Viv(r)e la recherche se propose de rassembler des témoignages, réflexions et propositions sur la recherche, le développement, l'innovation et la culture



Rechercher dans ce blog

mardi 15 août 2017

Taine _ La Révolution- La conquête jacobine_65_du 10 août aux massacres de septembre

Marat à la Commune et sa folie homicide_ supprimer 260 000 hommes « par humanité. Pourquoi les Jacobins ont été si dangereux ;  ils traitent leurs adversaires en criminels ; ils héritent d’un appareil d’Etat encore efficace _ le vrai successeur de Richelieu et de Louis XIV est le pilier de club  Jacobin. La bureaucratie : _ avec des écritures correctes et des comptes en règle, on pourra procéder au massacre comme à une opération de voirie. Les progrès des idées homicides _ les Jacobins font peur et ont peur. L’incident Julien déclenche les massacres de septembre.

Marat à la Commune- sa folie homicide

Marat, le monomane homicide, s’est constitué, dès le 23 août, à l’Hôtel de Ville, le journaliste en titre, le conseiller politique, le directeur de conscience de la Commune nouvelle, et le plan qu’il prêche depuis trois ans, sous l’obsession d’une idée fixe, se réduit au meurtre pratiqué en grand, tout de suite et sans phrases. « Donnez-moi, disait-il à Barbaroux  , 200 Napolitains armés de poignards et portant à leur bras gauche un manchon en guise de bouclier ; avec eux je parcourrai la France et je ferai la révolution. » Selon lui, il faut supprimer 260 000 hommes « par humanité » ; car, sans cela, point de salut pour les autres. « L’Assemblée nationale peut encore sauver la France : il lui suffira de décréter que tous les aristocrates porteront un ruban bleu et qu’on les pendra dès qu’on en trouvera trois ensemble. » – Un autre moyen « serait d’attendre dans les défilés des rues et des promenades les royalistes et les Feuillants pour les égorger. Si, sur cent hommes tués, il y a dix patriotes, qu’importe ? C’est quatre-vingt-dix hommes pour dix, et puis on ne peut pas se tromper : tomber sur ceux qui ont des voitures, des valets, des habits de soie, ou qui sortent des spectacles ; vous êtes sûrs que ce sont des aristocrates ». – Il est visible que la plèbe jacobine a trouvé l’état-major qui lui convient ; l’un et l’autre s’entendront sans difficulté ; pour que le massacre spontané devienne une opération administrative, les Nérons du ruisseau n’ont qu’à prendre le mot d’ordre auprès des Nérons de l’Hôtel de Ville

Ce qui a rendu les Jacobins particulièrement dangereux ; ils héritent de l’appareil d’Etat de la monarchie

Ce qu’il y a de pire dans l’anarchie, ce n’est pas tant l’absence du gouvernement détruit que la naissance des gouvernements nouveaux et d’espèce inférieure. En tout État qui s’est dissous, il se forme des bandes conquérantes et souveraines : tel fut le cas en Gaule après la chute de l’empire romain et sous les derniers descendants de Charlemagne ; tel est le cas aujourd’hui en Roumélie et au Mexique. Aventuriers, malfaiteurs, gens tarés ou déclassés, hommes perdus de dettes et d’honneur, vagabonds, déserteurs et soudards, tous les ennemis-nés du travail, de la subordination et de la loi se liguent pour franchir ensemble les barrières vermoulues qui retiennent encore la foule moutonnière, et, comme ils n’ont pas de scrupules, ils tuent à tout propos. Sur ce fondement s’établit leur autorité : à leur tour, ils règnent, chacun dans son canton, et leur gouvernement, aussi brut que leur nature, se compose de vols et de meurtres ; on ne peut attendre autre chose de barbares et de brigands.
Mais jamais ils ne sont si dangereux que dans un grand État récemment dissous, où une révolution brusque leur a mis en main le pouvoir central ;  car alors il se croient les héritiers légitimes du gouvernement déchu, et, à ce titre, ils entreprennent de conduire la chose publique. Or, en temps d’anarchie, la volonté ne vient pas d’en haut, mais d’en bas, et les chefs, pour rester chefs, sont tenus de suivre l’aveugle impulsion de leur troupe  . C’est pourquoi le personnage important et dominant, celui dont la pensée prévaut, le vrai successeur de Richelieu et de Louis XIV, est ici le Jacobin subalterne, le pilier de club, le faiseur de motions, l’émeutier de la rue, Panis, Sergent, Hébert, Varlet, Henriot, Maillard, Fournier, Lazowski, ou, plus bas encore, le premier venu de leurs hommes, le tape-dur marseillais, le canonnier du faubourg, le fort de la halle qui a bu et, entre deux hoquets, élabore ses conceptions politiques  . – Pour toute information, il a des rumeurs de carrefour qui lui montrent un traître dans chaque maison, et, pour tout acquis, des phrases de club qui l’appellent à mener la grande machine. Une machine si vaste et si compliquée, un tel ensemble de services enchevêtrés les uns dans les autres et ramifiés en offices innombrables, tant d’appareils si spéciaux, si délicats et qu’il faut incessamment adapter aux circonstances changeantes, diplomatie, finances, justice, armée, administra¬tion, tout cela déborde au delà de sa compréhension si courte : on ne fait pas tenir un muids dans une bouteille  . Dans sa cervelle étroite, faussée et bouleversée par l’entassement des notions disproportionnées qu’on y verse, il ne se dépose qu’une idée simple, appropriée à la grossièreté de ses aptitudes et de ses instincts, je veux dire l’envie de tuer ses ennemis, qui sont aussi les ennemis de l’Etat, quels qu’ils soient, déclarés, dissimulés, présents, futurs, probables ou même possibles. Il porte sa brutalité et son effarement dans la politique, et voilà pourquoi son usurpation est si malfaisante. Simple brigand, il n’eût tué que pour voler, ce qui eût limité ses meurtres. Représentant de l’État, il entreprend le massacre en grand, et il a des moyens de l’accomplir. – Car il n’a pas encore eu le temps de détraquer le vieil outillage administratif ; du moins les rouages subalternes, gendarmes, geôliers, employés, scribes et comptables, sont toujours à leur place et sous la main. De la part des gens qu’on arrêtera, point de résistance ; accoutumés à la protection des lois et à la douceur des mœurs, ils n’ont jamais compté sur leurs bras pour se défendre, et n’imaginent pas qu’on veuille tuer si sommairement. Quant à la foule, dépouillée de toute initiative par la centralisation ancienne, elle est inerte, passive, et laissera faire. – C’est pourquoi, pendant plusieurs longues journées successives, sans hâte ni encombre, avec des écritures correctes et des comptes en règle, on pourra procéder au massacre comme à une opération de voirie, aussi impunément et aussi méthodiquement qu’à l’enlèvement des boues ou à l’abatage des chiens errants

Les progrès de l‘idée d’homicide- vers les massacres de septembre

Suivons dans le gros du parti le progrès de l’idée homicide. Elle est le fond même du dogme révolutionnaire, et, deux mois après, à la tribune des Jacobins, Collot d’Herbois dira très justement : « Le 2 septembre est le grand article du Credo de notre liberté   ». C’est le propre du Jacobin de se considérer comme un souverain légitime et de traiter ses adversaires, non en belligérants, mais en criminels. Ils sont criminels de lèse-nation, hors la loi, bons à tuer en tout temps et en tout lieu, dignes du supplice, même quand ils ne sont point ou ne sont plus en état de nuire. — En conséquence, le 10 août, on a égorgé les Suisses qui n’avaient point tiré et qui s’étaient rendus, les blessés gisant à terre, leurs chirurgiens, tous les domestiques du château, bien mieux, des gens qui, comme M. de Clermont-Tonnerre, passaient dans la rue, et, en langage officiel, cela s’appelle maintenant la justice du peuple. — Le 11, les soldats suisses recueillis dans le bâtiment des Feuillants manquent d’être massacrés ; la populace rassemblée alentour demande leurs têtes  , « on forme le projet de se transporter dans toutes les prisons de Paris pour y enlever tous les prisonniers et en faire une prompte justice ». – Le 12, aux Halles  , « divers groupes de gens du peuple disent que Pétion est un scélérat ; car il a sauvé les Suisses au Palais Bourbon » ; donc « il faut le pendre aujourd’hui, lui et les Suisses ». — Dans ces esprits renversés, la vérité présente et palpable fait place à son contre-pied : « ce ne sont point eux qui ont attaqué, c’est du château qu’est venu l’ordre de sonner le tocsin ; c’est le château qui a assiégé la nation, et non la nation qui a assiégé le château   ». Les vaincus sont « des assassins du peuple » pris en flagrant délit, et, le 14 août, les fédérés viennent demander une cour martiale « pour venger le sang de leurs frères   » ; encore est-ce trop peu d’une cour martiale. Il ne suffit pas de punir les crimes commis dans la journée du 10 août, il faut étendre la vengeance du peuple sur tous les conspirateurs », sur ce La Fayette, qui n’était peut-être pas à Paris, mais qui aurait pu « y être », sur les ministres, généraux, juges et autres agents, coupables d’avoir soutenu l’ordre légal quand il existait et de n’avoir pas reconnu le gouvernement jacobin quand il n’existait pas encore. Qu’on les traduise, non devant les tribunaux ordinaires qui sont suspects puisqu’ils font partie du régime aboli, mais devant un tribunal d’exception, sorte de « chambre ardente   » nommée par les sections, c’est-à-dire par la minorité jacobine ; que ces juges improvisés, à conviction faite, décident souverainement et en dernier ressort ; point d’interrogatoire préalable, point d’intervalle entre l’arrêt et l’exécution, point de formes dilatoires et protectrices. Surtout, que l’Assemblée se hâte de rendre le décret : sinon, lui dit un délégué de la Commune  , « ce soir, à minuit, le tocsin sonnera, la générale battra ; le peuple est las de n’être pas vengé : craignez qu’il ne se fasse justice lui-même ». – Un instant après, nouvelles menaces, et à plus courte échéance : « Si avant deux ou trois heures,... les jurés ne sont pas en état d’agir, de grands malheurs se promèneront sur Paris. »
Installé sur-le-champ, le nouveau tribunal a beau être expéditif et guillotiner en cinq jours trois innocents, on le trouve lent, et, le 23 août, une section vient, en style furieux, déclarer à la Commune que le peuple, « fatigué et indigné » de tant de retards, forcera les prisons et massacrera les prisonniers  . –

Les Jacobins ont peur à proportion de ce qu’ils font peur- l’incident Julien

Un étranger, bon observateur, qui questionne les boutiquiers chez qui il achète, les marchands avec lesquels il est en affaires, les gens qu’il rencontre au café, écrit qu’il « ne trouve nulle part de dispositions sanguinaires, sauf dans les galeries de l’Assemblée nationale et au club des Jacobins ». Perdus dans cette immense cité, en face d’une garde nationale encore armée et trois fois plus nombreuse qu’eux, devant une bourgeoisie indifférente ou mécontente, les patriotes s’effrayent. En cet état d’angoisse, l’imagination fiévreuse, exaspérée par l’attente, enfante involontairement des rêves qu’elle adopte passionnément comme des vérités, et maintenant il suffit d’un incident pour achever la légende dont la germe a grandi chez eux, à leur insu.
Le 1er septembre, un charretier, Jean Julien  , condamné à douze ans de fers, a été exposé au carcan, et, au bout de deux heures, il est devenu furieux, probablement sous les quolibets des assistants. Avec la grossièreté ordinaire aux gens de son espèce, il a déchargé en injures sa rage impuissante, il s’est déboutonné, il a montré sa nudité au public, et naturellement il a cherché les mots les plus blessants pour le peuple qui le regardait : « Vive le roi ! vive la reine ! vive monseigneur de La Fayette ! au f... la nation ! » Naturellement aussi, il a failli être écharpé, on l’a vite emmené à la Conciergerie, il a été condamné sur-le-champ, et on l’a guillotiné au plus vite comme promoteur d’une sédition qui se rattachait à la conspiration du 10 août. – Ainsi la conspiration dure encore ; le tribunal le déclare et il ne le déclare pas sans preuves. Certainement Jean Julien a fait des aveux : qu’a-t-il révélé ? – Et le lendemain, comme une moisson de champignons vénéneux poussés en une seule nuit, le même conte a pris racine dans toutes les cervelles. « Jean Julien a dit que toutes les prisons de Paris pensaient comme lui, que sous peu on verrait beau jeu, qu’ils avaient des armes, et qu’on les lâcherait dans la ville quand les volontaires seraient partis  . »

Dans les rues on ne rencontre que figures anxieuses : « L’un d’eux dit que Verdun a été livré comme Longwy ; d’autres, hochant la tête, répondent que ce sont les traîtres dans l’intérieur de Paris qu’il faut craindre, et non les ennemis déclarés sur la frontière  . » Le jour suivant, le roman s’amplifie : « Il y a des chefs et des troupes royalistes cachés dans Paris et aux environs ; ils vont ouvrir les prisons, armer les prisonniers, délivrer le roi et sa famille, mettre à mort les patriotes de Paris, les femmes et les enfants de ceux qui sont à l’armée... N’est-il pas naturel à des hommes de pourvoir à la sûreté de leurs enfants et de leurs femmes, et d’employer le seul moyen efficace pour arrêter le poignard des assassins  . » – Le brasier populaire est allumé ; à présent c’est aux entrepreneurs d’incendie public à conduire la flamme

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentaires

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.