Important et magistral : avant le 10 août, le tournant de la
Révolution. Les Guirondins veulent le rappel de leurs ministres.. Comment
Lafayette et la majorité de l’Assemblée tentent de s’ y opposer. Comment ils
désarment le roi et les modérés et préparent les futures émeutes. Le
licenciement de l’Etat-Major de la garde nationale et sa reprise en main ;
néanmoins échec de la mise en accusation de La Fayette. Comment les Girondins
pensent se servir des futurs montagnards et comment ils se mettent entre leurs
mains. Jamais on n’a mieux travaillé pour autrui…Vers la déchéance du Roi
Refaire le 20 juin- tentative d’opposition
de La Fayette et de la majorité de l’Assemblée
Puisque le coup (du 20 juin) est manqué, il faut le refaire. Cela est d’autant plus urgent que
la faction s’est démasquée, et que, de toutes parts, « les honnêtes gens » s’indignent de voir la Constitution
soumise à l’arbitraire de la plus basse plèbe. Presque toutes les
administrations supérieures, soixante-quinze directoires de département envoient leur adhésion à la lettre de La
Fayette ou répondent par des encouragements à la proclamation si mesurée et si
noble par laquelle le roi, exposant les violences qu’on lui a faites, maintient
son droit légal avec une triste et inflexible douceur. Nombre de villes,
grandes ou petites, le remercient de sa fermeté, et ceux qui signent les
adresses sont les notables de l’endroit
, chevaliers de Saint-Louis, anciens officiers, juges, administrateurs
de district, médecins, notaires, avoués, receveurs de l’enregistrement,
directeurs de la poste, fabricants, négociants, gens établis, bref les hommes
les plus considérés et les plus considérables. À Paris, une pétition semblable, rédigée par deux anciens constituants,
recueille 247 pages de signatures certifiées par 99 notaires . Même dans le conseil général de la Commune,
il se trouve une majorité pour infliger
un blâme public au maire Pétion, au procureur-syndic Manuel, aux administrateurs
de police, Panis, Sergent, Viguer et Perron
. Dès le soir du 20 juin, le conseil du département a ordonné une
enquête ; il la poursuit, il la presse, il établit par pièces authentiques
l’inaction volontaire, la connivence hypocrite, le double jeu du
procureur-syndic et du maire , il
les suspend de leurs fonctions, il les dénonce aux tribunaux, ainsi que
Santerre et ses complices. Enfin La
Fayette, ajoutant au poids de son opinion l’ascendant de sa présence, vient
lui-même, à la barre de l’Assemblée nationale, réclamer des mesures « efficaces » contre les usurpations de la « secte
» jacobine, et demander que les instigateurs du 20 juin soient punis « comme
criminels de lèse-nation ». Dernier symptôme et plus significatif encore :
dans l’Assemblée, sa démarche est approuvée par une majorité de plus de cent
voix
Tout cela doit être écrasé et va l’être…
Personne ne
soutient La Fayette, qui seul a eu le courage de se mettre en avant ; au rendez-vous général qu’il a donné aux
Champs-Élysées, il ne vient qu’une centaine d’hommes. On y convient de marcher
le lendemain contre les Jacobins et de fermer leur club si l’on est 300, et le
lendemain on se trouve 30. La
Fayette n’a plus qu’à quitter Paris et à protester par une nouvelle lettre.
– Protestations, appels à la Constitution, au droit, à l’intérêt public, au
sens commun, arguments bien déduits, il n’y aura jamais de ce côté que des
discours et des écritures ; or, dans le conflit qui s’engage, les discours et
les écritures ne servent pas. – Imaginez
un débat entre deux hommes, l’un qui raisonne juste, l’autre qui ne sait guère
que déclamer, mais qui, ayant rencontré sur son chemin un dogue énorme, l’a
flatté, alléché et l’amène avec lui comme auxiliaire. Pour le dogue, les
beaux raisonnements ne sont que du papier noirci ou du bruit en l’air ; les
yeux ardents et fixés sur son maître provisoire, il n’attend qu’un geste pour
sauter sur les adversaires qu’on lui désigne. Le 20 juin, il en a presque
étranglé un et l’a couvert de sa bave. Le 21 juin , il se dresse, pour recommencer. Pendant les
cinquante jours qui suivent, il ne cesse de gronder, d’abord sourdement, puis
avec des éclats terribles. Le 25 juin, le 14 juillet, le 27 juillet, le 3 août,
le 5 août, il s’élance encore et n’est retenu qu’à grand’peine . Une fois déjà, le 29 juillet, ses crocs se
sont enfoncés dans la chair vivante . —
A chaque tournant de la discussion parlementaire, le constitutionnel sans
défense voit cette gueule béante ; rien d’étonnant s’il jette ou laisse jeter
en pâture au dogue tous les décrets que réclame le Girondin. — Sûrs de leur force, les Girondins
recommencent l’attaque, et leur plan de campagne semble habilement combiné. Ils
veulent bien tolérer le roi sur le trône, mais à condition qu’il n’y soit qu’un
mannequin, qu’il rappelle les ministres patriotes, qu’il leur laisse choisir le
gouverneur du dauphin, qu’il destitue La Fayette . Sinon, l’Assemblée prononcera la déchéance
et se saisira du pouvoir exécutif. Tel est le défilé à double issue dans lequel
ils engagent l’Assemblée et le roi. Si le roi, acculé, ne passe point par la
première porte, l’Assemblée, acculée, passera par la seconde, et, dans les deux
cas, ministres tout-puissants du roi soumis, ou délégués exécutifs de
l’Assemblée soumise, ils seront les maîtres de la France…
Le roi et ses ministres empêchés de gouverner et
continument menacés : . Toujours la mort, et à tout propos, contre
quiconque n’est pas de leur secte
À cet effet, ils s’en prennent d’abord au roi, et tâchent de lui forcer la
main par la peur. — Ils font lever la suspension
prononcée contre Pétion et Manuel, et les ramènent tous deux à l’Hôtel de Ville.
Désormais ceux-ci régneront dans Paris
sans répression ni surveillance, car le directoire du département s’est démis ;
il n’y a plus d’autorité supérieure pour les empêcher de requérir ou de
consigner à leur gré la force armée, et ils sont affranchis de toute
subordination comme de tout contrôle. Voilà le roi de France en bonnes mains,
aux mains de ceux qui, le 20 juin, ont refusé de museler la bête populaire et
déclarent qu’elle a bien fait, qu’elle était dans son droit, qu’elle est libre
de recommencer. Selon eux, le palais du
monarque appartient au public : on peut y entrer comme dans un café ; en
tout cas, si la municipalité est occupée ailleurs, elle n’est pas tenue de s’y
opposer : « Est-ce qu’il n’y a que les Tuileries et le roi à garder dans
Paris ? » — Autre manœuvre : on brise aux mains du roi ses instruments. Si
honorables et inoffensifs que soient ses nouveaux ministres, ils ne
comparaissent dans l’Assemblée que pour être hués par les tribunes. Isnard,
désignant du doigt le principal d’entre eux, s’écrie : « Voici un traître . » Tous les attentats populaires leur sont
imputés à crime, et Guadet déclare que, « comme conseillers du roi, ils sont
solidaires des troubles » que pourrait exciter le double veto . Non seulement la faction les déclare
coupables des violences qu’elle provoque, mais encore elle demande leur vie
pour expier les meurtres qu’elle commet. « Apprenez à la France, dit Vergniaud,
que désormais les ministres répondent sur leurs têtes de tous les désordres
dont la religion est le prétexte. » – « Le sang qui vient de couler à Bordeaux,
dit Ducos, doit retomber sur le pouvoir exécutif . » La Source propose de « punir de mort »
non seulement le ministre qui n’aura pas ordonné promptement l’exécution d’un
décret sanctionné, mais encore les commis qui n’auront pas exécuté les ordres
du ministre. Toujours la mort, et à tout
propos, contre quiconque n’est pas de leur secte. Sous cette terreur continue, les ministres se démettent en masse,
et le roi est sommé d’en trouver d’autres sur-le-champ ; cependant, pour rendre
leur poste plus dangereux, l’Assemblée décrète que dorénavant ils seront « solidairement responsables ».
Manifestement, c’est au roi qu’on en veut par-dessus les ministres, et les
Girondins n’omettent rien pour lui rendre le gouvernement impossible. Il signe
encore ce nouveau décret ; il ne proteste pas ; à la persécution qu’il subit,
il n’oppose que le silence, parfois une effusion de bon cœur honnête , une plainte affectueuse et touchante, qui
semble un gémissement contenu . Mais aux
accents les plus douloureux et les plus convaincus, l’obstination dogmatique et
l’ambition impatiente restent volontairement sourdes ; sa sincérité passe pour
un nouveau mensonge ; du haut de la tribune, Vergniaud, Brissot, Torné, Condorcet l’accusent de trahison,
revendiquent pour l’Assemblée le droit de le suspendre , et donnent le signal à
leurs auxiliaires jacobins. – Sur l’invitation de la Société-mère, les
succursales de province se mettent en branle, et la machine révolutionnaire
opère à la fois par tous ses engins d’agitation, rassemblements sur les places
publiques, placards homicides sur les murs, motions incendiaires dans les
clubs, hurlements dans les tribunes, adresses injurieuses et députations
séditieuses à la barre de l’Assemblée .
Après trente-six jours de ce régime, les Girondins croient le roi dompté, et,
le 26 juillet, Guadet, puis Brissot, à la tribune, lui font les suprêmes
sommations et les dernières avances .
Déception profonde ! comme au 20 juin, il refuse : « Jamais de ministres
girondins. »
Puisqu’il barre une des deux portes, on passera par l’autre, et, si les
Girondins ne peuvent régner par lui, ils régneront sans lui. Au nom de la Commune, Pétion en personne
vient proposer le nouveau plan et réclamer la déchéance…
Vers la déchéance du roi, ou
comment les girondins croient utiliser les futurs montagnards et se
retrouveront dans leurs mains
La Fayette, libéral, démocrate,
royaliste, aussi attaché à la révolution qu’à la loi, est alors le personnage qui justement, par la courte portée de son
esprit, par l’incohérence de ses idées politiques, par la noblesse de ses
sentiments contradictoires, représente le mieux l’opinion de l’Assemblée et de
la France . D’ailleurs sa popularité,
son courage et son armée sont le dernier refuge. La majorité sent qu’en le
livrant elle se livre elle-même, et, par 400 voix contre 224, elle l’absout. — De ce côté encore, la stratégie des
Girondins s’est trouvée fausse. Pour la seconde fois, le pouvoir leur échappe
; ni le roi ni l’Assemblée n’ont consenti à le leur remettre, et ils ne peuvent
plus le laisser suspendu en l’air, différer jusqu’à une meilleure occasion,
faire attendre leurs acolytes jacobins. Le fragile lien par lequel ils tenaient
en laisse le dogue révolutionnaire s’est rompu entre leurs mains : le dogue est
lâché et dans la rue.
Jamais on n’a mieux travaillé pour
autrui : toutes les mesures par lesquelles ils croyaient ressaisir le pouvoir
n’ont servi qu’à le livrer à la populace. – D’un côté, par une série de
décrets législatifs et d’arrêtés municipaux, ils ont écarté ou dissous la force
armée qui pouvait encore la réprimer ou l’intimider. Le 29 mai, ils ont
licencié la garde du roi. Le 15 juillet, ils renvoient de Paris toutes les
troupes de ligne. Le 16 juillet , ils
choisissent, pour « composer la gendarmerie à pied, les ci-devant
gardes-françaises qui ont servi la révolution à l’époque du 1er juin 1789…
c’est-à-dire les insurgés et déserteurs en titre. Le 6 juillet, dans toutes les
villes de 50 000 âmes et au-dessus, ils frappent
la garde nationale à la tête par le licenciement de son état-major, «
corporation aristocratique, dit une pétition , sorte de féodalité moderne, composée de
traîtres qui semblent avoir formé le projet de diriger à leur gré l’opinion
publique ». Dans les premiers jours d’août
, ils frappent la garde nationale au cœur par la suppression des
compagnies distinctes, grenadiers et chasseurs, recrutés parmi les gens aisés,
véritable élite qui maintenant, dépouillée de son uniforme, ramenée à
l’égalité, perdue dans la masse, voit en outre ses rangs troublés par un
mélange d’intrus, fédérés et hommes à piques. Enfin, pour achever le pêle-mêle,
ils ordonnent que dorénavant la garde du château soit chaque jour composée de
citoyens pris dans les soixante bataillons
, en sorte que les chefs ne
connaissent plus leurs hommes, que personne n’ait plus confiance en son chef,
en son subordonné, en son voisin, en lui-même, que toutes les pierres de la
digue humaine soient descellées d’avance et que la défense croule au premier
choc.
– D’autre part, ils ont eu soin de
fournir à l’émeute un corps de bataille et une avant-garde. Par une autre
série de décrets législatifs et d’arrêtés municipaux, ils autorisent le rassemblement des fédérés à Paris, ils leur allouent
une solde et un logement militaire , ils
leur permettent de s’organiser sous un comité central qui siège aux Jacobins et
prend des Jacobins le mot d’ordre. De ces nouveaux venus, les deux tiers, vrais soldats et vrais
patriotes, partent pour le camp de Soissons et la frontière ; mais il en reste
un tiers à Paris , peut-être 2 000,
émeutiers et politiques, qui, fêtés, régalés, endoctrinés, hébergés chacun chez
un Jacobin, deviennent plus jacobins que leurs hôtes et s’incorporent dans
les bataillons révolutionnaires pour y
servir la bonne cause à coups de fusil. – Deux pelotons, qui sont arrivés plus
tard, demeurent distincts et n’en sont que plus redoutables, l’un et l’autre
envoyés par ces villes de mer dans lesquelles, quatre mois auparavant, on
comptait déjà « vingt et un faits d’insurrection capitale, tous impunis, et
plusieurs par sentence du jury maritime
». L’un, de 300 hommes, vient de
Brest, où la municipalité, aussi exaltée que celles de Marseille et d’Avignon,
fait, comme celles de Marseille et d’Avignon, des expéditions armées contre ses
voisins, où les meurtres populaires sont tolérés, où M. de la Jaille a été
presque tué, où la tête de M. Patry a été portée sur une pique, où des vétérans
de l’émeute composent l’équipage de la flotte, où « les ouvriers à la solde de
l’État, les commis, les maîtres, les sous-officiers, convertis en motionnaires,
en agitateurs, en harangueurs politiques, en censeurs de l’administration », ne
demandent qu’à faire œuvre de leurs bras sur un théâtre plus en vue. L’autre troupe, appelée de Marseille par
les Girondins Rébecqui et Barbaroux ,
comprend 516 hommes, aventuriers intrépides et féroces, de toute
provenance, Marseillais ou étrangers, « Savoyards, Italiens, Espagnols, chassés
de leur pays », presque tous de la dernière plèbe ou entretenus par des métiers
infâmes, « spadassins et suppôts de mauvais lieux », accoutumés au sang,
prompts aux coups, bons coupe-jarrets, triés un à un dans les bandes qui ont
marché sur Aix, Arles et Avignon, l’écume
de cette écume qui depuis trois ans, dans le Comtat et dans les
Bouches-du-Rhône, bouillonne par-dessus les barrières inutiles de la loi…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Commentaires
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.