fabriquées à l’image de la sienne le soutiendront de leur assentiment unanime, et il projettera dans le dehors, comme un chœur d’acclamations triomphales, l’écho intérieur de sa propre voix.

La secte au pouvoir : l’État, maître de toutes les fortunes, mais aussi de tous les corps et de toutes les âmes.

Lorsqu’une doctrine séduit les hommes, c’est moins par le sophisme qu’elle leur présente que par les promesses qu’elle leur fait ; elle a plus de prise sur leur sensibilité que sur leur intelligence ; car, si le cœur est parfois la dupe de l’esprit, l’esprit bien plus souvent est la dupe du cœur. Un système ne nous agrée point parce que nous le jugeons vrai, mais nous le jugeons vrai parce qu’il nous agrée, et le fanatisme politique ou religieux, quel que soit le canal théologique ou philosophique dans lequel il coule, a toujours pour source principale un besoin avide, une passion secrète, une accumulation de désirs profonds et puissants auxquels la théorie ouvre un débouché…

Ne cherchez pas dans le programme de la secte les prérogatives limitées qu’un homme fier revendique au nom du juste respect qu’il se doit à lui-même, c’est-à-dire les droits civils complets avec le cortège des libertés politiques qui leur servent de sentinelles et de gardiennes, la sûreté des biens et de la vie, la fixité de la loi, l’indépendance des tribunaux, l’égalité des citoyens devant la justice et sous l’impôt, l’abolition des privilèges et de l’arbitraire, l’élection des députés et la disposition de la bourse publique, bref les précieuses garanties qui font de chaque citoyen un souverain inviolable dans son domaine restreint, qui défendent sa personne et sa propriété contre toute oppression ou exaction publique ou privée, qui le maintiennent tranquille et debout en face de ses concurrents et de ses adversaires, debout et respectueux en face de ses magistrats et de l’État lui-même. Des Malouet, des Mounier, des Mallet du Pan, des partisans de la constitution anglaise et de la monarchie parlementaire peuvent se contenter d’un si mince cadeau : mais la théorie en fait bon marché, et au besoin marchera dessus comme sur une poussière vile. Ce n’est pas l’indépendance et la sécurité de la vie privée qu’elle promet, ce n’est pas le droit de voter tous les deux ans, une simple influence, un contrôle indirect, borné, intermittent de la chose publique ; c’est la domination politique, à savoir la propriété pleine et entière de la France et des Français. – Nul doute sur ce point : selon les propres termes de Rousseau, le Contrat social exige « l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à la communauté, chacun se donnant tout entier, tel qu’il se trouve actuellement, lui et toutes ses forces, dont les biens qu’il possède font partie », tellement que l’État, maître reconnu, non seulement de toutes les fortunes, mais aussi de tous les corps et de toutes les âmes, peut légitimement imposer de force à ses membres l’éducation, le culte, la foi, les opinions, les sympathies qui lui conviennent.   .

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentaires

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.