Important et magistral :
ou comment les jacobins minoritaires vont
prendre le contrôle du pays – un vrai bréviaire do totalitarisme : manipulation
d’une assemblée par sa minorité, manipulation de l’opinion publique, contrôle
de la police, surveillance, dénonciation, provocation, politique de l’émeute, les agitateurs
stipendiés ; du bon usage des idiots utiles- le Duc d’Orléans. Comment les
jacobins se coulent dans la centralisation monarchique et l(aggravent- il
suffit alors de controler le centre. Une foi simpliste, une fièvre proche de
la folie.
Une machine efficace pour contrôler
l’opinion et l’assemblée : du mauvais usage de la police
Nulle machine plus efficace ; on
n’en a jamais vu de mieux combinée pour fabriquer une opinion artificielle et
violente, pour lui donner les apparences d’un vœu national et spontané, pour conférer à la minorité bruyante les droits de la majorité muette, pour
forcer la main au gouvernement. « Notre
tactique était simple, dit Grégoire . On
convenait qu’un de nous saisirait l’occasion opportune de lancer sa proposition
dans une séance de l’Assemblée nationale. Il était sûr d’y être applaudi par un
très petit nombre et hué par la majorité. N’importe. Il demandait et l’on
accordait le renvoi à un comité où les opposants espéraient inhumer la
question. Les Jacobins de Paris s’en emparaient. Sur invitation circulaire ou
d’après leur journal, elle était discutée dans trois ou quatre cents sociétés
affiliées, et, trois semaines après, des adresses pleuvaient à l’Assemblée pour
demander un décret dont elle avait d’abord rejeté le projet, et qu’elle
admettait ensuite à une grande majorité, parce que la discussion avait mûri
l’opinion publique. » – En d’autres
termes, il faut que l’Assemblée marche ; sinon on la traîne, et, pour
l’entraîner, les pires expédients sont bons : là-dessus, fanatiques ou
intrigants, tous les conducteurs du club se trouvent d’accord.
En tête des premiers est Duport,
ancien conseiller au Parlement, qui, dès 1788, a compris l’emploi des émeutes ;
les premiers conciliabules révolutionnaires se sont tenus chez lui ; il veut «
labourer profond » et ses plans pour enfoncer la charrue sont tels que Siéyès,
esprit radical s’il en fut, les a nommés une « politique de caverne ». C’est Duport qui, le 28 juillet 1789, a
fait établir le Comité des recherches ;
par suite tous les délateurs ou espions de bonne volonté font, sous sa main,
une police de surveillance qui devient vite une police de provocation. La
salle basse des Jacobins, où chaque matin on catéchise les ouvriers, lui
fournit des recrues, et ses deux seconds, les frères Lameth, n’ont qu’à y
puiser pour trouver un personnel zélé, des agents de choix. « Tous les
jours , dix hommes dévoués viennent
prendre leur ordre ; chacun de ces dix le donne à son tour à dix hommes
appartenant aux divers bataillons de Paris. De cette façon, tous les bataillons et toutes les sections reçoivent à
la fois la même proposition d’émeute, la même dénonciation contre les autorités
constituées, contre le maire de Paris, contre le président du département,
contre le commandant général de la garde nationale », le tout en secret : c’est
une œuvre de ténèbres ; ses chefs eux-mêmes la nomment « le Sabbat » et, avec
les exaltés, ils enrôlent les bandits à leur service. « On fait courir le
bruit que, tel jour, il y aura un grand désordre, des assassinats, un pillage
important, précédé d’une distribution manuelle par les chefs subalternes pour
les gens sûrs, et, d’après ces annonces, les brigands se rassemblent de trente
à quarante lieues à la ronde . » – Un
jour, pour lancer l’émeute, « six hommes qui s’entendent font d’abord un petit
groupe dans lequel un d’entre eux pérore avec véhémence : soixante autres
s’amassent ; puis les six premiers moteurs vont de place en place » reformer
d’autres groupes et donner à leur parade d’agitation l’apparence d’une émotion
populaire. – Une autre fois, « quarante fanatiques à puissants poumons et
quatre à cinq cents hommes payés », répandus dans les Tuileries, poussent « des
cris forcenés », et viennent jusque sous les fenêtres de l’Assemblée nationale
« faire des motions d’assassinat ». — « Vos huissiers, dit un député, chargés
de vos ordres pour faire cesser le tumulte, ont entendu les menaces réitérées
de vous apporter les têtes qu’on voulait proscrire... Le soir même, au
Palais-Royal, j’ai entendu l’un des chefs subalternes de ces factieux se vanter
d’avoir enjoint à vos huissiers de vous porter cette réponse, et il ajoutait
qu’il était temps encore pour les bons citoyens de suivre son conseil. » – Les
agitateurs ont pour mot de guet : Êtes-vous sûr ? et pour réponse : Un homme
sûr ; ils sont payés 12 francs par jour, et, pendant l’action, ils embauchent
au même prix sur place. « Par plusieurs dépositions faites entre les mains des
officiers de la garde nationale et à la mairie », il est constaté que «
d’honnêtes gens ont reçu cette proposition de 12 francs pour joindre leurs cris
à ceux que vous entendiez retentir, et qu’il en est à qui l’on a laissé les 12
francs dans la main ». — Pour l’argent,
on puise dans la caisse du duc d’Orléans, et l’on y puise abondamment : à sa
mort, sur 114 millions de biens, il avait 74 millions de dettes ; étant de la faction, il contribue aux
dépenses, et comme il est l’homme le plus opulent du royaume, il contribue
à proportion de son opulence. Non pas qu’il soit un chef véritable, son
caractère est trop mou, trop ramolli ; mais « son petit conseil », et notamment son secrétaire des
commandements, Laclos, ont de grands projets pour lui ; ils veulent le faire
lieutenant général du royaume, à la fin régent ou même roi…
Ils sont une bande dans une foule
Au premier regard, leur succès semble douteux ; car ils ne sont qu’une minorité, une minorité bien petite. —
Révolutionnaires de toute nuance et de tout degré, Girondins ou Montagnards, à
Besançon, en novembre 1791, sur plus de trois mille électeurs, on n’en trouve
en tout que cinq ou six cents, et, en novembre 1792, sur six à sept mille
électeurs, pas davantage . — A Paris, en
novembre 1791, sur plus de quatre-vingt-un mille inscrits, ils sont six mille
sept cents ; en octobre 1792, sur cent soixante mille inscrits, ils sont moins
de quatorze mille . — En 1792, à Troyes,
sur sept mille électeurs, à Strasbourg sur huit mille électeurs, il ne s’en
trouve que quatre ou cinq cents . —
Partant, c’est tout au plus s’ils font le dixième de la population électorale,
et encore, si l’on met à part les Girondins, les demi-modérés, ce nombre se
réduit de moitié. Vers la fin de 1792, à Besançon, sur vingt-cinq à trente
mille habitants, on ne découvre guère que trois cents Jacobins purs, et à
Paris, sur sept cent mille habitants, on n’en constate que cinq mille :
certainement, dans la capitale, où ils sont plus échauffés et plus nombreux
qu’ailleurs, même aux jours de crise, en payant les vagabonds et en recrutant
les bandits, ils ne seront jamais plus de dix mille . Dans une grande ville comme Toulouse, le
représentant du peuple en mission n’aura pour lui que quatre cents hommes . Comptez-en une cinquantaine dans chaque
petite ville, quinze ou vingt dans chaque gros bourg, cinq ou six dans chaque
village : en moyenne, sur quinze
électeurs et gardes nationaux, il ne se rencontre qu’un Jacobin, et, dans toute
la France, tous les Jacobins réunis ne sont pas trois cent mille . – Ce n’est guère pour asservir six à sept
millions d’hommes faits, et pour étendre sur un pays qui comprend vingt-six
millions d’habitants un despotisme plus absolu que celui des souverains
asiatiques. Mais la force ne se mesure pas au nombre : ils sont une bande dans une foule, et, dans une foule désorganisée,
inerte, une bande décidée à tout perce en avant comme un coin de fer dans un
amas de plâtras disjoints…
Les centralisateurs jacobins
héritiers de la centralisation monarchique
Dans un grand État centralisé,
quiconque tient la tête a le corps ; à force d’être conduits, les Français ont
contracté l’habitude de se laisser conduire . Involontairement les provinciaux tournent
les yeux vers la capitale, et, aux jours de crise, ils vont d’avance sur la
grande route pour apprendre du courrier quel gouvernement leur est échu. Ce
gouvernement du centre, en quelques mains qu’il soit tombé, la majorité
l’accepte ou le subit. Car, en premier lieu, la plupart des groupes isolés qui
voudraient le voir à bas n’osent engager la lutte : il leur semble trop fort ;
par une routine invétérée, ils imaginent derrière lui la grande France
lointaine qui, poussée par lui, va les écraser de sa masse . En second lieu, si quelques groupes isolés
entreprennent de le mettre à bas, ils sont hors d’état de soutenir la lutte ;
il est trop fort pour eux. Effectivement, ils ne sont pas encore organisés, et
il l’est tout de suite, grâce au personnel docile que lui a légué le
gouvernement déchu.
Monarchie ou république, le
commis vient chaque matin à son bureau pour expédier les ordres qui lui sont
transmis . Monarchie ou république, le
gendarme, chaque après-midi, fait sa tournée pour arrêter les gens contre
lesquels il a des mandats. Pourvu que l’injonction arrive d’en haut et par voie
hiérarchique, elle s’exécute, et, d’un bout à
l’autre du territoire, la machine aux
cent mille rouages fonctionne efficacement sous la main qui a saisi la poignée
du centre. Il n’y a qu’à tourner cette poignée avec résolution, force et
rudesse, et ce n’est ni la rudesse, ni la résolution, ni la force, qui
manqueront au Jacobin.
Une foi simple et efficace, une
fièvre à la limite de la folie
D’abord il a la foi, et en tout
temps la foi « transporte des montagnes ». Considérez
l’une des recrues ordinaires du parti, un procureur, un avocat de second ordre,
un boutiquier, un artisan, et calculez, si vous pouvez, l’effet extraordinaire
de la doctrine sur un cerveau si peu préparé, si borné, si disproportionné à la
gigantesque idée qui s’empare de lui. Il était fait pour la routine et les
courtes vues de son état, et, tout d’un
coup, le voilà envahi par une philosophie complète, théorie de la nature et de
l’homme, théorie de la société et de la religion, théorie de l’histoire
universelle , conclusions sur le passé,
le présent et l’avenir de l’humanité, axiomes de droit absolu, système de la
vérité complète et définitive, le tout concentré en quelques formules rigides,
par exemple : « La religion est une superstition ; la monarchie est une
usurpation ; tous les prêtres sont des imposteurs ; tous les aristocrates sont
des vampires ; tous les rois sont des tyrans et des monstres. » De telles
pensées déversées dans un tel esprit sont un torrent énorme qui s’engouffre
dans un conduit étroit : elles le bouleversent ; ce n’est plus lui qui les
dirige, ce sont elles qui l’emportent. L’homme est hors de soi : de simple
bourgeois ou d’ouvrier ordinaire, on ne devient pas impunément apôtre et
libérateur du genre humain. — Car c’est
bien le genre humain, ce n’est pas seulement sa patrie qu’il sauve.
Quelques jours avant le 10 août, Roland
disait « les larmes aux yeux » : « Si la liberté meurt en France, elle est à
jamais perdue pour le reste du monde ; toutes les espérances des
philosophes sont déçues ; la plus cruelle tyrannie pèsera sur la terre . » – A la première séance de la Convention,
Grégoire, ayant fait décréter l’abolition de la royauté, fut comme éperdu à la
pensée du bienfait immense qu’il venait de conférer à l’espèce humaine. «
J’avoue, dit-il, que, pendant plusieurs jours, l’excès de la joie m’ôta l’appétit
et le sommeil. » – « Nous serons un
peuple de dieux ! » s’écriait un jour un Jacobin à la tribune. – On devient
fou avec de tels rêves ; du moins, on devient malade. « Des hommes ont eu la fièvre pendant vingt-quatre heures, disait un
compagnon de Saint-Just ; moi, je l’ai eue pendant douze ans ... » Plus tard, « avancés en âge, lorsqu’ils
veulent la soumettre à l’analyse, ils ne la comprennent plus ». Un autre
raconte que « chez lui, aux moments de crise, la raison n’était séparée de la
folie que par l’épaisseur d’un cheveu ». –
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