Barère : le «
harangueur à brevet », le décret du 7 prairial, Les Représentants en mission ;
dans sa circonscription il est pacha ; l’épuration des autorités locales ;
Sous peine de mort, le représentant en mission est terroriste
Barère : le «
harangueur à brevet », le décret du 7 prairial
Autre est le ton de l’autre rapporteur, Barère, le
« harangueur à brevet », agréable Gascon, alerte et « dégagé », qui plaisante même
au Comité de Salut public , se trouve à l’aise parmi les assassinats, et,
jusqu’à la fin, parlera de la Terreur « comme de la chose la plus simple, la
plus innocente ». Il n’y eut jamais d’homme moins gêné par sa conscience ; en effet, il
en a plusieurs, celle de l’avant-veille, celle de la veille, celle du jour,
celle du lendemain, celle du surlendemain, d’autres encore et autant qu’on
en veut, toutes pliantes et maniables, au service du plus fort contre le plus
faible, prêtes à virer sur l’heure au premier changement de vent, mais
raccordées entre elles et ramenées à une direction constante par l’instinct
physique, seul persistant dans la créature immorale, adroite et légère qui
circule allègrement à travers les choses, sans autre but que de se conserver et
de s’amuser…
Quand Bonaparte, qui emploie tout le monde, même
Fouché, voudra employer Barère, il n’en pourra rien tirer, faute de fond, sauf
un gazetier de bas étage, un espion ordinaire, un agent provocateur à l’endroit
des Jacobins survivants, plus tard un écouteur aux portes, un ramasseur à la
semaine des bruits publics ; encore est-il incapable de ce service infime et se
fait-il bientôt casser aux gages ; Napoléon, qui n’a pas de temps à perdre,
coupe court à son verbiage de radoteur. – C’est ce verbiage qui, autorisé par
le Comité de Salut public, est maintenant la parole de la France ; c’est ce
fabricant de phrases à la douzaine, ce futur mouchard et mouton de l’Empire,
cet inventeur badin de la conspiration des perruques blondes, que le
gouvernement dépêche à la tribune pour y être l’annonciateur des victoires, le
clairon sonnant de l’héroïsme militaire et le proclamateur de la guerre à mort.
Le 7
prairial , au nom du Comité, Barère
propose le retour au droit sauvage : « Il ne sera plus fait aucun
prisonnier anglais ni hanovrien » ; le décret est endossé par Carnot, et, à
l’unanimité de la Convention, il passe. S’il eût été exécuté, en
représailles, et d’après la proportion des prisonniers, il y aurait eu, pour un
Anglais fusillé, trois Français pendus : l’honneur et l’humanité disparaissaient
des camps ; les hostilités entre chrétiens devenaient des exterminations comme
entre nègres. Par bonheur, les soldats français sentent la noblesse de leur
métier ; au commandement de fusiller les
prisonniers, un brave sergent répond : « Nous ne les fusillerons pas ;
envoyez-les à la Convention ; si les représentants trouvent du plaisir à tuer
un prisonnier, ils peuvent bien le
tuer eux-mêmes, et le manger aussi, comme des sauvages qu’ils sont. » Ce
sergent, homme inculte, n’était pas la hauteur du Comité ni de Barère ; et
pourtant Barère a fait de son mieux, un réquisitoire de vingt-sept pages, à
grand orchestre, avec toutes les ritournelles en vogue, mensonges flagrants et
niaiseries d’apparat, expliquant que « le léopard britannique » a soudoyé
l’assassinat des représentants ; que le cabinet de Londres vient d’armer la
petite Cécile Renault, « nouvelle Corday », contre Robespierre ; que l’Anglais,
naturellement barbare, « ne peut démentir son origine ; qu’il descend des
Carthaginois et des Phéniciens ; que jadis il vendait des peaux de bêtes et des
esclaves ; qu’il n’a pas changé son commerce ; que jadis César, débarquant dans
le pays, n’y trouva qu’une peuplade féroce, se disputant les forêts avec les
loups et menaçant de brûler tous les bâtiments qui tentaient d’y aborder ;
qu’elle est toujours la même. » Une
conférence d’opérateur forain qui, avec de grands mots, recommande les
amputations larges, un prospectus de foire si grossier qu’un pauvre sergent
n’en est pas dupe, tel est l’exposé des motifs sur lesquels ce gouvernement
appuie un décret qu’on dirait rendu chez les Peaux-Rouges ; à l’énormité
des actes il ajoute la dégradation du langage, et ne trouve que des inepties
pour justifier des atrocités…
Les
Représentants en mission ; dans sa circonscription il est pacha.
Le représentant arrive en poste au chef-lieu,
présente ses pouvoirs, à l’instant, toutes les autorités s’inclinent jusqu’à
terre ; le soir, avec son sabre et son panache, il harangue à la société
populaire, attise et fait flamber le foyer du jacobinisme. Puis, d’après ses
connaissances personnelles s’il est du pays, d’après les notes du Comité de
Sûreté générale s’il est nouveau venu, il choisit les cinq ou six « plus chauds
sans-culottes » de l’endroit, les forme en comité révolutionnaire, et les
installe en permanence à côté de lui, parfois dans la même maison, dans une
chambre voisine de la sienne , et, sur
les listes ou renseignements oraux qu’ils lui fournissent, sans désemparer,
d’arrache-pied, il opère.
D’abord, épuration
de toutes les autorités locales. Elles doivent toujours se souvenir « qu’il
n’est rien d’exagéré pour la cause du peuple ; celui qui n’est pas pénétré de
ce principe, celui qui ne l’a pas mis en pratique, ne peut rester au poste
avancé » ; en conséquence, à la société
populaire, au département, au district, à la municipalité, tous les hommes
douteux sont exclus, cassés, incarcérés ; si quelques faibles sont maintenus
provisoirement et par grâce, on les tance rudement, et on leur enseigne leur
devoir d’un ton de maître : « Ils tâcheront, par un patriotisme plus attentif
et plus énergique, de réparer le mal qu’ils ont fait en ne faisant pas tout le
bien qu’ils pouvaient faire. » – Quelquefois, par un changement à vue, le
personnel administratif tout entier, emporté d’un coup de pied, fait place à un
personnel non moins complet que le même coup de pied fait sortir de terre.
Considérant que « tout languit » dans le Vaucluse, « et qu’un affreux
modérantisme paralyse les mesures les plus révolutionnaires », Maignet, d’un
seul arrêté , nomme les administrateurs
et le secrétaire du département, l’agent national, les administrateurs et le
conseil général du district, les administrateurs, le conseil général et l’agent
national d’Avignon, le président, l’accusateur public et le greffier du tribunal
criminel, le président, les juges, le commissaire national et le greffier du
tribunal civil, les membres du tribunal de commerce, les juges de paix, le
receveur du district, le directeur de la poste aux lettres, le chef d’escadron
de la gendarmerie. Et soyez sûr que les nouveaux fonctionnaires fonctionneront
à l’instant, chacun à sa place. Le procédé sommaire, qui a brusquement balayé
la première rangée de pantins, va non moins brusquement installer la seconde…
Obéissance
universelle et passive des administrateurs et des administrés : il n’y a plus
de fonctionnaires élus et indépendants ; confirmées ou créées par le représentant, toutes les autorités sont dans
sa main ; aucune d’elles ne subsiste ou ne surgit que par sa grâce ; aucune d’elles
n’agit que de son consentement ou par son ordre. Directement ou par leur
entremise, il réquisitionne, séquestre
ou confisque ce que bon lui semble, taxe, emprisonne, déporte ou décapite qui
bon lui semble, et dans sa circonscription il est pacha.
Sous
peine de mort, le représentant en mission est terroriste
Mais
c’est un pacha à la chaîne, et tenu de court. – À partir de décembre 1793, il lui est prescrit « de se conformer aux
arrêtés du Comité de Salut public et de correspondre avec lui tous les dix
jours ». La circonscription dans
laquelle il commande est « rigoureusement limitée »..
En même temps, d’en haut et du centre, on le
presse et on le dirige ; on lui choisit ses conseillers locaux et ses
directeurs de conscience ; on le tance
sur le choix de ses agents ou de son logement
; on lui impose des destitutions, des nominations, des arrestations, des
exécutions ; on l’aiguillonne dans la voie de la terreur et des supplices.
Autour de lui, des émissaires payés et
des surveillants gratuits écrivent incessamment aux Comités de Salut public et de
Sûreté générale, souvent pour le dénoncer, toujours pour rendre compte de sa
conduite, pour juger les mesures qu’il prend, pour provoquer les mesures qu’il
ne prend pas .
Quoi
qu’il ait fait et quoi qu’il fasse, il ne peut tourner les yeux vers Paris sans
y voir le danger, un danger mortel, qui, dans les Comités, à la Convention, aux Jacobins, s’amasse ou va
s’amasser contre lui, comme un orage. – Briez, qui dans Valenciennes assiégée a
montré du courage, que la Convention
vient d’acclamer et d’adjoindre au Comité de Salut public, s’entend reprocher
d’être encore vivant. « Celui qui était à Valenciennes, quand l’ennemi y
est entré, ne répondra jamais à cette question : Êtes-vous mort ? » Il n’a plus qu’à se reconnaître
incapable, à refuser l’honneur que la Convention lui a conféré par mégarde, à
rentrer sous terre. – Dubois de Crancé a
pris Lyon, et, pour salaire de ce service immense, il est rayé des Jacobins
; parce qu’il n’a pas pris la ville assez vite, on l’accuse de trahison ; deux
jours avant la capitulation, le Comité de Salut public lui a retiré ses
pouvoirs ; trois jours après la capitulation, le Comité de Salut public le fait
arrêter et ramener à Paris sous escorte
. – Si de tels hommes, après de tels actes, sont ainsi traités,
qu’adviendra-t-il des autres ? Après la mission du jeune Jullien, Carrier à
Nantes, Ysabeau et Tallien à Bordeaux sentent leurs têtes branler sur leurs
épaules. Après la mission de Robespierre
le jeune dans l’Est et le Midi, Barras, Fréron, Bernard de Saintes se croient
perdus .
Perdus
aussi Fouché, Rovère, Javogues, et combien d’autres, compromis par la faction
dont ils sont ou dont ils ont été, Hébertistes, Dantonistes, sûrs de périr si leurs patrons du Comité
succombent, incertains de vivre si leurs patrons du Comité se maintiennent,
ne sachant pas si leurs têtes ne seront pas livrées en échange d’autres têtes,
astreints à la plus étroite, à la plus rigoureuse, à la plus constante
orthodoxie, coupables et condamnés si leur orthodoxie du jour devient l’hérésie
du lendemain, tous menacés, d’abord les cent quatre-vingts autocrates qui,
avant la concentration du gouvernement révolutionnaire, ont, pendant huit mois,
régné sans contrôle en province, ensuite et surtout les cinquante Montagnards à
poigne, fanatiques sans scrupules ou viveurs autoritaires, qui, en ce moment,
piétinent sur place la matière humaine et s’espacent dans l’arbitraire comme un
sanglier dans sa forêt, ou se vautrent dans le scandale comme un porc dans son
bourbier.
Nul refuge pour eux, sinon provisoire, et nul
refuge, même provisoire, sinon dans l’obéissance et le zèle prouvés comme le
Comité veut qu’on les prouve, c’est-à-dire par la rigueur. — « Les Comités l’ont voulu, dira plus tard
Maignet, l’incendiaire de Bédouin ; les Comités ont tout fait... Les
circonstances me dominaient.... Les agents patriotes me conjuraient de ne pas
mollir.... Je restais au-dessous du mandat le plus impératif . » - Pareillement, le grand exterminateur de
Nantes, Carrier, pressé d’épargner
les rebelles qui venaient se livrer d’eux-mêmes : « Voulez-vous que je me fasse guillotiner ? Il n’est pas en mon pouvoir
de sauver ces gens-là . » Et, une autre
fois : « J’ai des ordres, il faut que je les suive, je ne veux pas me faire
couper la tête. »
— Sous
peine de mort, le représentant en mission est terroriste, comme ses
collègues de la Convention et du Comité de Salut public, mais avec un bien plus
profond ébranlement de sa machine nerveuse et morale ; car il n’opère pas, comme eux, sur le papier, à
distance, contre des catégories d’êtres abstraits..
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