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vendredi 18 août 2017

Taine _ La Révolution- La conquête jacobine_79_ les Montagnards s’imposent à la Convention

Les Montagnards imposent leur loi à la Convention. Violence des débats et des tribunes à l’intérieur, pression de la rue Parisienne et menaces d’insurrection à l’extérieur. Le 10 mars. La formation du Marais. Le suicide Girondin : ils font de plus en plus la politique des Montaganrds et forgent d’avance les pires instruments de la Terreur prochaine.
                                                              
Les Montagnards imposent leur loi à la Convention

Manifestement, une minorité pareille n’acceptera pas la règle des débats parlementaires, et, plutôt que de céder à la majorité, elle importera dans la discussion les vociférations, les injures, les menaces, les bousculades d’une rixe, avec les poignards, les pistolets, les sabres et jusqu’aux « espingoles » d’un vrai combat.
« Vils intrigants, calomniateurs, scélérats, monstres, assassins, gredins, imbéciles, cochons   », voilà leurs apostrophes ordinaires, et ce ne sont là que leurs moindres violences. Il y a telle séance où le président est obligé de se couvrir trois fois et finit par briser sa sonnette. Ils l’injurient, ils le forcent à descendre du fauteuil, ils demandent « qu’il soit cassé ». Basire veut « lui arracher des mains » une déclaration qu’il présente ; Bourdon, de l’Oise, lui crie que, « s’il est assez osé pour la lire  , il l’assassine ». La salle « est devenue une arène de gladiateurs   ». Parfois, la Montagne se précipite tout entière hors de ses bancs, et, contre cette vague humaine qui descend de gauche, une vague pareille descend de droite : les deux s’entrechoquent au centre de la salle, parmi des cris et des gestes furieux, et, dans une de ces bagarres, un montagnard ayant présenté son pistolet, le girondin Lauze-Deperret tire l’épée  . À partir du milieu de décembre, des membres marquants du côté droit, « continuellement poursuivis, menacés, outragés », réduits « à découcher toutes les nuits, sont forcés d’avoir des armes pour leur défense   », et, après le supplice du roi, ils en apportent « presque tous » aux séances de la Convention. En effet, chaque jour, ils peuvent s’attendre à l’assaut final, et ils ne veulent pas mourir sans vengeance : dans la nuit du 9 au 10 mars, ne se trouvant plus que quarante-trois, ils se font passer le mot pour s’élancer ensemble, « au premier mouvement hostile, contre leurs adversaires et pour en tuer le plus possible » avant de périr  L’expédient est désespéré, mais c’est l’unique ; car, outre les forcenés de la salle, ils ont contre eux les forcenés des tribunes, et là aussi il y a des septembriseurs. La pire canaille jacobine les enveloppe à demeure et de parti pris, d’abord dans la vieille salle du Manège, puis dans la nouvelle salle des Tuileries. En cercle autour d’eux et au-dessus d’eux, ils voient tous les jours des adversaires enrégimentés, « huit ou neuf cents têtes encaquées dans la grande galerie du fond sous une voûte profonde et sourde », et de plus, sur les cotés, mille ou quinze cents autres, deux immenses tribunes toutes pleines  . Comparées à celles-ci, les galeries de la Constituante et de la Législative étaient calmes. « Rien ne déshonore plus la Convention, écrit un spectateur étranger  , que l’insolence de ses auditeurs » ; à la vérité, un décret interdit toutes les marques d’approbation ou de désapprobation ; mais « il est violé tous les jours, et personne n’a jamais été puni pour ce délit »…

La Menace de la rue parisienne et de l’insurrection – le 10 mars- les crapauds du Marais

» – De semaine en semaine les signes avant-coureurs d’une insurrection se suivent et se multiplient, comme les éclairs dans un ciel chargé d’orages. Le 1er janvier, « le bruit court que les barrières doivent être fermées la nuit même et que les visites domiciliaires vont recommencer   ». Le 7 janvier, sur la motion des Gravilliers, la Commune demande au ministre de la guerre 132 canons qui sont aux magasins de Saint-Denis, afin de les répartir entre les sections. Le 15 janvier, les Gravilliers proposent aux quarante-sept autres sections de nommer, comme au 10 août, des commissaires spéciaux qui s’assembleront à l’Évêché et veilleront à la sûreté publique. Le même jour, pour que la Convention ne se méprenne pas sur l’objet de ces menées, on dit tout haut dans ses tribunes que les canons ramenés sont à Paris « pour faire un 10 août contre elle ». Le même jour, il faut un déploiement de force militaire pour empêcher les bandits de se porter aux prisons et d’y « renouveler les massacres ». Le 28 janvier, le Palais-Royal, centre des gens de plaisir, est cerné par Santerre à huit heures du soir, et « six mille hommes environ, trouvés sans carte de civisme », sont arrêtés pour subir un à un le jugement de leur section. – Non seulement l’éclair brille, mais déjà, par coups isolés, la foudre frappe  . Le 31 décembre, un nommé Louvain, dénoncé jadis par Marat comme agent de La Fayette, est égorgé au faubourg Saint-Antoine, et son cadavre est traîné dans les rues jusqu’à la Morgue. Le 25 février, c’est le pillage des épiciers, sur les provocations de Marat, avec la connivence ou la tolérance de la Commune. Le 9 mars, c’est l’imprimerie Corsas saccagée par deux cents hommes armés de sabres et de pistolets. Le même soir et le lendemain, c’est l’émeute préparée et lancée contre la Convention elle-même ; c’est « le comité des Jacobins appelant toutes les sections de Paris à se lever en armes », pour « se débarrasser » des députés appelants et des ministres ; c’est la société des Cordeliers invitant les autorités parisiennes « à s’emparer de l’exercice de la souveraineté et à mettre en arrestation les députés traîtres » ; c’est Fournier, Varlet et Champion requérant la Commune « de se déclarer en insurrection et de fermer les barrières » ; ce sont toutes les avenues de la Convention occupées par « des dictateurs de massacre », Pétion   et Beurnonville reconnus au passage, poursuivis et en danger de mort,…
De mois en mois, sous cette pression, la majorité fléchit. — Quelques-uns sont domptés par le pur effroi physique : dans le procès du roi, au troisième appel nominal, lorsque les votes de mort tombaient du haut de la tribune, un député, voisin de Daunou, « témoignait par ses gestes sa désapprobation énergique. Son tour arrive ; les tribunes, qui sans doute avaient remarqué son attitude », éclatent en menaces si violentes, que pendant quelques minutes il est impuissant à se faire entendre ; « enfin le silence se rétablit, et il vote... la mort   ». — D’autres, comme Durand de Maillane, avertis par Robespierre que « le parti le plus fort est aussi le plus sûr », se répètent « qu’il est prudent, nécessaire de ne pas contrarier le peuple en émotion », et prennent la résolution « de se tenir constamment à l’écart sous l’égide de leur silence et de leur nullité   ». Parmi les cinq cents députés de la Plaine, il y en a beaucoup de cette sorte ; on commence à les appeler « crapauds du Marais » ; dans six mois, ils se réduiront eux-mêmes à l’état de figurants muets ou plutôt de mannequins homicides, et, sous un regard de Robespierre, « leur cœur, maigri d’épouvante   », leur remontera jusque dans la gorge. Bien avant la chute des Girondins, « atterrés du présent, ne trouvant plus dans leur âme aucun ressort », ils laissent déjà voir sur leur visage « la pâleur de la crainte ou l’abandon du désespoir   ». Cambacérès louvoie, puis se réfugie dans son comité de législation  . Barère, né valet et valet à tout faire, met sa faconde méridionale au service de la majorité probable, jusqu’au moment où il mettra sa rhétorique atroce au service de la minorité maîtresse. Siéyès, après avoir voté la mort, entre dans un silence obstiné, autant par dégoût que par prudence : « Qu’importe, dit-il, le tribut de mon verre de vin dans ce torrent de rogomme  ?...

La Gironde se suicide en préparant les instruments de la Terreur Montagnarde


Elle s’est voté en principe une garde départementale, et, devant les protestations de la Montagne, elle n’a pas osé convertir son principe en fait. – Elle a été protégée pendant six mois et sauvée le 10 mars par l’assistance spontanée des fédérés provinciaux, et, loin d’organiser ces auxiliaires de passage en un corps permanent de défenseurs fidèles, elle les laisse disperser ou corrompre par Pache et les Jacobins. – Elle a décrété à plusieurs reprises la punition des fauteurs de septembre et, sur leur pétition menaçante, elle ajourne indéfiniment les poursuites  . – Elle a mandé à sa barre Fournier, Lazowski, Desfieux et les autres meneurs qui, le 10 mars, ont voulu la jeter par les fenêtres, et, sur leur apologie impudente, elle les renvoie absous, libres et prêts à recommencer  . – Au ministère de la guerre, elle élève tour à tour deux Jacobins sournois, Pache et Bouchotte, qui ne cesseront de travailler contre elle. Au ministère de l’intérieur, elle laisse tomber Roland, son plus ferme appui, et nomme à sa place Garat, un idéologue, dont l’esprit, composé de généralités creuses, et le caractère, pétri de velléités contradictoires, s’effondrent en réticences, en mensonges, en demi-trahisons sous le poids de son office trop lourd. – Elle vote le meurtre du roi, ce qui met une mare de sang infranchissable entre elle et les gens honnêtes. – Elle lance la nation dans une guerre de principes   et provoque contre la France une ligue européenne, ce qui, en ramenant sur la frontière les périls de septembre, établit en permanence le régime de septembre à l’intérieur. – Elle forge d’avance les pires instruments de la Terreur prochaine, par le décret qui institue le Tribunal révolutionnaire, avec Fouquier-Tinville comme accusateur public et l’obligation pour chaque juré de prononcer à haute voix son verdict   ; par le décret qui condamne à la mort civile et à la confiscation des biens tout émigré « de l’un ou l’autre sexe », même simple fugitif, même rentré depuis six mois   ; par le décret qui met « hors la loi les aristocrates et les ennemis de la révolution   » ; par le décret qui, dans chaque commune, établit une taxe sur les riches de la commune, afin de proportionner aux salaires le prix du pain   ; par le décret qui soumet tout sac de grain à la déclaration et au maximum   ; par le décret qui punit de six ans de fers la vente du numéraire   ; par le décret qui ordonne « l’emprunt forcé d’un milliard sur les riches   » ; par le décret qui, dans chaque grande ville, lève une armée de sans-culottes salariés « pour tenir les aristocrates sous leurs piques   » ; enfin, par le décret qui, instituant le Comité de Salut public  , fabrique un moteur central pour manœuvrer à toute vitesse toutes ces faux tranchantes à travers les fortunes et les vies. – A ces engins de destruction générale, elle en ajoute un, spécial, contre elle-même. Non seulement elle fournit à ses rivaux de la Commune les millions dont ils ont besoin pour solder leurs bandes ; non seulement elle avance, sous forme de prêt, aux diverses sections   les centaines de mille francs dont elles ont besoin pour abreuver leurs aboyeurs ; mais encore, dans les derniers jours de mars, juste au moment où elle vient d’échapper par hasard à la première invasion jacobine, elle fait élire dans chaque section un comité de surveillance, elle l’autorise à faire des visites domiciliaires et à désarmer les suspects   ; elle tolère qu’il fasse des arrestations et qu’il impose des taxes nominatives ; elle ordonne, pour lui faciliter ses opérations, que la liste de tous les habitants de chaque maison, « avec leurs noms, prénoms, surnoms, âges et professions », soit affichée sur la porte et bien lisible   ; elle lui en fait délivrer copie, elle la soumet à son contrôle. Pour achever, elle s’y soumet elle-même, et, « sans avoir égard à l’inviolabilité d’un représentant de la nation française   », elle décide qu’en cas de dénonciation politique ses propres membres pourront être mis en accusation.

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