Les Montagnards imposent leur loi à la
Convention. Violence des débats et des tribunes à l’intérieur, pression de la
rue Parisienne et menaces d’insurrection à l’extérieur. Le 10 mars. La
formation du Marais. Le suicide Girondin : ils font de plus en plus la
politique des Montaganrds et forgent d’avance les pires instruments de la
Terreur prochaine.
Les Montagnards imposent leur loi à la
Convention
Manifestement, une minorité pareille
n’acceptera pas la règle des débats parlementaires, et, plutôt que
de céder à la majorité, elle importera dans la discussion les vociférations,
les injures, les menaces, les bousculades d’une rixe, avec les poignards, les
pistolets, les sabres et jusqu’aux « espingoles » d’un vrai combat.
« Vils intrigants,
calomniateurs, scélérats, monstres, assassins, gredins, imbéciles, cochons », voilà leurs apostrophes ordinaires, et ce
ne sont là que leurs moindres violences. Il
y a telle séance où le président est obligé de se couvrir trois fois et finit
par briser sa sonnette. Ils l’injurient, ils le forcent à descendre du
fauteuil, ils demandent « qu’il soit cassé ». Basire veut « lui arracher des
mains » une déclaration qu’il présente ; Bourdon, de l’Oise, lui crie que, «
s’il est assez osé pour la lire , il
l’assassine ». La salle « est devenue une arène de gladiateurs ». Parfois,
la Montagne se précipite tout entière hors de ses bancs, et, contre cette vague
humaine qui descend de gauche, une vague pareille descend de droite : les
deux s’entrechoquent au centre de la salle, parmi des cris et des gestes
furieux, et, dans une de ces bagarres, un montagnard ayant présenté son
pistolet, le girondin Lauze-Deperret tire l’épée . À partir du milieu de décembre, des membres
marquants du côté droit, «
continuellement poursuivis, menacés, outragés », réduits « à découcher toutes
les nuits, sont forcés d’avoir des armes pour leur défense », et, après le supplice du roi, ils en
apportent « presque tous » aux séances de la Convention. En effet, chaque jour,
ils peuvent s’attendre à l’assaut final, et ils ne veulent pas mourir sans
vengeance : dans la nuit du 9 au 10 mars, ne se trouvant plus que
quarante-trois, ils se font passer le mot pour s’élancer ensemble, « au premier
mouvement hostile, contre leurs adversaires et pour en tuer le plus possible »
avant de périr L’expédient est
désespéré, mais c’est l’unique ; car,
outre les forcenés de la salle, ils ont contre eux les forcenés des tribunes,
et là aussi il y a des septembriseurs. La pire canaille jacobine les
enveloppe à demeure et de parti pris, d’abord dans la vieille salle du Manège,
puis dans la nouvelle salle des Tuileries. En cercle autour d’eux et au-dessus
d’eux, ils voient tous les jours des adversaires enrégimentés, « huit ou neuf
cents têtes encaquées dans la grande galerie du fond sous une voûte profonde et
sourde », et de plus, sur les cotés, mille ou quinze cents autres, deux
immenses tribunes toutes pleines .
Comparées à celles-ci, les galeries de la Constituante et de la Législative
étaient calmes. « Rien ne déshonore plus la Convention, écrit un spectateur
étranger , que l’insolence de ses
auditeurs » ; à la vérité, un décret interdit toutes les marques d’approbation
ou de désapprobation ; mais « il est violé tous les jours, et personne n’a
jamais été puni pour ce délit »…
La Menace de la rue parisienne et de l’insurrection
– le 10 mars- les crapauds du Marais
» – De semaine en semaine les signes
avant-coureurs d’une insurrection se suivent et se multiplient, comme les
éclairs dans un ciel chargé d’orages. Le 1er janvier, « le bruit court que
les barrières doivent être fermées la nuit même et que les visites domiciliaires
vont recommencer ». Le 7 janvier, sur la motion des
Gravilliers, la Commune demande au ministre de la guerre 132 canons qui sont
aux magasins de Saint-Denis, afin de les répartir entre les sections. Le 15
janvier, les Gravilliers proposent aux quarante-sept autres sections de nommer,
comme au 10 août, des commissaires spéciaux qui s’assembleront à l’Évêché et
veilleront à la sûreté publique. Le même jour, pour que la Convention ne se
méprenne pas sur l’objet de ces menées, on dit tout haut dans ses tribunes que
les canons ramenés sont à Paris « pour faire un 10 août contre elle ». Le même
jour, il faut un déploiement de force militaire pour empêcher les bandits de se
porter aux prisons et d’y « renouveler les massacres ». Le 28 janvier, le Palais-Royal,
centre des gens de plaisir, est cerné par Santerre à huit heures du soir, et «
six mille hommes environ, trouvés sans carte de civisme », sont arrêtés pour
subir un à un le jugement de leur section. – Non seulement l’éclair brille,
mais déjà, par coups isolés, la foudre frappe
. Le 31 décembre, un nommé
Louvain, dénoncé jadis par Marat comme agent de La Fayette, est égorgé au
faubourg Saint-Antoine, et son cadavre est traîné dans les rues jusqu’à la
Morgue. Le 25 février, c’est le pillage des épiciers, sur les provocations de
Marat, avec la connivence ou la tolérance de la Commune. Le 9 mars, c’est
l’imprimerie Corsas saccagée par deux cents hommes armés de sabres et de
pistolets. Le même soir et le lendemain,
c’est l’émeute préparée et lancée contre la Convention elle-même ; c’est « le comité des Jacobins appelant toutes les
sections de Paris à se lever en armes », pour « se débarrasser » des
députés appelants et des ministres ; c’est la société des Cordeliers invitant
les autorités parisiennes « à s’emparer de l’exercice de la souveraineté et à mettre en arrestation les députés
traîtres » ; c’est Fournier, Varlet et Champion requérant la Commune « de
se déclarer en insurrection et de fermer les barrières » ; ce sont toutes les
avenues de la Convention occupées par « des dictateurs de massacre »,
Pétion et Beurnonville reconnus au
passage, poursuivis et en danger de mort,…
De mois en mois,
sous cette pression, la majorité fléchit. — Quelques-uns sont domptés par le
pur effroi physique : dans le procès du roi, au troisième appel nominal,
lorsque les votes de mort tombaient du haut de la tribune, un député, voisin de
Daunou, « témoignait par ses gestes sa désapprobation énergique. Son tour
arrive ; les tribunes, qui sans doute avaient remarqué son attitude », éclatent
en menaces si violentes, que pendant quelques minutes il est impuissant à se
faire entendre ; « enfin le silence se rétablit, et il vote... la mort ». — D’autres, comme Durand de Maillane,
avertis par Robespierre que « le parti le plus fort est aussi le plus sûr », se
répètent « qu’il est prudent, nécessaire de ne pas contrarier le peuple en
émotion », et prennent la résolution « de se tenir constamment à l’écart sous
l’égide de leur silence et de leur nullité
». Parmi les cinq cents députés de la Plaine, il y en a beaucoup de
cette sorte ; on commence à les appeler «
crapauds du Marais » ; dans six mois, ils se réduiront eux-mêmes à l’état de
figurants muets ou plutôt de mannequins homicides, et, sous un regard de
Robespierre, « leur cœur, maigri d’épouvante
», leur remontera jusque dans la gorge. Bien avant la chute des
Girondins, « atterrés du présent, ne trouvant plus dans leur âme aucun ressort
», ils laissent déjà voir sur leur visage « la pâleur de la crainte ou l’abandon
du désespoir ». Cambacérès louvoie,
puis se réfugie dans son comité de législation
. Barère, né valet et valet à tout faire, met sa faconde méridionale au
service de la majorité probable, jusqu’au moment où il mettra sa rhétorique
atroce au service de la minorité maîtresse. Siéyès, après avoir voté la mort,
entre dans un silence obstiné, autant par dégoût que par prudence : «
Qu’importe, dit-il, le tribut de mon verre de vin dans ce torrent de
rogomme ?...
La Gironde se suicide en préparant les
instruments de la Terreur Montagnarde
Elle s’est voté en principe une garde
départementale, et, devant les protestations de la Montagne, elle n’a pas osé
convertir son principe en fait. – Elle a été protégée pendant six mois et
sauvée le 10 mars par l’assistance spontanée des fédérés
provinciaux, et, loin d’organiser ces auxiliaires de passage en un corps
permanent de défenseurs fidèles, elle les laisse disperser ou corrompre par
Pache et les Jacobins. – Elle a décrété à plusieurs reprises la punition des
fauteurs de septembre et, sur leur pétition menaçante, elle ajourne
indéfiniment les poursuites . – Elle a
mandé à sa barre Fournier, Lazowski, Desfieux et les autres meneurs qui, le 10
mars, ont voulu la jeter par les fenêtres, et, sur leur apologie impudente,
elle les renvoie absous, libres et prêts à recommencer . – Au
ministère de la guerre, elle élève tour à tour deux Jacobins sournois, Pache et Bouchotte, qui ne cesseront de travailler contre elle. Au ministère
de l’intérieur, elle laisse tomber
Roland, son plus ferme appui, et nomme à sa place Garat, un idéologue, dont
l’esprit, composé de généralités creuses, et le caractère, pétri de velléités
contradictoires, s’effondrent en réticences, en mensonges, en demi-trahisons
sous le poids de son office trop lourd. – Elle
vote le meurtre du roi, ce qui met une mare de sang infranchissable entre
elle et les gens honnêtes. – Elle lance
la nation dans une guerre de principes
et provoque contre la France une ligue européenne, ce qui, en ramenant sur la frontière les périls
de septembre, établit en permanence le régime de septembre à l’intérieur. –
Elle forge d’avance les pires
instruments de la Terreur prochaine, par le décret qui institue le Tribunal
révolutionnaire, avec Fouquier-Tinville comme accusateur public et
l’obligation pour chaque juré de prononcer à haute voix son verdict ; par le décret qui condamne à la mort
civile et à la confiscation des biens tout émigré « de l’un ou l’autre sexe »,
même simple fugitif, même rentré depuis six mois ; par
le décret qui met « hors la loi les aristocrates et les ennemis de la
révolution » ; par le décret qui, dans chaque commune,
établit une taxe sur les riches de la commune, afin de proportionner aux
salaires le prix du pain ; par le
décret qui soumet tout sac de grain à la déclaration et au maximum ; par le décret qui punit de six ans de fers
la vente du numéraire ; par le décret
qui ordonne « l’emprunt forcé d’un milliard sur les riches » ; par le décret qui, dans chaque grande
ville, lève une armée de sans-culottes salariés « pour tenir les aristocrates
sous leurs piques » ; enfin, par le
décret qui, instituant le Comité de Salut public , fabrique un moteur central pour manœuvrer à
toute vitesse toutes ces faux tranchantes à travers les fortunes et les vies. –
A ces engins de destruction générale, elle en ajoute un, spécial, contre
elle-même. Non seulement elle fournit à ses rivaux de la Commune les millions
dont ils ont besoin pour solder leurs bandes ; non seulement elle avance, sous
forme de prêt, aux diverses sections
les centaines de mille francs dont elles ont besoin pour abreuver leurs
aboyeurs ; mais encore, dans les derniers jours de mars, juste au moment où
elle vient d’échapper par hasard à la première invasion jacobine, elle fait
élire dans chaque section un comité de surveillance, elle l’autorise à faire
des visites domiciliaires et à désarmer les suspects ; elle tolère qu’il fasse des arrestations
et qu’il impose des taxes nominatives ; elle ordonne, pour lui faciliter ses
opérations, que la liste de tous les habitants de chaque maison, « avec leurs
noms, prénoms, surnoms, âges et professions », soit affichée sur la porte et
bien lisible ; elle lui en fait
délivrer copie, elle la soumet à son contrôle. Pour achever, elle s’y soumet
elle-même, et, « sans avoir égard à l’inviolabilité
d’un représentant de la nation française
», elle décide qu’en cas de dénonciation politique ses propres membres
pourront être mis en accusation.
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