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vendredi 18 août 2017

Taine _ La Révolution- La conquête jacobine_80_ Vers l’Etat Montagnard

La vie dans Paris aux mains des Montagnards ; comités de surveillance et cartes de civismes. Contrôle policiers, persécutions et confiscations. Une tentative de résistance ; les manifestations du 4 et du 5 mai. La Convention échoue à mettre Marat en accusation et tente de sauver 22 Girondins décrétés d’accusation. Le terrible mot de septembriseur devient d'emploi courant

La vie dans Paris aux mains des Montagnards ; comités de surveillance et cartes de civismes
                                                              
Il me semble, écrit un observateur ironique , vous entendre dire à la faction : Tenez, nous avons des moyens, mais nous ne voulons pas en faire usage contre vous ; il n’y aurait pas de cœur à vous attaquer lorsque vous n’êtes pas en force. La force publique émane de deux principes, de l’autorité légale et de la force armée. Eh bien, nous allons d’abord créer des comités de surveillance dont nous vous établirons les chefs, parce que, avec cette verge, vous pourrez donner le fouet à toutes les personnes honnêtes de Paris et régler l’esprit public. Nous voulons faire plus, car le sacrifice ne serait pas complet : nous voulons vous faire présent de notre force armée, en vous autorisant à désarmer les gens qui vous seront suspects. Quant à nous, nous sommes prêts à vous rendre jusqu’à nos couteaux de poche   ; nous restons isolés avec nos vertus et nos talents. Mais prenez-y garde. Si, manquant à la reconnaissance, vous osiez attenter à nos personnes sacrées, nous trouverions des vengeurs dans les départements. — Eh, que vous importe ce que pourront faire les départements déchaînés l’un contre l’autre, lorsque vous ne serez plus ? »
 — Rien de plus exact que ce résumé ni de mieux fondé que cette prédiction. Désormais, et en vertu des décrets de la Convention elle-même, les Jacobins ont non seulement le pouvoir exécutif tout entier, tel qu’on le rencontre dans les pays civilisés, mais aussi le pouvoir discrétionnaire du tyran antique ou du pacha moderne, cette main-forte arbitraire qui, choisissant l’individu, s’abat sur lui pour lui prendre ses armes, sa liberté et son argent. À partir du 28 mars, on voit recommencer à Paris le régime qui, institué le 10 août, s’est achevé par le 2 septembre. Dès le matin, le rappel est battu ; à midi, les barrières sont fermées, les ponts et les passages interceptés, un factionnaire est au coin de chaque rue, nul ne peut « sortir des limites de sa section » ; nul ne peut circuler dans sa section sans montrer sa carte de civisme ; les maisons sont investies, nombre de personnes sont arrêtées  , et, pendant les deux mois qui suivent, l’opération se poursuit sous l’arbitraire des comités de surveillance…. D’autre part, grâce à la faculté d’accorder ou refuser les cartes de civisme, chaque comité barre à son gré, de sa seule autorité, et à tous les habitants de sa circonscription, non seulement la vie publique, mais encore la vie privée. À qui n’obtient pas sa carte  , impossible d’avoir un passeport pour voyager, s’il est commerçant ; impossible de garder sa place, s’il est employé public, commis d’administration, avoué ou notaire ; impossible de sortir de Paris ou de rentrer tard. Si l’on se promène, c’est au risque d’être arrêté et ramené entre deux fusiliers devant le comité de la section ; si l’on rentre chez soi, c’est avec la chance d’être visité comme receleur de prêtres ou de nobles. Un Parisien qui ouvre le matin ses fenêtres s’expose à voir sa maison cernée par une escouade de carmagnoles, s’il n’a pas en poche le certificat indispensable  . Or, aux yeux d’un comité jacobin, il n’y a de civisme que dans le jacobinisme, et l’on imagine s’il en délivre volontiers le brevet à des adversaires ou même à des indifférents, par quels examens il les fait passer, à quels interrogatoires il les soumet, combien d’allées, de venues, de sollicitations, de comparutions et d’attentes il leur impose, avec quelle persistance il atermoie, avec quel plaisir il refuse. Buzot s’est présenté quatre fois au comité des Quatre-Nations pour obtenir une carte à son domestique, et n’a pu en venir à bout  . – Autre expédient plus efficace encore pour tenir les malveillants en bride. Dans chaque section, c’est le comité qui, avec l’aide d’un membre de la Commune  , désigne les réquisitionnaires pour l’expédition de Vendée, et il les désigne, nominativement, un à un, à son choix : cela purgera Paris de douze mille antijacobins et pacifiera les assemblées de section où les opposants sont parfois incommodes
Tandis qu’une main tient ainsi l’homme au collet, l’autre main fouille dans ses poches. Dans chaque section, le comité de surveillance, toujours assisté par un membre de la Commune  , désigne les gens aisés, évalue leur revenu à son gré ou d’après la commune renommée, et leur envoie l’ordre de payer tant, à proportion de leur superflu, selon une taxe progressive. Le nécessaire admis est de 1 500 francs par an pour un chef de famille, outre 1 000 francs pour sa femme et 1 000 francs pour chacun de ses enfants ; si l’excédent est de 15 000 à 20 000 francs, on en requiert 5 000 ; s’il est de 40 000 à 50 000 francs, on en requiert 20 000 ; en aucun cas, le superflu conservé ne pourra être au-dessus de 30 000 ; tout ce qui dépasse ce chiffre est acquis à l’État. De cette contribution subite, on exige le premier tiers dans les quarante-huit heures, le second tiers dans la quinzaine, le dernier tiers dans le mois, et sous des peines graves. Tant pis pour l’imposé si la taxe est exagérée, si son revenu est aléatoire ou imaginaire, si ses rentrées sont futures, s’il ne peut se procurer d’argent comptant, si, comme Francœur, entrepreneur de l’Opéra, « il n’a que des dettes ». — « En cas de refus, lui écrit le comité de la section Bon-Conseil, tes meubles et immeubles seront vendus par le comité révolutionnaire, et ta personne sera déclarée suspecte…

Une tentative de résistance ; les manifestations du 4 et du 5 mai

Le 4 et le 5 mai, deux bandes de cinq ou six cents jeunes gens, bien vêtus et sans armes, se sont formées aux Champs-Élysées et au Luxembourg, afin de protester contre l’arrêté de la Commune qui les choisit pour l’expédition de Vendée   ; ils crient : Vive la république ! Vive la loi ! A bas les anarchistes ! Au diable Marat, Danton, Robespierre ! Naturellement, la garde soldée de Santerre disperse ces muscadins ; on en arrête un millier, et dorénavant les autres s’abstiendront de toute manifestation bruyante sur la voie publique. Alors, faute de mieux, on les voit à plusieurs reprises, surtout dans les premiers jours de mai, revenir aux assemblées de section ; ils s’y trouvent en majorité et prennent des délibérations contre la tyrannie jacobine : à la section Bon-Conseil, aux sections de Marseille et de l’Unité, Lhuillier est hué, Marat menacé, Chaumette dénoncé  . — Mais ce n’est là qu’un feu de paille ; pour dominer à demeure dans ces assemblées permanentes, il faudrait que les modérés, comme les sans-culottes, fussent assidus et prêts à faire le coup de poing tous les soirs. Par malheur, les jeunes gens de 1793 n’ont pas encore l’expérience douloureuse, la rancune profonde, la rudesse athlétique qui les soutiendra en 1795. « Après une soirée où presque partout les chaises ont été cassées   » sur le dos des contendants, ils faiblissent, ils ne reviennent plus, et, au bout de quinze jours, les tape-dur de profession triomphent sur toute la ligne. — Pour mieux terrasser les résistances, les assommeurs se sont ligués par un acte exprès, et vont, de section en section, au secours les uns des autres  . Sous le nom de députation ou sous prétexte d’empêcher les troubles, une troupe de gaillards solides, envoyée par la section voisine, arrive dans la salle et, subitement, y change la minorité en majorité, ou, à force de vociférations, maîtrise le vote. Parfois, à l’heure tardive où la salle est presque vide, ils se déclarent assemblée générale, et, au nombre de quinze ou vingt, rétractent la délibération du jour. D’autres fois, comme par la municipalité ils ont la police, ils appellent à leur aide la force armée et obligent les récalcitrants, à déguerpir. Et, comme il faut des exemples pour imposer le silence définitif, les quinze ou vingt, qui se sont érigés eux-mêmes en assemblée plénière, les cinq ou six, qui forment le comité de surveillance, décernent des mandats d’arrêt contre les plus notables des opposants.

La Convention échoue à mettre Marat en accusation et tente de sauver 22 Girondins décrétés d’accusation

Pourtant, si énergique et si persistante que soit l’obsession, la Convention, qui cède sur tant de points, ne consent pas à se mutiler elle-même. Elle déclare calomnieuse la pétition présentée contre les Vingt-Deux ; elle institue une commission extraordinaire de douze membres pour rechercher dans les papiers de la Commune et des sections les preuves légales de la conspiration permanente que les Jacobins trament à ciel ouvert contre la représentation nationale ; le maire Pache est mandé à la barre ; des mandats d’arrêt sont lancés contre Hébert, Dobsent et Varlet. – Puisque les manifestations de la volonté populaire n’ont pas suffi et que la Convention, au lieu d’obéir, se rebelle, il ne reste plus à employer que la force.
« Depuis le 10 mars, dit Vergniaud à la tribune  , on ne cesse de provoquer publiquement au meurtre contre vous. » – « Ce moment est terrible, écrit le 12 mai un observateur , et ressemble beaucoup à ceux qui ont préparé le 2 septembre ». – Le même soir, aux Jacobins, un membre propose « d’exterminer tous les scélérats avant de partir »…
Conclusion : le jour, l’heure, le moment où l’insurrection aura lieu sera sans doute celui où la faction croira pouvoir utilement et sans risque mettre en jeu tous les brigands de Paris  , » et à la mairie, à l’Évêché, aux Jacobins, les énergumènes de bas étage arrangent déjà le plan du massacre  .
On choisira une maison isolée, avec trois pièces au rez-de-chaussée, en enfilade, et une petite cour par derrière ; on enlèvera de nuit les vingt-deux Girondins, et on les mènera dans cet abattoir préparé d’avance ; on les poussera tour à tour dans la dernière pièce ; là on les tuera, puis on jettera leurs corps dans une fosse creusée au milieu de la cour, on versera dessus de la chaux vive ; ensuite on les supposera émigrés et, pour prouver le fait, on imprimera des correspondances fausses  . Un membre du comité municipal de police déclare que l’opération est facile : « Nous les septembriserons, non pas nous-mêmes, mais nous avons des hommes tout prêts que nous payerons bien. » — Nulle objection de la part des Montagnards présents, Léonard Bourdon et Legendre ; celui-ci remarque seulement qu’on ne doit pas toucher aux Girondins dans la Convention ; hors de la Convention, « ce ne sont que des scélérats dont la mort sauverait la république », et l’acte est licite ; il verrait « périr à côté d’eux tous les coquins du côté noir, sans s’opposer à leur destruction ». – Plusieurs, au lieu de vingt-deux députés, en demandent trente ou trente-deux, et quelques-uns trois cents ; on y adjoindra les suspects de chaque section, et dix ou douze listes de proscrits sont déjà faites. Par une rafle générale, exécutée la même nuit, à la même heure, on les conduira aux Carmes près du Luxembourg, et, « si le local est insuffisant, » à Bicêtre ; là « on les fera disparaître de la surface du globe   ».
Un autre septembriseur  , commandant du bataillon du Jardin-des-Plantes, Henriot, rencontrant des ouvriers du port, leur dit de sa voix rauque : « Bonjour, camarades ; nous aurons bientôt besoin de vous, et pour un meilleur ouvrage ; ce n’est pas du bois, ce sont des cadavres que vous transporterez dans votre tombereau. — Eh bien, eh bien, c’est bon, répond un manœuvre, d’un ton demi-ivre ; nous ferons comme nous avons déjà fait le 2 septembre ; cela nous fera gagner des sous. » — « On fabrique des poignards chez Cheynard, maître serrurier, machiniste de la Monnaie..., et les femmes des tribunes en ont déjà reçu deux cents. » — Enfin, le 29 mai, aux Jacobins  , Hébert propose « de courir sus aux membres de la commission des Douze », et un autre Jacobin déclare que « ceux qui ont usurpé le pouvoir dictatorial », entendez par là les Girondins, « sont hors de la loi ».

Tout cela est excessif, maladroit, inutile, dangereux, ou du moins prématuré, et les chefs de la Montagne, Danton, Robespierre, Marat lui-même, mieux informés et moins bornés, comprennent qu’un massacre brut révolterait les départements déjà à demi soulevés  . Il ne faut pas casser l’instrument législatif, mais l’employer :

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