Les effets de la Constitution civile du
clergé, Les réfractaires : sur soixante-dix mille prêtres, quarante-six mille sont destitués. Deux
partis, deux croyances, deux cultes et la discorde en permanence. Vrai prêtre contre prêtre fonctionnaire.
Le premier fait le vide autour du second, le second envoie les gendarmes contre
le premier
La guillotine ou la noyade pour les deux tiers
du clergé de France.
Auguste Comte : « l’asservissement général du pouvoir
spirituel au pouvoir temporel, principale cause de la plupart des aberrations, pousse
spontanément à remplacer la persuasion par la violence » (Cours de Philosophie Positive) ;
Les réfractaires : sur soixante-dix mille prêtres,
quarante-six mille sont destitués
Qu’ils prêtent le « serment pur et simple » ; sinon ils sont « réfractaires
». Le mot est prononcé, et ses conséquences sont immenses ; car, avec le
clergé, la loi atteint les laïques. – D’une
part, tous les ecclésiastiques qui refusent le serment requis sont destitués.
S’ils continuent à « s’immiscer dans aucune de leurs fonctions publiques « ou
dans celles qu’ils exerçaient en corps », ils « seront poursuivis comme perturbateurs de l’ordre, condamnés comme
rebelles à la loi », privés de tous leurs droits de citoyens actifs, déclarés
incapables de toute fonction publique. Telle est déjà la peine pour
l’évêque insermenté qui persiste à se croire évêque, à ordonner un prêtre, à
publier un mandement. Telle sera bientôt la peine pour le curé insermenté qui
osera confesser ou dire la messe . – D’autre part, tous les citoyens qui
refusent le serment requis, électeurs, officiers municipaux, juges,
administrateurs, sont déchus de leur droit de vote, révoqués de leurs fonctions
et déclarés incapables de tout office public
. Par suite, les catholiques scrupuleux sont exclus des administrations,
des élections, et particulièrement des élections ecclésiastiques ; d’où il suit
que plus on est croyant, moins on a de
part au choix de son prêtre . – Admirable loi qui, sous prétexte de
réformer les abus ecclésiastiques ou laïques, met tous les fidèles,
ecclésiastiques ou laïques, hors la loi.
Dès les premiers jours, la chose devient manifeste. Cent trente-quatre
archevêques, évêques, coadjuteurs refusent le serment ; on n’en trouve que quatre pour le prêter, dont trois, MM. de
Talleyrand, de Jarente, de Brienne, incrédules et connus par leurs mauvaises
mœurs : le reste a résisté par conscience, et surtout par esprit de corps ou
par point d’honneur. Autour de cet état-major, le plus grand nombre des curés
se rallient. Dans le diocèse de Besançon , sur quatorze cents prêtres, trois
cent trente font le serment, mille le refusent, quatre-vingts le rétractent.
Dans le département du Doubs, il n’y en a qu’un sur quatre qui consente à
jurer. Dans le département de la Lozère, il n’y en a que « dix sur deux cent
cinquante ». – « Il est avéré, écrit le mieux instruit de tous les
observateurs, que partout en France les
deux tiers des ecclésiastiques ont repoussé le serment, ou ne l’ont prêté
qu’avec les restrictions de M. l’évêque de Clermont. » – Ainsi, sur
soixante-dix mille prêtres, quarante-six mille sont destitués, et la
majorité de leurs paroissiens est pour eux. On s’en aperçoit à l’absence des
électeurs convoqués pour les remplacer : à Bordeaux, sur 900, il n’en vient que
450 ; ailleurs, la convocation n’en rassemble que « le tiers ou le quart ». –
En nombre d’endroits, il ne se présente point de candidats, ou les élus ne
veulent point accepter. On est obligé, pour remplir les places, d’aller
chercher des moines défroqués et d’un aloi douteux. –
Deux croyances, deux prêtres :
le premier fait le vide autour du second, le second envoie les gendarmes contre
le premier
Dès lors, dans chaque paroisse,
il y a deux partis, deux croyances, deux cultes et la discorde en permanence. Même quand l’ancien et le nouveau
curés sont tolérants, leur situation les met en conflit. Pour le premier,
le second est « l’intrus ». En qualité de gardien des âmes, le premier ne peut
se dispenser de dire à ses paroissiens que l’intrus est excommunié, que ses
sacrements sont nuls ou sacrilèges, qu’on ne peut sans péché entendre sa messe.
En qualité de fonctionnaire, le second
ne peut manquer d’écrire aux autorités que le réfractaire accapare les fidèles,
fanatise les consciences, sape la Constitution, et doit être réprimé par la
force. En d’autres termes, le premier fait le vide autour du second, le second
envoie les gendarmes contre le premier, et la persécution commence. – Par un renversement étrange, c’est la
majorité qui la subit, et c’est la minorité qui l’exerce. Partout la messe
du curé constitutionnel est désertée .
En Vendée, sur cinq à six cents paroissiens, il a dix ou douze assistants ; le
dimanche et les jours de fête, on voit des villages et des bourgs entiers aller
à une et deux lieues entendre la messe orthodoxe ; les villageois disent que «
si on leur rend leur ancien curé, ils payeront volontiers double imposition ».
– En Alsace, « les neuf dixièmes au moins des catholiques refusent de
reconnaître les prêtres assermentés ». Même spectacle en Franche-Comté, dans
l’Artois et dans dix autres provinces. – À la fin, comme dans un composé
chimique, le départ s’est fait. Autour de l’ancien curé sont rangés tous ceux
qui sont ou redeviennent croyants, tous ceux qui, par conviction ou tradition,
tiennent aux sacrements, tous ceux qui, par habitude ou foi, ont envie ou besoin
d’entendre la messe. Le nouveau curé n’a pour auditeurs que des sceptiques, des
déistes, des indifférents, gens du club, membres de l’administration, qui
viennent à l’église comme à l’hôtel de ville ou à la société populaire, non par
zèle religieux, mais par zèle politique, et qui soutiennent l’intrus pour
soutenir la Constitution.
Cela ne lui fait pas des
sectateurs très fervents, mais cela lui fournit des protecteurs très ardents,
et, à défaut de la foi qu’ils n’ont pas, ils mettent la force qu’ils ont à son
service. Contre l’évêque ou le curé insoumis, tout moyen leur est bon, non
seulement la loi qu’ils aggravent par leurs interprétations forcées et par leur
arbitraire illégal, mais encore l’émeute qu’ils lancent par leurs excitations
ou qu’ils autorisent par leur tolérance . – Il est expulsé de sa paroisse, consigné
au chef-lieu, détenu en lieu sûr. Le directoire de l’Aisne le déclare
perturbateur de l’ordre public, et lui défend, sous des peines graves, de
conférer les sacrements. La municipalité de Cahors fait fermer les églises
particulières et ordonne aux ecclésiastiques qui n’ont pas juré d’évacuer la
ville dans les vingt-quatre heures. Le corps électoral du Lot les dénonce
publiquement comme « des bêtes féroces », des incendiaires, des promoteurs de
guerre civile… – Tel curé de l’Aisne qui, en 1789, avait nourri deux
mille pauvres, ayant osé lire en chaire un mandement sur le carême, le maire le
saisit au collet, l’empêche de monter à l’autel ; « deux hoquetons nationaux »
lèvent le sabre sur lui, et, séance tenante, tête nue, sans pouvoir rentrer
chez lui, il est expulsé à deux lieues, au son du tambour et sous escorte…
La guillotine ou la noyade pour
les deux tiers du clergé de France
– Voici venir la révolte des
paysans, les insurrections de Nîmes, de la Franche-Comté, de la Vendée, de la
Bretagne, l’émigration, la déportation, l’emprisonnement, la guillotine ou la
noyade pour les deux tiers du clergé de France et pour ses myriades de
fidèles, laboureurs, artisans, journaliers, couturières, servantes, et les plus
humbles entre les gens du peuple. À cela conduisent les lois de l’Assemblée
constituante. – À l’endroit du clergé comme à l’endroit des nobles et du roi,
elle a démoli un mur solide pour enfoncer une porte ouverte ; rien de singulier
si l’édifice entier croule sur la tête des habitants. Il fallait réformer,
respecter, utiliser les supériorités et les corps ; au nom de l’égalité
abstraite et de la souveraineté nationale, elle n’a songé qu’à les abolir. Pour
les abolir, elle a pratiqué, ou toléré ou préparé tous les attentats contre les
propriétés p.445 et les personnes. Ceux qu’on commettra sont les suites
inévitables de ceux qu’elle a commis ; car par sa Constitution le mal se change
en pire, et l’édifice social, déjà demi-ruiné par les maladroites destructions
qu’elle y a faites, tombera sous le poids des bâtisses incohérentes ou
extravagantes qu’elle y va improviser.
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