Malgré les pressions électorales, le vote
public, les démissions forcées, la majorité est jacobine, mais Girondine. Manque
de représentativité du vote. Portrait du
Girondin : situation sociale, idéologie, psychologie, caractère sectaire
mais respect de la légalité, refus de la violence extra légale et des façons
populacières des Montagnards
Les élections jacobines- fin du secret du
vote
– Après
l’épuration des personnes, elle procède à l’épuration des sentiments. À Paris et dans neuf départements au
moins , au mépris de la loi, elle
supprime le scrutin secret, refuge suprême des modérés timides, et impose à
chaque électeur le vote public à haute voix, sur appel nominal,
c’est-à-dire, s’il vote mal, la perspective de la lanterne . Rien de plus efficace pour tourner dans le
bon sens les volontés indécises, et, en maint endroit, des machines encore plus
puissantes se sont appliquées violemment sur les élections. À Paris, on a voté en pleine boucherie et
pendant tout le cours de la boucherie, sous les piques des exécuteurs et sous
la conduite des entrepreneurs. À
Meaux et à Reims, les électeurs en séance ont pu entendre les cris des prêtres
qu’on égorgeait. À Reims, les massacreurs ont eux-mêmes intimé à
l’assemblée électorale l’ordre d’élire leurs candidats, Drouet, le fameux
maître de poste, et Armonville, un cardeur de laine ivrogne ; sur quoi la
moitié de l’assemblée s’est retirée, et les deux candidats des assassins ont
été élus. À Lyon, deux jours après le massacre, le commandant jacobin écrit au
ministre : « La catastrophe d’avant-hier met les aristocrates en fuite et nous
assure la majorité dans Lyon . » Du
suffrage universel soumis à tant de triages, foulé par une si rude pression,
chauffé et filtré dans l’alambic révolutionnaire, les opérateurs tirent ce
qu’ils veulent, un extrait concentré, une quintessence de l’esprit jacobin.
Au reste, si l’extrait obtenu ne leur
semble pas assez fort, là où ils sont souverains, ils le rejettent et
recommencent l’opération. — À Paris, au moyen d’un scrutin
épuratoire et surajouté, le nouveau conseil de la Commune entreprend
l’expulsion de ses membres tièdes, et le maire élu des modérés, Le Fèvre
d’Ormesson, est assailli de tant de menaces qu’au moment d’être installé il se
démet. À Lyon , un autre modéré, Nivière-Chol, élu deux fois et par près de 9 000 votants sur 11 000,
est contraint deux fois d’abandonner sa place ; après lui, le médecin Gilibert, qui, porté par les mêmes
voix, allait aussi réunir la majorité des suffrages, est saisi tout d’un coup
et jeté en prison ; même en prison, il
est élu ; les clubistes l’y maintiennent d’autant plus étroitement et ne le
lâchent pas, même après qu’ils lui ont extorqué sa démission. – Ailleurs, dans
les cantons ruraux, en France-Comté par exemple
, quantité d’élections sont cassées si l’élu est catholique. Souvent la
minorité jacobine fait scission, s’assemble à part au cabaret, élit son maire
ou son juge de paix, et c’est son élu qui est validé comme patriote ; tant pis
pour celui de la majorité : les suffrages bien plus nombreux qui l’ont choisi
sont nuls, parce qu’ils sont « fanatiques ». — Interrogé de cette façon, le
suffrage universel ne peut manquer de faire la réponse qu’on lui dicte. À quel point cette réponse est forcée et
faussée, quelle distance sépare les choix officiels et l’opinion publique,
comment les élections traduisent à rebours le sentiment populaire, des faits
sans réplique vont le montrer. Les
Deux-Sèvres, le Maine-et-Loire, la Vendée, la Loire-Inférieure, le Morbihan et
le Finistère n’ont envoyé à la Convention que des républicains
anticatholiques, et ces mêmes départements seront la pépinière inépuisable de
la grande insurrection catholique et royaliste. Trois régicides, sur quatre
députés, représentent la Lozère, où, six mois plus tard, trente mille paysans
marcheront sous le drapeau blanc. Six régicides, sur neuf députés,
représentent la Vendée qui va se lever tout entière au nom du roi.
Portrait, psychologie et doctrine du Girondin
Si vigoureuse qu’ait été la
pression électorale, la machine à voter n’a point rendu tout ce qu’on lui demandait. Au début de la session, sur sept cent quarante-neuf députés, il ne s’en
trouve qu’une cinquantaine pour
approuver la Commune, presque tous élus, comme à Reims et à Paris, là où la
terreur a pris l’électeur à la gorge, « sous les crocs, sous les haches ; sous
les poignards et les massues des assommeurs
». Ailleurs, où la sensation physique du meurtre n’a pas été aussi
présente et poignante, un reste de pudeur a empêché les choix trop criants. On
n’a pu défendre aux suffrages de se porter sur des noms connus ;
soixante-dix-sept membres de la Constituante, cent quatre-vingt-six de la
Législative entrent à la Convention, et à beaucoup d’entre eux la pratique du
gouvernement a donné quelques lumières. Bref, chez six cent cinquante députés,
la conscience et l’intelligence ne sont faussées qu’à demi.
Sans doute ils sont tous
républicains décidés, ennemis de la tradition, apôtres de la raison, nourris de
politique déductive ; on ne pouvait être nommé qu’à ce prix. Tout candidat
était tenu d’avoir la foi jacobine ou du moins de réciter le symbole
révolutionnaire. En conséquence, dès sa première séance, la Convention, à
l’unanimité, vote avec enthousiasme et par acclamation l’abolition de la
royauté, elle jugera Louis XVI « coupable de conspiration contre la liberté de
la nation et d’attentat contre la sûreté générale de l’État ». – Mais sous les préjugés politiques
subsistent les habitudes sociales. Par cela seul qu’un homme est né et a vécu
longtemps dans une société ancienne, il en a reçu l’empreinte, et les pratiques
qu’elle observe se sont déposées en lui sous forme de sentiments : si elle est
réglée et policée, il y a contracté involontairement le respect de la propriété
et de la vie humaine, et, dans la plupart des caractères, ce respect s’est
enfoncé très avant. Une théorie, même adoptée, ne parvient pas à le détruire…
Nés presque tous dans la bourgeoisie moyenne, presque tous nos
législateurs, quelle que soit l’effervescence momentanée de leur cervelle, sont au fond ce qu’ils ont été jusqu’ici,
des avocats, procureurs, négociants, prêtres ou médecins de l’ancien régime et
ce qu’ils seront plus tard, des
administrés dociles ou des fonctionnaires zélés de l’Empire , c’est-à-dire des hommes civilisés de
l’espèce ordinaire, des bourgeois du dix-huitième et du dix-neuvième siècle,
assez honnêtes dans la vie privée pour avoir envie de l’être aussi dans la vie
publique. – C’est pourquoi ils ont horreur de l’anarchie, de Marat
, des égorgeurs et des voleurs de septembre. Trois jours après leur
réunion, « presque à l’unanimité », ils
votent la préparation d’une loi « contre les provocateurs au meurtre et à
l’assassinat ». – « Presque à l’unanimité », ils veulent se donner une
garde recrutée dans les quatre-vingt-trois départements contre les bandes
armées de Paris et de la Commune. Pour premier président, ils ont élu Pétion «
presque à la totalité des suffrages ». Roland, qui vient de leur lire son
rapport, reçoit « les plus vifs applaudissements de l’Assemblée presque entière
». – Bref, ils sont pour la république idéale contre les brigands de fait…
Parmi les républicains, ceux-ci sont les plus estimables et les plus
croyants ; car ils le sont depuis longtemps, par réflexion, étude et système,
presque tous lettrés et liseurs, raisonneurs et philosophes, disciples de Diderot ou de Rousseau,
persuadés que la vérité absolue a été révélée par leurs maîtres, imbus de l’Encyclopédie ou du Contrat
social, comme jadis les puritains de la Bible . À l’âge où l’esprit,
devenant adulte, s’éprend d’amour pour les idées générales , ils ont épousé la théorie et voulu rebâtir
la société sur des principes abstraits. À cet effet, ils ont procédé en purs
logiciens, avec toute la rigueur superficielle et fausse de l’analyse en vogue
: ils se sont représenté l’homme en
général, le même en tout temps et en tout pays, un extrait et un minimum de
l’homme ; ils ont considéré plusieurs milliers ou millions de ces êtres
réduits, érigé en droits primordiaux leurs volontés imaginaires et rédigé
d’avance le contrat chimérique de leur association impossible.
Plus de privilèges, plus d’hérédité, plus de cens, tous électeurs, tous
éligibles, tous membres égaux du souverain ; tous les pouvoirs à court terme et
conférés par l’élection ; une assemblée unique, élue et renouvelée en entier
tous les ans, un conseil exécutif élu et renouvelé par moitié tous les ans, une
trésorerie nationale élue et renouvelée par tiers tous les ans ; des
administrations locales élues, des tribunaux élus ; référendum au peuple,
initiative du corps électoral, appel incessant au souverain qui, toujours
consulté, toujours agissant, manifestera sa volonté, non seulement par le choix
de ses mandataires, mais encore par « la censure » qu’il exercera sur les lois
: telle est la Constitution qu’ils se
forgent . « Celle d’Angleterre, dit
Condorcet, est faite pour les riches, celle d’Amérique pour les citoyens aisés
; celle de France doit être faite pour tous les hommes. » — A ce titre, elle
est la seule légitime ; toute institution qui s’en écarte est contraire au
droit naturel, et partant n’est bonne qu’à jeter bas. — C’est ce que les Girondins ont fait sous la Législative ; on sait
par quelle persécution des consciences catholiques, par quelles violations de
la propriété féodale, par quels empiétements sur l’autorité légale du roi, avec quel acharnement contre les restes de
l’ancien régime, avec quelle complaisance pour les crimes populaires, avec
quelle raideur, quelle précipitation, quelle témérité, quelles illusions , jusqu’à lancer la France dans une guerre
européenne, jusqu’à confier les armes à la dernière plèbe, jusqu’à voir
dans le renversement de tout ordre l’avènement de la philosophie et le triomphe
de la raison.
— Quand il s’agit de son utopie, le
Girondin est un sectaire et ne connaît point de scrupules. Peu lui importe que
neuf électeurs sur dix n’aient pas voté : il se croit le représentant autorisé
des dix. Peu lui importe que la
grande majorité des Français soit pour la Constitution de 1791 : il prétend
leur imposer la sienne. Peu lui importe que ses anciens adversaires, roi,
émigrés, insermentés, soient des gens honorables ou du moins excusables : il
prodiguera contre eux toutes les rigueurs légales, la déportation, la
confiscation, la mort civile, la mort physique
. À ses propres yeux, il est justicier, et son investiture lui vient de
la justice éternelle : rien de plus pernicieux chez l’homme que cette
infatuation de droit absolu ; rien de plus propre à démolir en lui l’édifice
héréditaire des notions morales. — Mais, dans l’enceinte étroite de leur dogme,
les Girondins sont conséquents et sincères : ils comprennent leurs formules ;
ils savent en déduire les conséquences ; ils
y croient, comme un géomètre à ses théorèmes et comme un théologien à ses
articles de foi ; ils veulent les appliquer, faire la Constitution, établir
un gouvernement régulier, sortir de l’état barbare, mettre fin aux coups de
main de la rue, aux pillages, aux meurtres, au règne de la force brutale et des
bras nus.
Le légalisme Girondin : réduire Paris à son quatre-vingt-troisième d’influence.
D’ailleurs le désordre, qui leur
répugne à titre de logiciens, leur répugne encore à titre d’hommes cultivés
et polis. Ils ont des habitudes de tenue
, des besoins de décence et même des goûts d’élégance. Ils se savent ni ne veulent imiter les
façons rudes de Danton, ses gros mots, ses jurons, ses familiarités
populacières. Ils ne sont point allés, comme Robespierre, se loger chez un
maître menuisier, pour y vivre et manger avec la famille. Aucun d’eux ne «
s’honore », comme Pache, ministre de la guerre, « de descendre dîner chez son
portier » et d’envoyer ses filles au club pour donner le baiser fraternel à des
Jacobins ivres . Il y a un salon,
quoique pédant et raide, chez Mme Roland.
Barbaroux adresse des vers à une
marquise qui, après le 2 juin, le suivra à Caen. Condorcet a vécu dans le grand
monde, et sa femme, ancienne chanoinesse, a les grâces, le sérieux, l’instruction,
la finesse d’une personne accomplie. De tels hommes ne peuvent souffrir à
demeure la dictature inepte et grossière de la canaille armée. Pour remplir le
trésor public, ils veulent des impôts réguliers, et non des confiscations
arbitraires . Pour réprimer les
malveillants, ils demandent « des punitions, et non des proscriptions ». Pour
juger les crimes d’État, ils repoussent les tribunaux d’exception et
s’efforcent de maintenir aux accusés quelques-unes des garanties ordinaires . S’ils déclarent le roi coupable, ils
hésitent à prononcer la mort, et tâchent d’alléger leur responsabilité par
l’appel au peuple. « Des lois, et non du sang », ce mot, prononcé avec éclat
dans une comédie du temps, est l’abrégé de leur pensée politique.
La loi, surtout la loi républicaine, est générale ; une fois édictée,
personne, ni citoyen, ni cité, ni parti, ne peut sans crime lui refuser
obéissance. Il est monstrueux qu’une
ville s’arroge le privilège de gouverner la nation ; Paris, comme les autres départements,
doit être réduit à son quatre-vingt-troisième d’influence. Il est
monstrueux que, dans une capitale de 700 000 âmes, cinq ou six mille Jacobins
extrêmes oppriment les sections et fassent seuls les élections ; dans les
sections et aux élections, tous les citoyens, ou du moins tous les républicains
doivent avoir un vote égal et libre. Il
est monstrueux que le principe de la souveraineté du peuple soit employé pour
couvrir les attentats contre la souveraineté du peuple, que, sous prétexte de
sauver l’État, le premier venu puisse tuer qui bon lui semble, que, sous
couleur de résister à l’oppression, tout attroupement soit en droit de
renverser tout gouvernement. – C’est pourquoi il faut pacifier ce droit
militant, l’enfermer dans des formes légales, l’assujettir à une procédure
fixe . Si quelque particulier souhaite
une loi, réforme ou mesure publique, qu’il le dise dans un papier signé de lui
et de cinquante autres citoyens de la même assemblée primaire ; alors sa
proposition sera soumise à son assemblée primaire ; puis, en cas de majorité,
aux assemblées primaires de son arrondissement ; puis, en cas de majorité, aux
assemblées primaires de son département ; puis, en cas de majorité, au corps
législatif ; puis, en cas de rejet, à toutes les assemblées primaires de
l’empire, tellement qu’après un second verdict des mêmes assemblées une seconde
fois consultées, le corps législatif, s’inclinant devant la majorité des
suffrages primaires, devra se dissoudre et laisser la place à un corps
législatif nouveau
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