Marat à la Commune et sa folie homicide_ supprimer 260 000 hommes « par
humanité. Pourquoi les Jacobins ont été si dangereux ; ils traitent leurs adversaires en criminels ; ils héritent d’un
appareil d’Etat encore efficace _ le vrai successeur de Richelieu et de Louis XIV est le pilier de
club Jacobin. La bureaucratie : _ avec des écritures correctes et des
comptes en règle, on pourra procéder au massacre comme à une opération de
voirie. Les progrès des idées homicides _ les Jacobins font peur et ont peur. L’incident
Julien déclenche les massacres de septembre.
Marat à la Commune- sa folie homicide
Marat, le monomane homicide, s’est constitué, dès le 23 août, à l’Hôtel de Ville, le journaliste en
titre, le conseiller politique, le
directeur de conscience de la Commune nouvelle, et le plan qu’il prêche depuis
trois ans, sous l’obsession d’une idée fixe, se réduit au meurtre pratiqué en
grand, tout de suite et sans phrases. « Donnez-moi, disait-il à
Barbaroux , 200 Napolitains armés de
poignards et portant à leur bras gauche un manchon en guise de bouclier ; avec
eux je parcourrai la France et je ferai la révolution. » Selon lui, il faut supprimer 260 000 hommes « par
humanité » ; car, sans cela, point de salut pour les autres. « L’Assemblée
nationale peut encore sauver la France : il lui suffira de décréter que tous
les aristocrates porteront un ruban bleu et qu’on les pendra dès qu’on en
trouvera trois ensemble. » – Un autre moyen « serait d’attendre dans les
défilés des rues et des promenades les royalistes et les Feuillants pour les
égorger. Si, sur cent hommes tués, il y a dix patriotes, qu’importe ? C’est
quatre-vingt-dix hommes pour dix, et puis on ne peut pas se tromper : tomber
sur ceux qui ont des voitures, des valets, des habits de soie, ou qui sortent
des spectacles ; vous êtes sûrs que ce sont des aristocrates ». – Il est
visible que la plèbe jacobine a trouvé l’état-major qui lui convient ; l’un et
l’autre s’entendront sans difficulté ; pour que le massacre spontané devienne
une opération administrative, les Nérons
du ruisseau n’ont qu’à prendre le mot d’ordre auprès des Nérons de l’Hôtel de
Ville…
Ce qui a rendu les Jacobins
particulièrement dangereux ; ils héritent de l’appareil d’Etat de la
monarchie
Ce qu’il y a de pire dans l’anarchie, ce
n’est pas tant l’absence du gouvernement détruit que la naissance des
gouvernements nouveaux et d’espèce inférieure. En tout État qui
s’est dissous, il se forme des bandes conquérantes et souveraines : tel fut le
cas en Gaule après la chute de l’empire romain et sous les derniers descendants
de Charlemagne ; tel est le cas aujourd’hui en Roumélie et au Mexique.
Aventuriers, malfaiteurs, gens tarés ou déclassés, hommes perdus de dettes et
d’honneur, vagabonds, déserteurs et soudards, tous les ennemis-nés du travail,
de la subordination et de la loi se liguent pour franchir ensemble les
barrières vermoulues qui retiennent encore la foule moutonnière, et, comme ils n’ont pas de scrupules, ils tuent
à tout propos. Sur ce fondement s’établit leur autorité : à leur tour, ils
règnent, chacun dans son canton, et leur gouvernement, aussi brut que leur
nature, se compose de vols et de meurtres ; on ne peut attendre autre chose de
barbares et de brigands.
Mais jamais ils ne sont si dangereux que
dans un grand État récemment dissous, où une révolution brusque leur a mis en
main le pouvoir central ; car alors il se croient les héritiers
légitimes du gouvernement déchu, et, à ce titre, ils entreprennent de conduire
la chose publique. Or, en temps d’anarchie, la volonté ne vient pas d’en haut,
mais d’en bas, et les chefs, pour rester chefs, sont tenus de suivre l’aveugle
impulsion de leur troupe . C’est pourquoi le personnage important et
dominant, celui dont la pensée prévaut, le vrai successeur de Richelieu et de
Louis XIV, est ici le Jacobin subalterne, le pilier de club, le faiseur de
motions, l’émeutier de la rue, Panis, Sergent, Hébert, Varlet, Henriot,
Maillard, Fournier, Lazowski, ou, plus bas encore, le premier venu de leurs
hommes, le tape-dur marseillais, le canonnier du faubourg, le fort de la halle
qui a bu et, entre deux hoquets, élabore ses conceptions politiques . – Pour toute information, il a des rumeurs
de carrefour qui lui montrent un traître dans chaque maison, et, pour tout
acquis, des phrases de club qui l’appellent à mener la grande machine. Une
machine si vaste et si compliquée, un tel ensemble de services enchevêtrés les
uns dans les autres et ramifiés en offices innombrables, tant d’appareils si
spéciaux, si délicats et qu’il faut incessamment adapter aux circonstances
changeantes, diplomatie, finances, justice, armée, administra¬tion, tout cela
déborde au delà de sa compréhension si courte : on ne fait pas tenir un muids
dans une bouteille . Dans sa cervelle
étroite, faussée et bouleversée par l’entassement des notions disproportionnées
qu’on y verse, il ne se dépose qu’une idée simple, appropriée à la grossièreté
de ses aptitudes et de ses instincts, je veux dire l’envie de tuer ses ennemis, qui sont aussi les ennemis de l’Etat,
quels qu’ils soient, déclarés, dissimulés, présents, futurs, probables ou même
possibles. Il porte sa brutalité et son effarement dans la politique, et
voilà pourquoi son usurpation est si malfaisante. Simple brigand, il n’eût tué
que pour voler, ce qui eût limité ses meurtres. Représentant de l’État, il entreprend le massacre en grand, et il a des
moyens de l’accomplir. – Car il n’a pas encore eu le temps de détraquer le
vieil outillage administratif ; du moins les rouages subalternes, gendarmes,
geôliers, employés, scribes et comptables, sont toujours à leur place et sous
la main. De la part des gens qu’on arrêtera, point de résistance ; accoutumés à
la protection des lois et à la douceur des mœurs, ils n’ont jamais compté sur
leurs bras pour se défendre, et n’imaginent pas qu’on veuille tuer si
sommairement. Quant à la foule, dépouillée de toute initiative par la
centralisation ancienne, elle est inerte, passive, et laissera faire. – C’est pourquoi, pendant plusieurs longues
journées successives, sans hâte ni encombre, avec des écritures correctes et
des comptes en règle, on pourra procéder au massacre comme à une opération de
voirie, aussi impunément et aussi méthodiquement qu’à l’enlèvement des boues ou
à l’abatage des chiens errants…
Les progrès de l‘idée d’homicide- vers les
massacres de septembre
Suivons dans le gros du parti le
progrès de l’idée homicide. Elle est le fond même du dogme révolutionnaire, et,
deux mois après, à la tribune des Jacobins, Collot d’Herbois dira très
justement : « Le 2 septembre est le grand article du Credo de notre liberté ». C’est le propre du Jacobin de
se considérer comme un souverain légitime et de traiter ses adversaires, non en belligérants, mais en criminels. Ils
sont criminels de lèse-nation, hors la loi, bons à tuer en tout temps et en
tout lieu, dignes du supplice, même quand ils ne sont point ou ne sont plus en
état de nuire. — En conséquence, le 10 août, on a égorgé les Suisses qui
n’avaient point tiré et qui s’étaient rendus, les blessés gisant à terre, leurs
chirurgiens, tous les domestiques du château, bien mieux, des gens qui, comme
M. de Clermont-Tonnerre, passaient dans la rue, et, en langage officiel, cela
s’appelle maintenant la justice du peuple. — Le 11, les soldats suisses
recueillis dans le bâtiment des Feuillants manquent d’être massacrés ; la
populace rassemblée alentour demande leurs têtes , « on forme le projet de se transporter dans
toutes les prisons de Paris pour y enlever tous les prisonniers et en faire une
prompte justice ». – Le 12, aux Halles ,
« divers groupes de gens du peuple disent que Pétion est un scélérat ; car il a
sauvé les Suisses au Palais Bourbon » ; donc « il faut le pendre aujourd’hui,
lui et les Suisses ». — Dans ces esprits renversés, la vérité présente et
palpable fait place à son contre-pied : « ce ne sont point eux qui ont attaqué,
c’est du château qu’est venu l’ordre de sonner le tocsin ; c’est le château qui
a assiégé la nation, et non la nation qui a assiégé le château ». Les vaincus sont « des assassins du peuple
» pris en flagrant délit, et, le 14 août, les fédérés viennent demander une
cour martiale « pour venger le sang de leurs frères » ; encore est-ce trop peu d’une cour
martiale. Il ne suffit pas de punir les crimes commis dans la journée du 10
août, il faut étendre la vengeance du
peuple sur tous les conspirateurs », sur ce La Fayette, qui n’était peut-être
pas à Paris, mais qui aurait pu « y être », sur les ministres, généraux,
juges et autres agents, coupables d’avoir soutenu l’ordre légal quand il
existait et de n’avoir pas reconnu le gouvernement jacobin quand il n’existait
pas encore. Qu’on les traduise, non devant les tribunaux ordinaires qui sont
suspects puisqu’ils font partie du régime aboli, mais devant un tribunal d’exception, sorte de « chambre
ardente » nommée par les sections,
c’est-à-dire par la minorité jacobine ; que ces juges improvisés, à
conviction faite, décident souverainement et en dernier ressort ; point
d’interrogatoire préalable, point d’intervalle entre l’arrêt et l’exécution,
point de formes dilatoires et protectrices. Surtout, que l’Assemblée se hâte de
rendre le décret : sinon, lui dit un délégué de la Commune , « ce soir, à minuit, le tocsin sonnera, la
générale battra ; le peuple est las de n’être pas vengé : craignez qu’il ne se
fasse justice lui-même ». – Un instant après, nouvelles menaces, et à plus
courte échéance : « Si avant deux ou trois heures,... les jurés ne sont pas en
état d’agir, de grands malheurs se promèneront sur Paris. »
Installé sur-le-champ, le nouveau tribunal a beau être expéditif et
guillotiner en cinq jours trois innocents, on le trouve lent, et, le 23 août, une section vient, en style
furieux, déclarer à la Commune que le peuple, « fatigué et indigné » de tant de
retards, forcera les prisons et massacrera les prisonniers . –
Les Jacobins ont peur à
proportion de ce qu’ils font peur- l’incident Julien
Un étranger, bon observateur, qui questionne les boutiquiers chez qui il
achète, les marchands avec lesquels il est en affaires, les gens qu’il
rencontre au café, écrit qu’il « ne
trouve nulle part de dispositions sanguinaires, sauf dans les galeries de l’Assemblée
nationale et au club des Jacobins ». Perdus
dans cette immense cité, en face d’une garde nationale encore armée et trois
fois plus nombreuse qu’eux, devant une bourgeoisie indifférente ou mécontente,
les patriotes s’effrayent. En cet état d’angoisse, l’imagination fiévreuse,
exaspérée par l’attente, enfante involontairement des rêves qu’elle adopte
passionnément comme des vérités, et maintenant il suffit d’un incident pour
achever la légende dont la germe a grandi chez eux, à leur insu.
Le 1er septembre, un charretier, Jean
Julien , condamné à douze ans de
fers, a été exposé au carcan, et, au bout de deux heures, il est devenu
furieux, probablement sous les quolibets des assistants. Avec la grossièreté
ordinaire aux gens de son espèce, il a déchargé en injures sa rage impuissante,
il s’est déboutonné, il a montré sa
nudité au public, et naturellement il a cherché les mots les plus blessants
pour le peuple qui le regardait : « Vive le roi ! vive la reine ! vive monseigneur
de La Fayette ! au f... la nation ! » Naturellement aussi, il a failli être
écharpé, on l’a vite emmené à la Conciergerie, il a été condamné sur-le-champ,
et on l’a guillotiné au plus vite comme promoteur d’une sédition qui se
rattachait à la conspiration du 10 août. – Ainsi la conspiration dure encore ;
le tribunal le déclare et il ne le déclare pas sans preuves. Certainement Jean
Julien a fait des aveux : qu’a-t-il révélé ? – Et le lendemain, comme une
moisson de champignons vénéneux poussés en une seule nuit, le même conte a pris
racine dans toutes les cervelles. « Jean
Julien a dit que toutes les prisons de Paris pensaient comme lui, que sous peu
on verrait beau jeu, qu’ils avaient des armes, et qu’on les lâcherait dans la
ville quand les volontaires seraient partis
. »
Dans les rues on ne rencontre que figures anxieuses : « L’un d’eux dit que
Verdun a été livré comme Longwy ; d’autres, hochant la tête, répondent que ce sont les traîtres dans l’intérieur de
Paris qu’il faut craindre, et non les ennemis déclarés sur la frontière . » Le jour suivant, le roman s’amplifie : « Il y a des chefs et des troupes
royalistes cachés dans Paris et aux environs ; ils vont ouvrir les prisons,
armer les prisonniers, délivrer le roi et sa famille, mettre à mort les
patriotes de Paris, les femmes et les enfants de ceux qui sont à l’armée... N’est-il pas naturel à des hommes de
pourvoir à la sûreté de leurs enfants et de leurs femmes, et d’employer le seul
moyen efficace pour arrêter le poignard des assassins . » – Le brasier populaire est allumé ; à
présent c’est aux entrepreneurs d’incendie public à conduire la flamme
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Commentaires
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.