L’Insurrection fédérale échoue, les
départements reconnaissent l’autorité de la Convention Montagnarde. Les
proscrits girondins abandonnés. Exemples de Caen, Bordeaux, Lyon. Les Montagnards vainqueurs préfèrent
la guerre civile et les intérêts de leur secte à la conciliation et à l’intérêt national et imposent le retour des Montagnards
locaux. Conséquences pour Toulon
D’avance, avec cette manière
d’entendre l’insurrection, on est sûr d’être vaincu…
Quant aux comités départementaux, il est vrai que, dans leur première
chaleur, ils ont songé à former une nouvelle Convention à Bourges , soit par l’appel
des députés suppléants, soit par la convocation d’une commission nationale de
cent soixante-dix membres. Mais le temps manque, on n’a pas les moyens
d’exécution, le projet reste suspendu en l’air, comme une menace vaine ; au
bout de quinze jours, il se dissipe en fumée ; les départements ne parviennent qu’à se fédérer par groupes ; ils
n’entreprennent plus d’ériger un gouvernement central, et, par cela seul,
ils se condamnent à succomber tour à tour, en détail, chacun chez soi. — Bien
pis, par conscience et patriotisme, ils préparent leur propre défaite : ils
s’abstiennent de requérir les armées et de dégarnir la frontière ; ils ne
contestent pas à la Convention le droit de pourvoir, comme elle l’entend, à la
défense nationale. Lyon laisse passer
des convois de boulets qui plus tard serviront à canonner ses défenseurs . Les autorités du Puy-de-Dôme finissent par
expédier contre la Vendée le bataillon qu’elles avaient organisé contre la
Montagne. Bordeaux va livrer aux représentants en mission Château-Trompette,
ses provisions de guerre, et sans mot dire
, avec une docilité parfaite, les deux bataillons bordelais qui gardent
Blaye se laisseront déloger par deux bataillons jacobins. – D’avance, avec cette manière d’entendre
l’insurrection, on est sûr d’être vaincu.
Aussi bien les insurgés ont conscience de leur attitude fausse ; ils sentent vaguement qu’en reconnaissant
l’autorité militaire de la Convention, ils reconnaissent son autorité plénière
; insensiblement, ils glissent sur cette pente, de concessions en concessions,
jusqu’à l’obéissance complète. Dès le 16 Juin, à Lyon , « on commence à sentir qu’il ne faut pas
rompre avec la Convention ». Cinq semaines plus tard, les autorités constituées
de Lyon reconnaissent solennellement « la Convention comme le seul point
central et de ralliement de tous les citoyens français et républicains » , et arrêtent que tous les décrets émanés
d’elle concernant l’intérêt général de la République doivent être exécutés ».
En conséquence, à Lyon et dans les autres départements, les administrations
convoquent les assemblées primaires, comme la Convention l’a prescrit. En conséquence, les assemblées primaires
votent la Constitution que la Convention a proposée. En conséquence, les
délégués des assemblées primaires se rendent à Paris, comme la Convention l’a
ordonné.
Les départements se soumettent ;
la cause girondine est perdue ; Caen expulse les procrits
– Dès lors la cause girondine est
perdue ; quelques coups de canon, à Vernon et Avignon, dispersent les deux
seules colonnes armées qui se soient mises en marche. Dans chaque département,
les Jacobins, encouragés par les représentants en mission, relèvent la tête ;
partout le club de l’endroit enjoint aux administrations de se soumettre ;
partout les administrations rapportent leurs arrêtés , s’excusent et demandent pardon. À mesure
qu’un département se rétracte, les autres, intimidés par sa désertion, sont
plus disposés à se rétracter. Le 9 juillet, on en compte déjà quarante-neuf qui
se rallient. Plusieurs déclarent que les écailles leur sont tombées des yeux,
approuvent les décrets du 31 mai et du 2 juin, et pourvoient à leur sûreté en
témoignant du zèle. L’administration du
Calvados signifie aux fédérés bretons « qu’ayant accepté la Constitution, elle
ne peut plus les tolérer dans la ville de Caen » ; elle les renvoie dans leurs
foyers, elle fait secrètement sa paix avec la Montagne, elle n’en prévient les
députés, qui sont ses hôtes, que trois jours après, et sa façon de les prévenir
est très simple : elle fait afficher à leur porte le décret qui les met hors la
loi…
Déguisés en soldats, ceux-ci partent avec les fédérés bretons ; sur la
route, ils peuvent constater les sentiments vrais de ce peuple qu’ils croyaient
imbu de ses droits et pourvu d’initiative politique . Les
prétendus citoyens et républicains auxquels ils ont affaire sont, en somme,
d’anciens sujets de Louis XVI et des futurs sujets de Napoléon,
c’est-à-dire des administrateurs et des administrés, disciplinés de cœur et
subordonnés d’instinct, ayant besoin d’un gouvernement, comme les moutons ont
besoin d’un pâtre et d’un chien de garde, acceptant ou subissant le pâtre et le
chien de garde pourvu qu’ils aient l’apparence et le ton de l’emploi, même
quand le pâtre est un boucher, même quand le chien de garde est un loup…
Là-dessus, les députés se séparent du bataillon, et leur petit peloton
continue sa marche à part. Comme ils sont dix-neuf, résolus et bien armés, les
autorités des bourgs par où ils passent ne s’opposent pas de force à leur
passage ; il faudrait livrer bataille, et cela dépasse le zèle d’un
fonctionnaire ; d’ailleurs, à leur endroit, la population est indifférente, ou
même sympathique. Mais on tâche de les retenir, parfois de les investir et de
les surprendre ; car il y a contre eux
un mandat d’arrêt transmis par la filière hiérarchique, et tout magistrat local
se croit tenu de faire son office de gendarme. Sous ce réseau administratif
dont ils rencontrent partout les mailles, les proscrits n’ont plus qu’à se
tapir dans des trous et à fuir par mer.
— Arrivés à Bordeaux, ils y
trouvent d’autres moutons qui se préparent pour la boucherie. Le maire Saige prêche la conciliation et la
patience : il refuse les services de quatre à cinq mille jeunes gens, de trois
mille grenadiers de la garde nationale, de deux ou trois cents cavaliers, des
volontaires qui s’étaient formés en club contre le club jacobin ; il les engage
à se dissoudre, il envoie à Paris une députation suppliante, pour obtenir que
la Convention oublie « un instant d’erreur », et fasse grâce « à des frères
égarés ». – « On se flattait, dit un
député, témoin oculaire , qu’une prompte soumission apaiserait le ressentiment
des tyrans et qu’ils auraient ou affecteraient la générosité d’épargner une
ville qui s’était signalée plus que toute autre pendant la Révolution. »
Jusqu’à la fin, les Bordelais garderont les mêmes illusions et feront preuve de
la même docilité. Quand Tallien, avec ses dix-huit cents paysans et
brigands, entrera dans Bordeaux, les douze mille hommes de la garde nationale,
armés, équipés, en uniforme, viendront le recevoir avec des couronnes de chêne
; ils subiront en silence « sa harangue foudroyante et outrageuse » ; les
commandants se laisseront arracher leurs branches de chêne, leurs cocardes et
leurs épaulettes ; les bataillons se laisseront casser et disperser sur place ;
rentrés au logis, chefs et soldats écouteront, le front bas, la proclamation
qui prescrit « à tous les habitants, sans distinction, de déposer, dans les
trente-six heures, sous peine de mort, leurs armes sur les glacis de
Château-Trompette, et, avant le terme, trente mille fusils, les épées, les
pistolets et jusqu’aux canifs seront livrés ». – Ici, comme à Paris au 20 juin,
au 10 août, au 2 septembre, au 31 mai et au 2 juin, comme en province et à
Paris dans tous les mouvements décisifs de la Révolution, les habitudes de
subordination et de douceur, imprimées par la monarchie administrative et par
la civilisation séculaire, ont émoussé dans l’homme la prévision du danger,
l’instinct militant, la faculté de ne compter que sur soi, la volonté de
s’aider et de se sauver soi-même. Infailliblement, quand l’anarchie ramène une
pareille nation à l’état de nature, les animaux apprivoisés sont mangés par les
bêtes féroces. Celles-ci sont lâchées, et tout de suite leur naturel se déclare….
Les Montagnards vainqueurs préfèrent
la guerre civile et les intérêts de leur secte à l’intérêt national
Si les hommes de la Montagne avaient
été des hommes d’État, ou seulement des hommes de sens, ils se seraient montrés
humains, sinon par humanité, du moins par intérêt ; car, dans cette France si
peu républicaine, ce n’était pas trop de tous les républicains pour fonder la
République, et, par leurs principes, leur culture, leur rang social, leur
nombre, les Girondins étaient l’élite et la force, la sève et la fleur du
parti. – Que la Montagne poursuive à mort les insurgés de la Lozère et de la Vendée, cela se comprend : ils ont
arboré le drapeau blanc, ils reçoivent leurs chefs et leurs instructions de
Coblentz et de Londres. Mais ni
Bordeaux, ni Marseille, ni Lyon ne sont royalistes ou ne s’allient avec
l’étranger. « Nous, des rebelles ! écrivent les Lyonnais ; mais on ne voit flotter chez nous que le
drapeau tricolore ; la cocarde blanche, symbole de la rébellion, n’a jamais
paru dans nos murs. Nous, des royalistes ! mais les cris de Vive la République
se font entendre de toutes parts, et, par un mouvement spontané, dans la séance
du 2 juillet, nous avons tous prêté le serment de courir sus à quiconque
proposerait un roi... Vos représentants vous disent que nous sommes des
contre-révolutionnaires, et nous avons accepté la Constitution. Ils vous disent
que nous protégeons les émigrés, et nous leur avons offert de leur livrer tous
ceux qu’ils pourraient nous indiquer. Ils vous disent que nos rues sont pleines
de prêtres réfractaires, et nous n’avons pas même fait sortir de Pierre-Encize
trente-deux prêtres qui y avaient été enfermés par l’ancienne municipalité,
sans procès-verbal, sans dénonciation quelconque, et uniquement parce qu’ils
étaient prêtres. » Ainsi, à Lyon, les prétendus aristocrates étaient alors, non
seulement des républicains, mais des démocrates et des radicaux, fidèles au
régime établi, soumis aux pires lois révolutionnaires ; et l’attitude était
pareille à Bordeaux, à Marseille, à Toulon même
. — Bien mieux, on s’y résignait aux attentats du 31 mai et du 2
juin ; on cessait de contester les
usurpations de Paris ; on n’exigeait plus la rentrée des députés exclus. Le 2
août à Bordeaux, le 30 juillet à Lyon, la Commission extraordinaire de salut
public se démettait ; il n’y avait plus, en face de la Convention, aucune
assemblée rivale. Dès le 24 juillet , Lyon, solennellement, lui reconnaissait
l’autorité centrale et suprême, et ne revendiquait plus que ses franchises
municipales….
Ils concédaient tout, sauf un point qu’ils ne pouvaient abandonner sans se
perdre eux-mêmes, je veux dire la
certitude de ne pas être livrés sans défense à l’arbitraire illimité de leurs
tyrans locaux, aux spoliations, aux proscriptions, aux vengeances de leur
canaille jacobine. En somme, à Marseille,
à Bordeaux, surtout à Lyon et à Toulon, les sections ne s’étaient levées que pour cela : par un
effort brusque et spontané, le peuple avait détourné le couteau qu’une poignée
de sacripants lui portait à la gorge ; il
n’avait pas voulu et il ne voulait pas être septembrisé, rien de plus ;
pourvu qu’on ne le remît pas, pieds et poings liés, aux mains des massacreurs,
il ouvrait ses portes. À ce prix minime,
la Montagne pouvait, avant la fin de juillet, terminer la guerre civile ;
elle n’avait qu’à suivre l’exemple de Robert
Lindet qui, à Évreux, patrie de Buzot, à Caen, patrie de Charlotte Corday
et siège central des Girondins fugitifs, avait rétabli l’obéissance à demeure,
par la modération qu’il avait montrée et par les promesses qu’il avait
tenues . Très certainement, les procédés
qui avaient pacifié la province la plus compromise auraient ramené les autres,
et, par cette politique, on ralliait autour de Paris, sans coup férir, la
capitale du Centre, la capitale du Sud-Ouest et la capitale du Midi.
Au contraire, si l’on s’obstinait à leur imposer la domination de leurs
Maratistes, on courait risque de les jeter dans les bras de l’ennemi. Plutôt que de retomber au pouvoir des
bandits qui l’avaient rançonné et décimé, Toulon, affamé, allait recevoir les
Anglais dans ses murs et leur livrer le grand arsenal du Sud. Non moins
affamé, Bordeaux pouvait se laisser tenter jusqu’à demander le secours d’une
autre flotte anglaise. En quelques marches, l’armée piémontaise arrivait à Lyon
; la France était coupée en deux, le Midi détaché du Nord et ce projet
d’insurger le Midi contre le Nord était proposé aux alliés par le plus
perspicace de leurs conseillers.. (NB :Mallet
du Pan)…
Ainsi, par ses exigences, la
Montagne se condamnait à faire plusieurs sièges ou blocus de plusieurs
mois , à dégarnir le Var et la Savoie, à
épuiser ses arsenaux, à employer contre des Français cent mille soldats avec les munitions dont la France avait tant
besoin contre l’étranger, et cela au moment où l’étranger
prenait Valenciennes et Mayence, où
trente mille royalistes se levaient dans la Lozère, où la grande armée
vendéenne assiégeait Nantes, où chaque nouveau foyer d’incendie menaçait de
rejoindre la frontière en feu et
l’incendie permanent des contrées catholiques
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