Les
Représentants en mission dans les départements – Maignet, Duquesnoy, Dumont, Collot, Bouchotte, Rossignol… Les
représentants en mission aux armées; Saint-Just, Le Bas. Le cas Carrier :
la folie destructrice : Je crois bien que nous serons tous guillotinés
Les
Représentants en mission dans les départements - exemples
«
Il semble, dit un témoin qui a longtemps connu Maignet, que tout ce qu’il a fait pendant ces cinq ou six années ne soit que le délire d’une maladie, après
laquelle il a repris le fil de sa vie et de sa santé comme si de rien n’était . » — Et Maignet écrit lui-même : « Je
n’étais pas fait pour ces orages. » Cela est vrai de tous, et d’abord des
naturels grossiers ; la subordination les eût comprimés ; la dictature les
étale, et l’instinct brutal du soudard et du faune fait éruption.
Regardez
un Duquesnoy, sorte de dogue
toujours aboyant et mordant, plus furieux que jamais quand il est repu. Délégué
à l’armée de la Moselle et passant par Metz
, il a mandé devers lui l’accusateur public Altmayer, et cependant il
s’attable ; l’autre attend trois heures et demie dans l’antichambre, n’est pas
admis, revient, et, reçu à la fin, s’entend dire, d’une voix tonnante : « Qui
es-tu ? — L’accusateur public. — Tu as l’air d’un évêque, tu as été curé ou
moine, tu ne peux pas être révolutionnaire.... Je viens à Metz avec des pouvoirs
illimités. L’esprit public n’y est pas bon, je vais le mettre au pas.
J’arrangerai les gens d’ici ; tant à Metz qu’à Nancy, j’en ferai fusiller cinq
ou six cents, sous quinze jours. » — De même, chez le général Bessières,
commandant de la place : là, rencontrant le commandant en second, M. Clédat,
vieil officier, il le regarde de la tête aux pieds : « Tu as l’air d’un
muscadin. D’où es-tu ? Tu dois être un mauvais républicain, tu as une figure de
l’ancien régime. — J’ai les cheveux blancs, mais je n’en suis pas moins bon
républicain : on peut demander au général et à toute la ville. — F...-moi le
camp, b..., et dépêche-toi, ou je te fais arrêter... » — De même, dans la rue,
où il empoigne un passant sur sa mine ; le juge de paix Joly lui certifiant le
civisme de cet homme, il « toise » Joly : « Toi aussi, tu es un aristocrate ;
je vois cela à tes yeux, je ne me trompe jamais. » Et, lui arrachant sa
médaille de juge, il l’envoie en prison…
D’autres
ont des gestes de luron et de goujat : tel André
Dumont, ancien procureur de village, maintenant roi de la Picardie et
sultan d’occasion, « figure de nègre blanc », parfois jovial, mais à
l’ordinaire rudement et durement cynique, qui manie ses prisonnières ou
suppliantes comme dans une kermesse . —
Un matin, dans son antichambre, une dame vient l’attendre, au milieu de vingt
sans-culottes, pour solliciter l’élargissement de son mari. Dumont arrive en
robe de chambre, s’assoit, écoute la supplique : « Assieds-toi, citoyenne. » Il
la prend sur ses genoux, lui fourre la main dans la poitrine et dit, ayant tâté
: « Je n’aurais jamais cru que les tétons d’une ci-devant marquise se
fondissent ainsi sous la main d’un représentant du peuple. » Grands éclats de
rire des sans-culottes ; il renvoie la pauvre femme et garde le mari sous les
verrous ; le soir, il peut écrire à la Convention qu’il fait lui-même ses
enquêtes, et qu’il examine les aristocrates de près.
–
Pour se maintenir à ce degré d’entrain révolutionnaire, il est bon d’avoir une
pointe de vin dans la tête, et, à cet effet, la plupart prennent leurs
précautions. – A Lyon , « les
représentants envoyés pour assurer le bonheur du peuple », Albitte et Collot,
requièrent la commission des séquestres de faire apporter chez eux 200
bouteilles du meilleur vin qu’ils pourront trouver, et, en outre, 500
bouteilles de vin rouge de Bordeaux, première qualité, pour leur table ». – En trois mois, à la table des représentants
qui dévastent la Vendée, on vide 1974 bouteilles de vin, prises chez les
émigrés de la ville ; « car, lorsqu’on a coopéré à la conservation d’une
commune, on a le droit de boire à la République. » A cette buvette préside le
représentant Bourbotte ; avec lui
trinque Rossignol, ex-ouvrier bijoutier,
puis massacreur de Septembre, toute sa vie crapuleux et brigand, maintenant
général en chef ; avec Rossignol, ses adjudants généraux, Grammont, ancien
comédien, et Hasard, ci-devant prêtre ; avec eux, Vacheron, bon « républiquain
», qui viole les femmes et les fusille quand elles refusent de se laisser
violer ; outre cela, plusieurs
demoiselles « brillantes » et sans doute amenées de Paris, dont « la plus jolie
partage ses nuits entre Rossignol et Bourbotte », pendant que les autres
servent aux inférieurs : mâle et femelle, toute la bande s’est installée dans
un hôtel de Fontenay, où elle a commencé par briser les scellés, pour
confisquer à son profit « les meubles, les bijoux, les robes, les ajustements
de femme, et jusqu’aux porcelaines ».
Cependant,
à Chantonnay, le représentant Bourdon de
l’Oise boit avec le général Tuncq, devient« frénétique » quand il est gris,
et fait saisir dans leur lit, à minuit, des administrateurs patriotes qu’il
embrassait la veille. – Presque tous ont, comme celui-ci, le vin mauvais, Carrier à Nantes, Petitjean à Thiers,
Duquesnoy à Arras, Cusset à Thionville, Monestier à Tarbes. À Thionville,
Cusset « boit comme un Lapithe », et donne, étant ivre, des ordres de « vizir
», des ordres qu’on exécute . À Tarbes, Monestier, « après un grand repas, fort
échauffé », harangue le tribunal avec emportement, interroge lui-même le
prévenu, M. de Lassalles, ancien officier, le fait condamner à mort, signe
l’ordre de le guillotiner sur-le-champ, et M. de Lassalles est guillotiné le
soir même, à minuit, aux flambeaux. Le lendemain, Monestier dit au président du
tribunal : « Eh bien, hier soir nous avons fait une fameuse peur au pauvre
Lassalles ! – Comment, une fameuse peur ! Mais il a été exécuté. » – Étonnement
de Monestier : il ne se souvenait plus d’avoir écrit l’ordre . – Chez d’autres, le vin, outre les
instincts sanguinaires, fait sortir les instincts immondes. À Nîmes, Borie, en costume de représentant, avec
le maire Courbis, le juge Giret et des filles de joie, a dansé la farandole
autour de la guillotine…
Les représentants en
mission aux armées; Saint-Just, Le Bas
Destituer, guillotiner,
désorganiser, marcher en avant les yeux clos, prodiguer les vies au hasard,
faire battre l’armée, parfois se faire tuer
eux-mêmes, ils ne savent pas autre chose, et perdraient tout, si les effets de
leur incapacité et de leur arrogance n’étaient pas atténués par le dévouement
des officiers et par l’enthousiasme des soldats. – Même spectacle à Charleroy, où, par l’absurdité de ses ordres,
Saint-Just fait de son mieux pour compromettre l’armée, et part de là pour se
croire un grand homme . – Même spectacle
en Alsace, où Lacoste, Baudot, Ruamps, Soubrany, Milhaud, Saint-Just et Le Bas, par l’extravagance de leurs
rigueurs, font de leur mieux pour dissoudre l’armée, et s’en glorifient.
Installation du tribunal révolutionnaire au quartier général, le soldat invité
à dénoncer ses officiers, promesse d’argent et de secret au délateur, nulle
confrontation entre lui et l’accusé, « point d’instruction, point d’écritures,
même pour libeller le jugement, un simple interrogatoire dont on ne prend point
note, l’accusé arrêté à huit heures, jugé à neuf et fusillé à dix ». Naturellement,
sous un pareil régime personne ne veut plus commander ; déjà, avant
l’arrivée de Saint-Just, Meusnier
n’avait consenti à être général en chef que par intérim ; « à toutes les
heures du jour », il demandait à être remplacé ; n’ayant pu l’être, il refusait
de donner aucun ordre ; pour lui trouver un successeur, les représentants sont
forcés de descendre jusqu’à un capitaine de dépôt, Carlenc, assez hasardeux ou
assez borné pour se laisser mettre en main, avec le brevet de commandement, un brevet
de guillotine…
Le cas Carrier : la
folie destructrice : Je crois bien que nous serons tous guillotinés
–
Aussi bien, chez Carrier, comme chez un
chien enragé, le cerveau tout entier est occupé par le rêve machinal et fixe,
par des images incessantes de meurtre et de mort. Au président
Phélippes-Tronjolly il dit, à propos des enfants vendéens : « La guillotine, toujours la guillotine ! » A propos des noyades « Vous autres
juges, il vous faut des jugements ; f...-les à l’eau, c’est bien plus simple. »
A la Société populaire de Nantes : Tous les riches, tous les marchands sont des
accapareurs, des contre-révolutionnaires ; dénoncez-les-moi, et je ferai rouler
leurs têtes sous le rasoir national ; dénoncez-moi les fanatiques qui ferment leur
boutique le dimanche, et je les ferai guillotiner. » – « Quand donc les têtes
de ces scélérats commerçants tomberont-elles ? » – « Je vois ici des gueux en
guenilles ; vous êtes à Ancenis aussi bêtes qu’à Nantes. Ignorez-vous que la
fortune, les richesses de ces gros négociants vous appartiennent, et la rivière
n’est-elle pas là ? » – « Mes braves b..., mes bons sans-culottes, il est temps
que vous jouissiez à votre tour ; faites-moi des dénonciations ; le témoignage
de deux bons sans-culottes me suffira pour faire tomber les têtes des gros
négociants. » – « Nous ferons un
cimetière de la France plutôt que de ne pas la régénérer à notre manière. » – Son hurlement continu finit par un cri
d’angoisse : « Je crois bien que nous serons tous guillotinés les uns après les
autres . » – Tel est l’état mental
auquel conduit l’emploi de représentants en mission : en deçà de Carrier, qui
est au terme, les autres, moins proches du terme, pâlissent sous la vision
lugubre qui est l’effet inévitable de leur œuvre et de leur mandat. Au bout de toutes ces fosses qu’ils
creusent, ils entrevoient, déjà creusée, leur propre fosse ; rien à faire pour
le fossoyeur, sinon creuser au jour le jour, en manœuvre, et cependant profiter
de sa place : à tout le moins, il peut s’étourdir, en ramassant les
jouissances du moment.
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