Une des premières « journées
révolutionnaires » - l’entrainement à la violence
Les femmes à Versailles- l’Assemblée
envahie
Admises dans l’Assemblée, et
d’abord en petit nombre, les femmes poussent à la porte, entrent en foule,
remplissent les galeries, puis la salle, les hommes avec elles, armés de
bâtons, de hallebardes et de piques, tout cela pêle-mêle, côte à côte avec les députés,
sur leurs bancs, votant avec eux, autour du président, investi, menacé,
insulté, qui, à la fin, quitte la place et dont une femme prend le fauteuil . Une poissarde commande dans une
galerie et, autour d’elle, une centaine de femmes crient ou se taisent à son
signal, tandis qu’elle interpelle les députés et les gourmande : « Qui est-ce
qui parle là-bas ? Faites taire ce bavard. Il ne s’agit pas de cela, il s’agit
d’avoir du pain. Qu’on fasse parler notre petite mère Mirabeau ; nous voulons
l’entendre. » — Un décret sur les subsistances ayant été rendu, les meneurs
demandent davantage ; il faut encore qu’on leur accorde d’entrer partout où ils
soupçonneront des accaparements ; il faut aussi « qu’on taxe le pain à six sous
les quatre livres, et la viande à six sous la livre ». — « N’imaginez pas que
nous sommes des enfants qu’on joue : nous avons le bras levé, faites ce qu’on
vous demande. » — De cette idée centrale partent toutes leurs injonctions
politiques. Qu’on renvoie le régiment de Flandre ; ce sont mille hommes de plus
à nourrir et qui nous ôtent le pain de la bouche. Punissez les aristocrates qui
empêchent les boulangers de cuire. « À bas la calotte ! c’est tout le clergé
qui fait notre mal. » — « Monsieur Mounier, pourquoi avez-vous défendu ce
vilain veto ? Prenez bien garde à la lanterne. » — Sous cette pression, une
députation de l’Assemblée, conduite par le président, se met en marche à pied,
dans la boue, par la pluie, surveillée par une escorte hurlante de femmes et
d’hommes à piques ; après cinq heures d’instances ou d’attente, elle arrache au
roi, outre le décret sur les subsistances pour lequel il n’y avait pas de
difficulté, l’acceptation pure et simple de la Déclaration des Droits et la
sanction des articles constitutionnels. — Telle est l’indépendance de
l’Assemblée et du roi . C’est ainsi que
s’établissent les principes du droit nouveau, les grandes lignes de la
Constitution, les axiomes abstraits de la vérité politique, sous la dictature
d’une foule qui les extorque, non seulement en aveugle, mais encore avec une
demi-conscience de son aveuglement : « Monsieur le président, disaient des
femmes à Mounier qui leur rapportait la sanction royale, cela sera-t-il bien
avantageux ? Cela fera-t-il avoir du pain aux pauvres gens de Paris ? »
Lafayette est leur chef, il faut
qu’il les suive
En vain La Fayette refuse, et vient haranguer sur la place de Grève ; en
vain, pendant plusieurs heures, il résiste, tantôt parlant, tantôt imposant
silence. Des bandes armées, parties des faubourgs Saint-Antoine et
Saint-Marceau, grossissent la foule ; on le couche en joue ; on prépare la
lanterne. Alors, descendant de cheval, il veut rentrer à l’Hôtel de Ville ;
mais ses grenadiers lui barrent le passage : « Morbleu ! général, vous resterez
avec nous ; vous ne nous abandonnerez pas ». Étant leur chef, il faut bien qu’il les suive ; c’est aussi le
sentiment des représentants de la Commune à l’Hôtel de Ville ; ils envoient
l’autorisation et même l’ordre de partir, « vu qu’il est impossible de s’y
refuser ». – Quinze mille hommes arrivent ainsi à Versailles, et, devant eux,
avec eux, protégés par la nuit, des milliers de bandits. De son côté, la garde
nationale de Versailles, qui entoure le château, et le peuple de Versailles,
qui barre le passage aux voitures , ont
fermé toute issue. Le roi est prisonnier dans son palais, lui, les siens, ses
ministres, sa cour, et sans défense. Car, avec son optimisme ordinaire, il a
confié les postes extérieurs du château aux soldats de La Fayette, et, par une
obstination d’humanité dans laquelle il persévérera jusqu’à la fin , il a défendu à ses propres gardes de tirer,
en sorte qu’ils ne sont là que pour la montre. Ayant pour lui le droit commun,
la loi et le serment que La Fayette vient de faire renouveler à ses troupes,
que pourrait-il craindre ? Rien de plus efficace auprès du peuple que la
confiance et la prudence, et, à force d’agir en mouton, on est sûr
d’apprivoiser des bêtes féroces.
Dès cinq heures du matin, avant le jour, elles rôdent autour des grilles.
La Fayette, épuisé de fatigue, s’est reposé une heure , et cette heure leur suffit . Une
population armée de piques et de bâtons, hommes et femmes, entoure un peloton
de quatre-vingts gardes nationaux, les force à tirer sur les gardes du roi,
enfonce une porte, saisit deux gardes, leur tranche la tête. Le coupe-tête,
qui est un modèle d’atelier, homme à grande barbe, montre ses mains rouges en
se glorifiant de ce qu’il vient de faire, et l’effet est si grand sur les
gardes nationaux, que, par sensibilité, ils s’écartent pour ne pas être témoins
de pareils spectacles : voilà la résistance…
Cette fois, on n’en peut plus
douter : la Terreur est établie, et à demeure. — Le jour même, la foule arrête une voiture où elle croit trouver M. de
Virieu, et déclare, en la fouillant, « qu’on cherche ce député pour le
massacrer, ainsi que d’autres dont on a la liste ». – Deux jours après, l’abbé Grégoire
annonce à l’Assemblée nationale « qu’il n’y a pas de jour où des
ecclésiastiques ne soient insultés à Paris », et poursuivis « de menaces
effrayantes ». – On avertit Malouet que, « sitôt qu’on aura distribué des
fusils à la milice, le premier usage qu’elle en fera sera pour se débarrasser
des députés mauvais citoyens », entre autres de l’abbé Maury. — Quand je sortais, écrit Mounier, j’étais
publiquement suivi ; c’était un crime de se montrer avec moi. Partout où
j’allais avec deux ou trois personnes, on disait qu’il se formait une assemblée
d’aristocrates. J’étais devenu un tel objet de terreur, qu’on avait menacé de
mettre le feu dans une maison de campagne où j’avais passé vingt-quatre heures,
et que, pour calmer les esprits, il avait fallu promettre qu’on ne recevrait ni
mes amis ni moi. » – En une semaine ,
cinq ou six cents députés font signer leurs passeports et se tiennent prêts à
partir. Pendant le mois suivant, cent vingt donnent leur démission ou ne
reparaissent plus à l’Assemblée. Mounier, Lally-Tollendal, l’évêque de Langres,
d’autres encore, quittent Paris, puis la France. – « C’est le fer à la main,
écrit Mallet du Pan, que l’opinion
dicte aujourd’hui ses arrêts. Crois ou meurs, voilà l’anathème que prononcent
les esprits ardents, et ils le prononcent au nom de la liberté. La modération
est devenue un crime. » – Dès le 7 octobre, Mirabeau vient dire au comte de la Marck : « Si vous avez quelque
moyen de vous faire entendre du roi et de la reine, persuadez-leur que la
France et eux sont perdus, si la famille royale ne sort pas de Paris ; je
m’occupe d’un plan pour les en faire sortir ». À la situation présente il
préfère tout, « même la guerre civile » car au moins « la guerre retrempe les âmes
», et ici, sous la dictature des démagogues, on se noie dans la boue. « Dans
trois mois », Paris, livré à lui-même, sera « un hôpital certainement, et
peut-être un théâtre d’horreurs ». Contre la populace et ses meneurs, il faut «
que le roi se coalitionne à l’instant avec ses peuples », qu’il aille à Rouen,
qu’il fasse appel aux provinces, qu’il fournisse un centre à l’opinion
publique, et, s’il le faut, à la résistance armée. De son côté, Malouet déclare que « la Révolution,
depuis le 5 octobre, fait horreur à tous les gens sensés de tous les partis,
mais qu’elle est consommée, irrésistible ». – Ainsi les trois meilleurs esprits de la Révolution, ceux dont les
prévisions justifiées attestent le génie ou le bon sens, les seuls qui, pendant
deux ans, trois ans, et de semaine en semaine, aient toujours prédit juste et
par raison démonstrative, tous les trois, Mallet du Pan, Mirabeau, Malouet,
sont d’accord pour qualifier l’événement et pour en mesurer les conséquences.
On roule sur une pente à pic, et personne n’a la force ou les moyens
d’enrayer. Ce n’est pas le roi : « indécis et faible au delà de tout ce qu’on
peut dire, son caractère ressemble à ces boules d’ivoire huilées qu’on
s’efforcerait vainement de retenir ensemble
». Et, quant à l’Assemblée, aveuglée, violentée, poussée en avant par la
théorie qu’elle proclame et par la faction qui la domine, chacun de ses grands
décrets précipite la chute.
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