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jeudi 10 août 2017

Taine _ La Révolution- l’anarchie spontanée_41_ la théorie du gouvernement

Ici, ce n’est plus l’anarchie spontanée, mais l’anarchie et la faiblesse du gouvernement organisés par la  Constituante. Refus d’une chambre haute pour arbitrer entre exécutif et législatif au nom  du concept totalitaire de l’unité du peuple et de sa volonté. Méfiance et limite de toute autorité.
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 A comparer avec la théorie positiviste du gouvernement  (Pierre Laffitte, Revue Occidentale, 1908): «toute société n'existe que par un gouvernement, c'est-à-dire par un appareil de plus en plus compliqué qui opère la réaction de l'ensemble sur les parties par force ou par persuasion »... « Le gouvernement est l'appareil qui opère la réaction de l'ensemble sur les parties en faisant suffisamment concourir vers un but déterminé les volontés distinctes ». « la doctrine métaphysique, en proclamant que le pouvoir émane de la volonté populaire, énonce ainsi, sous forme métaphysique, l'utilité de l'action modificatrice du public, et en même temps la nécessité que le pouvoir soit en rapport avec les dispositions fondamentales d'une époque ». Mais cette conception est purement destructrice, car ignorant que le « pouvoir a une source indépendante de ceux qui le subissent » et que « tout gouvernement a réellement une source spontanée émanant de la nature même des choses, sur laquelle nous n'avons qu'une action modificatrice »

Ce qu’on appelle un gouvernement- nécessité d’une chambre haute

Ce qu’on appelle un gouvernement, c’est un concert de pouvoirs, qui, chacun dans un office distinct, travaillent ensemble à une œuvre finale et totale. Que le gouvernement fasse cette œuvre, voilà tout son mérite ; une machine ne vaut que par son effet. Ce qui importe, ce n’est pas qu’elle soit bien dessinée sur le papier, mais c’est qu’elle fonctionne bien sur le terrain. En vain les constructeurs allégueraient la beauté de leur plan et l’enchaînement de leurs théorèmes ; on ne leur a demandé ni plans ni théorèmes, mais un outil. — Pour que cet outil soit maniable et efficace, deux conditions sont requises. En premier lieu, il faut que les pouvoirs publics s’accordent : sans quoi ils s’annulent. En second lieu, il faut que les pouvoirs publics soient obéis : sans quoi ils sont nuls. La Constituante n’a pourvu ni à cette concorde ni à cette obéissance. Dans la machine qu’elle a faite, les moteurs se contrarient ; l’impulsion ne se transmet pas ; du centre aux extrémités l’engrenage fait défaut ; les grandes roues du centre et du haut tournent à vide ; les innombrables petites roues qui touchent le sol s’y faussent ou s’y brisent ; en vertu de son mécanisme même, elle reste en place, inutile, surchauffée, sous des torrents de fumée vaine, avec des grincements et des craquements qui croissent et annoncent qu’elle va sauter.
Considérons d’abord les deux pouvoirs du centre, l’Assemblée et le roi. – Ordinairement, quand une Constitution établit des pouvoirs distincts et d’origine différente, elle leur prépare, par l’institution d’une Chambre haute, un arbitre en cas de conflit. – À tout le moins, elle leur donne des prises mutuelles. Il en faut une à l’Assemblée sur le roi : c’est le droit de refuser l’impôt. Il en faut une au roi sur l’Assemblée : c’est le droit de la dissoudre. Sinon, l’un des deux étant désarmé, l’autre devient tout-puissant et, par suite, fou. En ceci le péril est aussi grand pour une Assemblée omnipotente que pour un roi absolu. Si elle veut garder sa raison, elle a besoin comme lui de répression et de contrôle, et, s’il est bon qu’elle puisse le contraindre en lui refusant les subsides, il est bon qu’il puisse se défendre contre elle en appelant d’elle aux électeurs. – Mais, outre ces moyens extrêmes, dont l’emploi est dangereux et rare, il en est un autre dont l’usage est journalier et sûr : c’est le droit pour le roi de prendre son ministère dans la Chambre. Le plus souvent ce sont alors les chefs de la majorité qui deviennent ministres, et par leur nomination, l’accord se trouve fait entre le roi et l’Assemblée : car ils sont tout à la fois les hommes de l’Assemblée et les hommes du roi. Grâce à cet expédient, non seulement l’Assemblée est rassurée, puisque ses conducteurs administrent, mais encore elle est contenue, parce que ceux-ci deviennent du même coup compétents et responsables. Placés au centre des services, ils peuvent juger si la loi est utile ou applicable ; obligés de l’exécuter, ils en calculent les effets avant de la proposer ou de l’accepter. Rien de plus sain pour une majorité que le ministère de ses chefs ; rien de plus efficace pour réprimer ses témérités ou ses intempérances. Un conducteur de train ne souffre pas volontiers qu’on ôte le charbon à sa machine, ni qu’on casse les rails sur lesquels il va rouler. – Avec toutes ses insuffisances et tous ses inconvénients, ce procédé est encore le meilleur qu’ait trouvé l’expérience humaine pour préserver les sociétés du despotisme et de l’anarchie. Au pouvoir absolu qui les fonde ou les sauve, mais qui les opprime ou les épuise, on a substitué peu à peu des pouvoirs distincts reliés entre eux par un tiers arbitre, par une dépendance réciproque et par un organe commun.
Mais, aux yeux des constituants, l’expérience n’a pas de poids, et, au nom des principes, ils tranchent successivement tous les liens qui pourraient forcer les deux pouvoirs à marcher d’accord. – Point de Chambre haute ; elle serait un asile ou une pépinière d’aristocratie. D’ailleurs, « la volonté nationale étant une », il répugne « de lui donner des organes différents ». C’est ainsi qu’ils procèdent avec des définitions et des distinctions d’idéologie, appliquant des formules et des métaphores toutes faites. – Nulle prise au roi sur le corps législatif : l’exécutif est un bras qui ne doit qu’obéir, et il serait ridicule que le bras pût en quelque façon contraindre ou conduire la tête. À peine si l’on concède au monarque un veto suspensif ; encore Siéyès proteste, déclarant que c’est là une lettre de cachet lancée contre la volonté générale », et l’on soustrait à ce veto les articles de la Constitution, les lois de finance et d’autres lois encore – Ce n’est pas le monarque qui convoque l’Assemblée ni les électeurs de l’Assemblée ; il n’a rien à dire ni à voir dans les opérations qui la forment ; les électeurs se réunissent et votent sans qu’il les appelle ou les surveille. Une fois l’Assemblée élue, il ne peut ni l’ajourner ni la dissoudre. Il ne peut pas même lui proposer une loi  , il lui est seulement permis « de l’inviter à prendre un « objet en considération ». On le confine dans son emploi exécutif ; bien mieux, on bâtit une sorte de muraille entre lui et l’Assemblée, et l’on bouche soigneusement la fissure par laquelle elle et lui pourraient se donner la main. — Défense aux députés de devenir ministres pendant toute la durée de leur mandat et deux ans après son terme : au contact de la cour, on craint qu’ils ne se laissent corrompre, et, de plus, quels que soient les ministres, on ne veut pas subir leur ascendant  . Si l’un d’eux est introduit dans l’Assemblée, ce ne sera pas pour y donner des conseils, mais seulement pour fournir des renseignements, pour répondre à des interrogatoires, pour protester de son zèle en termes humbles et en posture douteuse  . Car, à titre d’agent royal, il est suspect comme le roi lui-même, et on séquestre le ministre dans ses bureaux comme on séquestre le roi dans son palais. — Tel est l’esprit de la Constitution   : en vertu de la théorie et pour mieux assurer la séparation des pouvoirs, on a détruit à jamais leur entente volontaire, et, pour suppléer à leur concorde impossible, il ne reste plus qu’à faire de l’un le maître et de l’autre le commis….

Dans tout l’ordre civil et dans tout l’ordre militaire, le commandement est énervé

Aux yeux de nos législateurs, l’obéissance doit toujours être spontanée, jamais forcée, et, pour supprimer le despotisme, ils suppriment le gouvernement. Règle générale, dans la hiérarchie qu’ils établissent, les subordonnés sont indépendants de leur supérieur ; car celui-ci ne les nomme pas et ne peut les destituer ; il ne garde sur eux qu’un droit de conseil et de remontrance. Tout au plus, en certains cas, il lui est permis d’annuler leurs actes, de leur infliger une suspension provisoire, révocable et contestée. – Ainsi qu’on l’a vu, aucun pouvoir local n’est délégué par le pouvoir central ; celui-ci ressemble à un homme sans mains ni bras dans un fauteuil doré. Le ministre des finances ne peut nommer ni destituer un seul percepteur ou receveur ; le ministre de l’intérieur, un seul administrateur de département, de district ou de commune ; le ministre de la justice, un seul juge ou accusateur public. Dans ces trois services, le roi n’a qu’un homme à lui, le commissaire chargé de requérir auprès des tribunaux l’observation des lois, et, après sentence, l’exécution des jugements rendus. – De ce coup, tous les muscles du pouvoir central sont tranchés, et désormais chaque département est un petit État qui vit à part.
Mais, dans le département lui-même, une amputation pareille a coupé de même tous les liens par lesquels le supérieur pouvait maintenir et conduire le subordonné. – Si les administrateurs du département peuvent agir sur ceux des districts, et ceux du district sur ceux des municipalités, ce n’est aussi que par voie de réquisition et de semonce. Nulle part le supérieur n’est un commandant qui ordonne et contraint ; partout il n’est qu’un censeur qui avertit et gronde. – Pour affaiblir encore cette autorité déjà si affaiblie, à chaque degré de la hiérarchie on l’a divisée entre plusieurs. Ce sont des conseils superposés qui administrent le département, le district et la commune. Dans aucun de ces conseils il n’y a de tête dirigeante. Partout l’exécution et la permanence appartiennent à des directoires de quatre ou huit membres, à un bureau de deux, trois, quatre, six et sept membres, dont le chef élu, président ou maire  , n’a qu’une primauté honorifique…
Non seulement on les soumet au contrôle d’un conseil élu, non seulement on les renouvelle par moitié tous les deux ans, mais encore le maire et le procureur de la commune après quatre ans d’exercice, le procureur-syndic de département ou de district après huit ans d’exercice, le receveur de district après six ans d’exercice, ne sont plus réélus. Tant pis pour les affaires et pour le public s’ils ont mérité et gagné la confiance des électeurs, s’ils ont acquis par la pratique une compétence rare et précieuse ; on ne veut pas qu’ils s’ancrent dans leur poste. Peu importe que leur maintien introduise dans leur service l’esprit de suite et la prévoyance ; on craint qu’ils ne prennent trop d’influence, et la loi les chasse dès qu’ils deviennent experts et autorisés. – Jamais la jalousie et le soupçon n’ont été plus en éveil contre le pouvoir même légal et légitime. On le mine et on le sape jusque dans les services où l’on reconnaît la nécessité, jusque dans l’armée et dans la gendarmerie  . – Dans l’armée, pour nommer un sous-officier, les sous-officiers forment une liste, et le capitaine en extrait trois sujets, entre lesquels le colonel choisit. Pour choisir un sous-lieutenant, tous les officiers votent, et il est nommé à la majorité des suffrages. – Dans la gendarmerie, pour nommer un gendarme, le directoire du département fait une liste, le colonel y désigne cinq noms, et le directoire en choisit un. Pour choisir un brigadier, un maréchal des logis ou un lieutenant, voici, outre le directoire et le colonel, une autre intervention, celle des sous-officiers et officiers. C’est un système compliqué d’élections et de triages, qui, remettant une portion du choix à l’autorité civile et aux subordonnés militaires, ne laisse au colonel que le tiers ou le quart de son ancien ascendant.

Quant à la garde nationale, le principe nouveau y est appliqué sans réserve. Tous les sous-officiers et les officiers, jusqu’au grade de capitaine, sont élus par leurs hommes. Tous les officiers supérieurs sont élus par les officiers inférieurs. Tous les sous-officiers et tous les officiers inférieurs et supérieurs sont élus pour un an seulement, et ne peuvent être réélus qu’après un an d’intervalle, pendant lequel ils auront servi comme simples gardes  . – La conséquence est manifeste : dans tout l’ordre civil et dans tout l’ordre militaire, le commandement est énervé ; les subalternes ne sont plus des instruments exacts et sûrs ; le chef n’a plus sur eux de prise efficace.

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