Les répliques des massacres de Paris en
Province; Dans les départements, c’est par centaines que l’on compte les journées
semblables à celles du 20 juin, du 10 août et du 2 septembre ; Les massacreurs de septembre
envoyés en province pour « régénérer les départements. Le Bausset.
Saint-Affrique.
Les massacreurs de septembre
envoyés en province pour « régénérer les départements »
Dans les départements, c’est par
centaines que l’on compte les journées semblables à celles du 20 juin, du 10
août et du 2 septembre ; s’il y a pour les corps des
maladies épidémiques et contagieuses, il y en a aussi pour les esprits, et
telle est alors la maladie révolutionnaire. Elle se rencontre en même temps sur
tous les points du territoire, et chaque point infecté contribue à l’infection
des autres. Dans toute ville ou bourgade, le club est un foyer inflammatoire
qui désorganise les parties saines, et chaque centre désorganisé émet au loin
ses exemples comme des miasmes . De
toutes parts la même fièvre, le même délire et les mêmes convulsions indiquent
la présence du même virus, et ce virus est le
dogme jacobin : grâce à lui, l’usurpation, le vol, l’assassinat, s’enveloppent
de philosophie politique, et les pires attentats contre les personnes et les
propriétés publiques ou privées deviennent légitimes ; car ils sont les actes
du souverain légitime chargé de pourvoir au salut public.
Que chaque peloton jacobin soit dans son canton investi de la dictature
locale, selon les Jacobins cela est de droit naturel, et, depuis que
l’Assemblée nationale a déclaré la patrie en danger, cela est le droit écrit. «
A partir de cette date, » dit leur journal le plus répandu , et par le seul fait de cette déclaration, «
le peuple de France est assemblé, insurgé... Il est ressaisi de l’autorité souveraine ». Ses magistrats, ses
députés, toutes les autorités constituées rentrent dans le néant qui est leur
essence. Représentants temporaires et révocables, « vous n’êtes plus que les
présidents du peuple ; vous n’avez plus qu’à recueillir son vote,... à le
proclamer quand il l’aura émis d’une manière solennelle ». – Non seulement
telle est la théorie jacobine, mais encore telle est la théorie officielle. L’Assemblée nationale approuve
l’insurrection, reconnaît la Commune, s’efface, abdique autant qu’elle peut, et
ne reste en place provisoirement que pour ne pas laisser la place vide. Elle
s’abstient de commander, même pour se donner des successeurs ; elle « invite »
seulement « le peuple français à former une Convention nationale »…
En attendant elle subit toutes les
volontés de ce qu’on appelle alors le peuple souverain ; elle n’ose s’opposer à
ses crimes ; elle n’intervient auprès des massacreurs que par des prières.
– Bien mieux, par la signature ou le
contreseing de ses ministres, elle les autorise à recommencer ailleurs : Roland a signé la commission de Fournier à
Orléans ; Danton a expédié à toute la France la circulaire de Marat ; le
conseil des ministres envoie, pour
régénérer les départements, les plus furieux de la Commune et du parti,
Chaumette, Fréron, Westermann, Audouin, Huguenin, Momoro, Couthon,
Billaud-Varennes , d’autres encore
plus tarés ou plus grossiers qui prêchent dans toute sa pureté le dogme jacobin
: « Ils annoncent ouvertement qu’il n’y
a plus de lois, que chacun est maître puisque le peuple est souverain ; que
chaque fraction de la nation peut prendre les mesures qui lui conviennent au
nom du salut de la patrie ; qu’on a le droit de taxer le blé, de le saisir dans
les granges des laboureurs, de faire tomber les têtes des fermiers qui refusent
d’amener les grains sur le marché. » A Lisieux, Dufour et Momoro prêchent la
loi agraire. À Douai, d’autres prédicateurs parisiens disent à la société populaire : « Dressez des échafauds ; que les remparts de la ville soient
hérissés de potences, et que celui qui ne sera pas de notre avis y soit attaché.
» – Rien de plus correct, de plus conforme aux principes, et les journaux,
tirant les conséquences, expliquent au peuple l’usage qu’il doit faire de sa
souveraineté reconquise : « Dans les
circonstances où nous sommes, la promiscuité des biens est le droit : tout
appartient à tous. »…
Qu’avant
de quitter leurs foyers » et de partir pour l’armée « les habitants de chaque commune mettent en lieu de sûreté, et sous la
sauvegarde de la loi, tous ceux qui sont suspectés de ne pas aimer la liberté ;
qu’on les tienne enfermés jusqu’à la fin de la guerre ; qu’on les garde
avec des piques » et que chacun de leurs gardiens reçoive trente sous par jour.
Pour les partisans du gouvernement déchu, pour les membres du directoire de
Paris, « Rœderer et Blondel à leur tête, » pour les officiers généraux, « La
Fayette et d’Affry à leur tête, » pour « les députés reviseurs de la
Constituante, Barnave et Lameth à leur tête, » pour « les députés feuillants de
la Législative, Ramond et Jaucourt à leur tête
, » pour « tous ceux qui consentaient à se souiller les mains en
touchant à la liste civile, » pour « les 40 000 sicaires qui s’étaient
rassemblés au château dans la nuit du 9 au 10 août,... ce sont des monstres
furieux qu’il faut étouffer jusqu’au dernier. Peuple,... tu t’es levé ; reste
debout jusqu’à ce qu’il n’existe plus un seul des conspirateurs. Il est de ton humanité de te montrer
inexorable une fois. Frappe les méchants de terreur ; les proscriptions
dont nous te faisons un devoir sont la sainte colère de la patrie. » — Il n’y a
pas à se méprendre : c’est le tocsin qui sonne contre tous les pouvoirs établis
et contre toutes les supériorités sociales, contre les administrations, les
tribunaux et les états-majors, contre les prêtres et les nobles, contre les
propriétaires, les capitalistes, les rentiers, les chefs du négoce et de
l’industrie, bref contre l’élite ancienne ou nouvelle de la France. Les Jacobins de Paris donnent le signal
par leur exemple, par leurs journaux, par leurs missionnaires, et, dans les
départements, leurs pareils, imbus des mêmes principes, n’attendent qu’un appel
pour s’élancer…
Au Bausset
Au Beausset, près de Toulon, un certain Vidal, capitaine de la garde
nationale, « élargi deux fois par le bénéfice de deux amnisties
consécutives », punit de mort, non seulement la résistance, mais encore les murmures.
Deux vieillards, l’un notaire et l’autre tourneur, s’étant plaints de lui à
l’accusateur public, la générale bat, un rassemblement d’hommes armés se forme
dans la rue, les deux plaignants sont assommés, criblés de balles, et leurs
cadavres jetés dans un puits. Plusieurs de leurs amis sont blessés, d’autres
prennent la fuite ; sept maisons sont saccagées, et la municipalité « asservie
ou complice » n’intervient que lorsque tout est fini. – Nul moyen de poursuivre
les coupables : le directeur du jury,
qui, avec une escorte de mille hommes, vient procéder à l’enquête, ne peut
obtenir de dépositions. La municipalité prétend n’avoir rien entendu, ni la
générale, ni les coups de fusil tirés sous ses fenêtres. Les autres témoins ne
disent mot, et avouent tout bas le motif de leur silence : s’ils déposent, «
ils sont sûrs d’être assassinés aussitôt que la troupe sera partie ». Le
directeur du jury est lui-même menacé et, après trois quarts d’heure de séjour,
trouve prudent de quitter la ville…
A Saint-Affrique
A la nouvelle du 10 août, les Jacobins de Saint-Affrique, petite ville de
l’Aveyron , ont entrepris, eux aussi, de
sauver la patrie, et, à cet effet, comme leurs pareils en d’autres bourgades du
district, ils se sont constitués en pouvoir exécutif. L’institution est
ancienne, surtout dans le Midi : depuis Lyon jusqu’à Montpellier, depuis Agen
jusqu’à Nîmes, il y a dix-huit mois qu’elle fleurit ; mais, à partir de
l’interrègne, elle refleurit de plus belle : c’est une société secrète qui se charge de convertir en actes les
motions et instructions du club .
Ordinairement ils travaillent de nuit sous le masque ou avec de grands chapeaux
rabattus et des cheveux tombant sur le visage. Leurs noms sont inscrits au
siège de la société sur un tableau, chacun sous un numéro. Pour arme et pour insigne ils portent un gros bâton triangulaire orné
d’un ruban tricolore ; avec ce bâton, chaque membre « peut aller partout »,
faire ce que bon lui semble. À
Saint-Affrique, ils sont environ quatre-vingts, et parmi eux il faut compter
les vauriens de la 7e compagnie du Tarn en résidence dans la ville ; pour les
enrôler dans la bande, on n’a cessé « de leur prêcher le pillage » et de leur
dire que dans les châteaux voisins tout leur appartenait … En premier lieu,
ordre aux femmes de toute condition, ouvrières et servantes, d’assister à la
messe du curé assermenté : sinon elles feront connaissance avec la trique. — En
second lieu, désarmement de tous les suspects : on entre chez eux la nuit, de
force, à l’improviste, et, outre leur fusil, on emporte leurs provisions et
leur argent. Tel épicier, qui s’obstine à demeurer tiède, est visité une
seconde fois : sept ou huit hommes, un soir, enfoncent sa porte avec une poutre
; lui, réfugié sur son toit, n’ose descendre que le lendemain au petit jour, et
trouve tout volé ou brisé dans son magasin
.
En troisième lieu, « punition des
malveillants » : à neuf heures du soir, une escouade heurte à la porte d’un
cordonnier mal noté ; son apprenti ouvre ; six tape-dur entrent, et l’un d’eux,
montrant un papier, dit au pauvre homme effaré : « Je suis ici de la part du
pouvoir exécutif, par lequel vous êtes condamné à recevoir une bastonnade. –
Pourquoi ? – Si vous n’avez pas fait de mal, du moins vous en avez pensé . » En
effet, on le bâtonne sur place en présence de sa famille, et quantité de gens,
empoignés comme lui, sont, comme lui, roués de coups à domicile. – Quant
aux frais de l’opération, c’est aux malveillants à les supporter ; pour cela,
ils sont taxés, chacun selon ses facultés : tel, tanneur ou trafiquant en
bestiaux, payera 36 livres ; tel autre, chapelier, 72 livres ; sinon, « on
l’exécutera le jour même à neuf heures du soir ». Nul n’est exempt s’il n’est
de la bande. De pauvres vieux qui n’ont
rien sont contraints de donner leur unique assignat de 5 livres ; chez la «
femme d’un travailleur à la terre » dont tout le pécule consiste en 7 sous et
demi, on prend les 7 sous et demi, en disant : « Voilà de quoi boire 3
pintons ». Au reste, faute d’argent, on prend en nature ; on fait main basse sur la
cave, sur la huche, sur l’armoire, sur la basse-cour ; on mange, on boit, on
casse, on s’en donne à cœur joie, non seulement dans la ville, mais dans les
villages voisins… pouvoir exécutif, à lui compter, en dédommagement, 50
écus. – Quant au commun des assommeurs,
ils ont pour salaire, outre la chère lie, la licence parfaite. Dans ces
maisons envahies à onze heures du soir, pendant que le père s’enfuit ou que le
mari crie sous le bâton, l’un des garnements se tient à la porte, le sabre nu
dans la main, et la femme ou la fille reste à la discrétion des autres ; ils la
saisissent par le cou et la maintiennent
. Elle a beau appeler au secours ; « personne à Saint-Affrique n’ose
plus sortir de nuit » ; personne ne vient ; le lendemain, le juge de paix n’ose
recevoir la plainte, et son excuse est « qu’il a peur lui-même ». – Aussi bien,
le 23 septembre, des officiers municipaux et le greffier, qui faisaient
patrouille, ont été presque assommés à coups de bâton et de pierres ; le 10
octobre, un autre officier municipal a été laissé pour mort ; quinze jours
auparavant, un lieutenant des volontaires, M. Mazières, « ayant voulu faire son
devoir, a été assassiné dans son lit par ses propres hommes ». – Naturellement, personne n’ose plus souffler
mot, et après deux mois de ce régime, il est à présumer qu’aux élections
municipales du 21 octobre les électeurs seront dociles. En tout cas, par
précaution, on se dispense de les prévenir, selon la loi, huit jours d’avance ;
par un surcroît de précaution, on leur fait savoir que, s’ils ne votent pas
pour le pouvoir exécutif, ils auront affaire au bâton triangulaire . – En conséquence, la plupart s’abstiennent
: dans une ville qui compte plus de six cents citoyens actifs, quarante voix
donnent la majorité ; Bourgougnon et Sarrus, les deux chefs du pouvoir
exécutif, sont élus l’un maire, l’autre procureur-syndic, et désormais
l’autorité qu’ils avaient prise par la force leur est conférée par la loi.
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