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vendredi 11 août 2017

Taine _ La Révolution- l’anarchie spontanée_45_ L’œuvre de la Constituante : L’anarchie spontanée devient l’anarchie légale

Si j’ai privilégié les extraits où Taine énonce et illustre ses thèses, il ne faut pas oublier qu’il est un historien archiviste, et qu’il ‘s appuie sur une masse considérable de documents et de témoignages. Ici, les effets de l’effondrement de tout gouvernement ( l’anarchie spontanée puis légale) sur  les tensions religieuses et la famine ( la circulation du blé)

Les guerres de religion reprennent, sous de nouveaux oripeaux

Bordeaux, jugeant que Montauban est en révolte contre la France, envoie quinze cents hommes de sa garde nationale pour élargir les détenus. Toulouse veut aider Bordeaux ; la fermentation est terrible ; quatre mille protestants se sauvent de Montauban ; des cités armées vont se combattre comme jadis en Italie. Il faut qu’un commissaire de l’Assemblée nationale et du roi, Mathieu Dumas, vienne haranguer le peuple de Montauban, obtenir la délivrance des prisonniers et rétablir la paix.
Un mois après, à Nîmes , l’échauffourée, plus sanglante, tourne contre les catholiques. – À la vérité, sur cinquante-quatre mille habitants, les protestants ne sont que douze mille ; mais le grand commerce est entre leurs mains : ils tiennent les manufactures ; ils font vivre trente mille ouvriers, et, aux élections de 1789, ils ont fourni cinq députés sur huit. En ce temps-là les sympathies étaient pour eux ; personne n’imaginait alors que l’Église régnante pût courir un risque. À son tour, elle est attaquée, et voilà les deux partis qui s’affrontent. – Les catholiques signent une pétition  , racolent les maraîchers du faubourg, gardent la cocarde blanche, et, lorsqu’elle est interdite, la remplacent par un pouf rouge, autre signe de reconnaissance. À leur tête est Froment, homme énergique, qui a de grands projets ; mais, sur le sol miné où il marche, l’explosion ne saurait être conduite. Elle se fait d’elle-même, au hasard, par le simple choc de deux défiances égales, et, avant le jour final, elle a commencé et recommencé déjà vingt fois par des provocations mutuelles, dénonciations, insultes, libelles, rixes, coups de pierre et coups de fusil. – Le 13 juin 1790, il s’agit de savoir quel parti donnera des administrateurs au district et au département ; à propos des élections, le combat s’engage. Au poste de l’évêché où se tient l’assemblée électorale, les dragons protestants et patriotes sont venus « trois fois plus nombreux qu’à l’ordinaire, mousquetons et pistolets chargés, la giberne bien garnie », et ils font patrouille dans les alentours. De leur côté, les poufs rouges, royalistes et catholiques, se plaignent d’être menacés, « nargués ». Ils font avertir le suisse « de ne plus laisser entrer aucun dragon à pied ni à cheval, sous peine de vie », et déclarent que « l’évêché n’est pas fait pour servir de corps de garde ». – Attroupements, cris sous les fenêtres : des pierres sont jetées ; la trompette d’un dragon qui sonnait le rappel est brisée ; deux coups de fusil partent  . Aussitôt les dragons font une décharge générale qui blesse beaucoup d’hommes et en tue sept. – À partir de ce moment, pendant toute la soirée et toute la nuit, on tire dans toute la ville, chaque parti croyant que l’autre veut l’exterminer, les protestants persuadés que c’est une Saint-Barthélemy, les catholiques que c’est « une Michelade ». Personne pour se jeter entre eux. Bien loin de donner des ordres, la municipalité en reçoit : on la rudoie, on la bouscule, on la fait marcher comme un domestique. Les patriotes viennent prendre à l’hôtel de ville l’abbé de Belmont, officier municipal, lui commandent, sous peine de mort, de proclamer la loi martiale, et lui mettent en main le drapeau rouge. « Marche donc, calotin, b.., j... f... ! Plus haut le drapeau, plus haut encore, tu es assez grand pour cela. » Et des bourrades, des coups de crosse. Il crache le sang ? n’importe, il faut qu’il soit en tête, bien visible, en façon de cible, tandis que, prudemment, ses conducteurs restent en arrière. Il avance ainsi, à travers les balles, tenant le drapeau, et se trouve prisonnier des poufs rouges, qui le relâchent en gardant son drapeau. – Second drapeau rouge tenu par le valet de ville, seconde promenade, nouveaux coups de fusil, les poufs rouges capturant encore ce drapeau, ainsi qu’un autre officier municipal. – Le reste de la municipalité et un commissaire du roi se réfugient aux casernes et font sortir la troupe. Cependant Froment et ses trois compagnies, cantonnés dans leurs tours et leurs maisons du rempart, résistent en désespérés. Mais le jour a paru, le tocsin a sonné, la générale a battu, les milices patriotes du voisinage, les protestants de la montagne, rudes Cévenols, arrivent en foule. Les poufs rouges sont assiégés ; un couvent de capucins, d’où l’on prétend qu’ils ont tiré, est dévasté, cinq capucins sont tués. La tour de Froment est démolie à coups de canon, prise d’assaut ; son frère est massacré, jeté en bas des murailles ; un couvent de jacobins attenant aux remparts est saccagé. Vers le soir, tous les poufs rouges qui ont combattu sont tués ou en fuite ; il n’y a plus de résistance. — Mais la fureur subsiste, et les quinze mille campagnards qui ont afflué dans la ville jugent qu’ils n’ont pas travaillé suffisamment. En vain on leur représente que les quinze autres compagnies de poufs rouges n’ont pas bougé, que les prétendus agresseurs « ne se sont pas même mis en état de défense », que, pendant toute la bataille, ils sont restés au logis, qu’ensuite, par surcroît de précaution, la municipalité leur a fait rendre leurs armes. En vain l’assemblée électorale, précédée d’un drapeau blanc, vient sur la place publique exhorter les citoyens à la concorde. « Sous prétexte de fouiller les maisons suspectes, on pille, on dévaste ; tout ce qui ne peut être enlevé est brisé. » À Nîmes seulement, cent vingt maisons sont saccagées ; mêmes ravages aux environs ; au bout de trois jours, le dégât monte à sept ou huit cent mille livres. Nombre de malheureux sont égorgés chez eux, ouvriers, marchands, vieillards, infirmes ; il y en a qui, « retenus dans leur lit depuis plusieurs années, sont traînés sur le seuil de leur porte pour y être fusillés ». D’autres sont pendus sur l’Esplanade, au Cours Neuf, d’autres hachés vivants à coups de faux et de sabres, les oreilles, le nez, les pieds, les poignets coupés. Selon l’usage, des légendes horribles provoquent des actions atroces. Un cabaretier, qui a refusé de distribuer les listes anticatholiques, passe pour avoir dans sa cave une mine toute prête de barils de poudre et de mèches soufrées ; on le dépèce à coups de hache et de sabre ; on décharge vingt fusils sur son cadavre ; on l’expose devant sa maison avec un pain long sur la poitrine, et on le perce encore de baïonnettes en lui disant : « Mange, b..., mange donc ! » – Plus de cent cinquante catholiques ont été assassinés ; beaucoup d’autres, tout sanglants, « sont entassés dans les prisons », et l’on continue les perquisitions contre les proscrits ; dès qu’on les aperçoit, on tire sur eux comme sur des loups. Aussi des milliers d’habitants demandent leurs passeports et quittent la ville. — Cependant, de leur côté, les campagnards catholiques des environs massacrent six protestants, un vieillard de quatre-vingt-deux ans, un jeune homme de quinze ans, un mari et sa femme dans leur métairie. – Pour arrêter les meurtres, il faut l’intervention de la garde nationale de Montpellier. Mais, si l’ordre est rétabli, ce n’est qu’au profit du parti vainqueur. Les trois cinquièmes des électeurs se sont enfuis ; un tiers des administrateurs du district et du département a été nommé en leur absence, et la majorité des nouveaux directoires est prise dans le club patriote. C’est pourquoi les détenus sont traités d’avance en coupables ….

Les batailles du blé : chacun pour soi


À la fin de 1789 , « le Roussillon refuse des secours au Languedoc ; le haut Languedoc au reste de la province, la Bourgogne au Lyonnais ; le Dauphiné se cerne ; une partie de la Normandie retient les blés achetés pour secourir Paris ». À Paris, il y a des sentinelles à la porte de tous les boulangers ; le 21 octobre, l’un d’eux est lanterné, et sa tête portée au bout d’une pique. Le 27 octobre, à Vernon, c’est le tour d’un négociant en blé, Planter, qui, l’hiver précédent, a nourri les pauvres de six lieues à la ronde ; en ce moment, ils ne lui pardonnent pas d’envoyer des farines à Paris ; pendu deux fois, il est sauvé, parce que deux fois la corde casse. — Ce n’est que par force et sous escorte que l’on peut faire arriver du grain dans une ville ; incessamment les gardes nationales ou le peuple soulevé le saisissent au passage. En Normandie  , la milice de Caen arrête sur les grands chemins le blé qu’on porte à Harcourt et ailleurs. En Bretagne, Auray et Vannes retiennent les convois de Nantes ; Lannion, ceux de Brest. Brest ayant voulu négocier, ses commissaires sont pris au collet ; couteau sur la gorge, on les contraint à signer l’abandon pur et simple des grains qu’ils ont payés, et ils sont reconduits hors de Lannion à coups de pierres. Là-dessus, 1 800 hommes sortent de Brest avec quatre canons, et vont reprendre leur bien, fusils chargés. Ce sont les mœurs des grandes famines féodales, et, d’un bout à l’autre de la France, sans compter les émeutes des affamés à l’intérieur des villes, on ne trouve qu’attentats semblables ou revendications pareilles. — « Le peuple armé de Nantua, Saint-Claude et Septmoncel, dit une dépêche  , a de nouveau coupé les vivres au pays de Gex ; il n’y vient de blé d’aucun côté ; tous les passages sont gardés. Sans le secours du gouvernement de Genève qui veut bien prêter 800 coupées de blé à ce pays, il faudrait ou mourir de faim, ou aller, à main armée, enlever le grain aux municipalités qui le retiennent. » Narbonne affame Toulon ; sur le canal du Languedoc, la navigation est interceptée ; les populations riveraines repoussent deux compagnies de soldats, brûlent un grand bâtiment, veulent « détruire le canal lui-même ». — Bateaux arrêtés, voitures pillées, pain taxé de force, coups de pierres et coups de fusil, combats de la populace contre la garde nationale, des paysans contre les citadins, des acheteurs contre les marchands, des ouvriers et des journaliers contre les fermiers et les propriétaires, à Castelnaudary, à Niort, à Saint-Étienne, dans l’Aisne, dans le Pas-de-Calais, principalement sur la longue ligne qui va de Montbrison à Angers, c’est-à-dire dans presque toute l’étendue de l’immense bassin de la Loire, tel est le spectacle que présente l’année 1790. — Et pourtant la récolte n’a point été mauvaise. Mais le blé ne circule plus ; chaque petit centre s’est contracté pour accaparer l’aliment : de là le jeûne des autres et les convulsions de tout l’organisme, premier effet de l’indépendance plénière que la Constitution et les circonstances confèrent à chaque groupe local.:/

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