Les
Jacobins en province : leur ferveur jacobine est médiocre ; Installé par la force .Que pouvais-je faire ? » Rien, sinon être
aveugle et sourd. L’isolement des Jacobins : leur minorité demeure infime.
La province sous tutelle de Paris. Les trois aubaines du Jacobin en mission :
le vin et les taxes. Seconde aubaine : rançonner les riches. Troisième aubaine Le vol et le pillage généralisé. Le
gouvernement révolutionnaire étant une septembrisade organisée
Les
Jacobins en province : leur ferveur jacobine est médiocre
Et d’abord, dans les milliers de communes qui ont
moins de 500 habitants , dans quantité
d’autres villages plus peuplés, mais écartés et purement agricoles, surtout
dans ceux où l’on ne parle que patois, les
sujets manquent pour composer un comité révolutionnaire . On y est trop occupé de ses mains ; les
mains calleuses n’écrivent pas couramment ; personne n’a envie de prendre la
plume, surtout pour tenir un registre qui restera et qui peut un jour devenir
compromettant. Il n’est pas déjà très facile de recruter sur place la
municipalité, de trouver le maire, les deux autres officiers municipaux et
l’agent national, requis par la loi ; dans les petites communes, ils sont les
seuls agents du gouvernement révolutionnaire, et je crois bien que le plus
souvent leur ferveur jacobine est
médiocre…
Au-dessus
des petites communes, dans les gros villages qui ont un comité révolutionnaire
et dans certains bourgs, les chevaux attelés font parfois semblant de tirer,
mais ne tirent pas, de peur d’écraser quelqu’un. – En ce temps-là, une
bourgade, surtout quand elle est isolée, située dans un pays perdu et sans
routes, forme un petit monde clos, bien plus fermé qu’aujourd’hui, bien moins
accessible au verbiage de Paris et aux impulsions du dehors ; l’opinion locale
y est d’un poids prépondérant ; on s’y soutient entre voisins ; on aurait honte
de dénoncer un brave homme que l’on connaît depuis vingt ans ; l’ascendant
moral des honnêtes gens suffit provisoirement pour contenir « les gueux ». Si
le maire est républicain, c’est surtout en paroles, peut-être pour se couvrir,
pour couvrir la commune, et parce qu’il faut hurler avec les loups.
Installé par la force .Que
pouvais-je faire ? » Rien, sinon être aveugle et sourd
–
Ailleurs, dans d’autres bourgs et dans les petites villes, les exaltés et les
gredins n’ont pas été assez nombreux pour occuper tous les emplois, et, afin de
remplir les vides, ils ont poussé ou admis dans le personnel nouveau de très
mauvais Jacobins, des tièdes, des indifférents, des hommes timides ou besogneux
qui acceptent la place comme un refuge ou la demandent comme un gagne-pain. «
Citoyens, écrira plus tard une de ces recrues plus ou moins contraintes , je
fus placé dans le comité de surveillance d’Aignay par la force, installé par la force. » Trois ou
quatre enragés y dominaient, et si l’on discutait avec eux, « ce n’étaient que
menaces... Toujours tremblant, toujours dans les craintes, voilà comment j’ai
passé les dix-huit mois que j’ai exercé cette malheureuse place ». – Enfin,
dans les villes moyennes ou grandes, la bagarre des destitutions collectives,
le pêle-mêle des nominations improvisées et le renouvellement brusque du
personnel entier ont précipité, bon gré mal gré, dans les administrations
nombre de prétendus Jacobins, qui, au fond du cœur, sont Girondins ou
Feuillants, mais qui, ayant trop péroré, se sont désignés aux places par leur
bavardage, et désormais siègent à côté des pires Jacobins, dans les pires
emplois. « Membres de la commission révolutionnaire de Feurs, ceux qui
m’objectent cela, écrit un avocat de Clermont
, se persuadent que les reclus ont été seuls terrifiés ; ils ne savent
pas que personne peut-être ne ressentait
plus violemment la terreur que ceux que l’on contraignait de se charger de
l’exécution des décrets. Qu’on se rappelle que l’édit de Couthon, qui
désignait un citoyen pour une place quelconque, portait, en cas de refus, la
menace d’être déclaré suspect, menace qui donnait pour perspective la perte de
la liberté et le séquestre des biens. Fus-je donc libre de refuser ? » – Une
fois installé, l’homme est tenu d’opérer, et beaucoup de ceux qui opèrent
laissent percer leurs répugnances : au mieux, on ne peut tirer d’eux qu’un
service d’automate. « Avant de me rendre au tribunal, dit un juge de
Cambrai , j’avalais un grand verre de
liqueur, pour me donner la force d’y siéger. » De parti pris, il ne sortait
plus de chez lui, sauf pour faire sa besogne ; le jugement rendu, il revenait
au logis sans s’arrêter, se renfermait, bouchait ses yeux et ses oreilles : «
J’avais à prononcer sur la déclaration du jury ; que pouvais-je faire ? » Rien, sinon être aveugle et sourd. « Je buvais ; je tâchais de tout ignorer,
jusqu’aux noms des accusés. » – Décidément, dans ce personnel local, il y a
trop d’agents faibles, peu zélés, sans entrain, douteux, ou même secrètement
hostiles ; il faut les remplacer par d’autres, énergiques et sûrs, et prendre
ceux-ci dans le seul réservoir où on les trouve
. En chaque département ou district, ce réservoir est la jacobinière du
chef-lieu ; on les enverra de là dans les petits bourgs et communes de la
circonscription. En France, le grand réservoir central est la jacobinière de
Paris ; on les enverra de là dans les villes des départements….
La province sous tutelle
de Paris
En conséquence, des
essaims de sauterelles jacobines s’élancent incessamment de Paris sur la
province, et de chacun des chefs-lieux locaux sur
la campagne environnante. – Dans cette nuée d’insectes destructeurs, il en est
de diverses figures et de plusieurs tailles : au premier rang, les représentants en mission qui vont commander
dans les départements ; au second rang, « les agents politiques », qui, placés en observation dans le
voisinage de la frontière , se chargent
par surcroît, dans la ville où ils résident, de conduire la Société populaire
et de faire marcher les administrations. Outre cela, du club qui siège à Paris,
rue Saint-Honoré, partent des sans-culottes de choix, qui, autorisés ou
délégués par le Comité de Salut public, viennent à Lyon, à Marseille, à
Bordeaux, à Troyes, à Rochefort, à Tonnerre et ailleurs, faire office de missionnaires parmi les indigènes trop mous, ou
composer les comités d’action et les tribunaux d’extermination qu’on a peine à
recruter sur place…
Aussi,
quand une ville est mal notée, la Société populaire d’une cité mieux pensante
lui envoie ses délégués pour la mettre au pas : par exemple, quatre députés du
club de Metz arrivent, sans crier gare, à Belfort, catéchisent leurs pareils,
s’adjoignent le comité révolutionnaire du lieu, et tout d’un coup, sans
consulter la municipalité ni aucune autre autorité légale, dressent, séance
tenante, une liste « de modérés, de fanatiques et d’égoïstes », auxquels ils
imposent une taxe extraordinaire de 136 617 livres. Pareillement soixante
délégués des clubs de la Côte-d’Or, de la Haute-Marne, des Vosges, de la
Moselle, de Saône-et-Loire et du Mont-Terrible, tous « trempés au fer chaud du
père Duchesne », viennent, sur l’appel des représentants en mission et sous le
nom de « propagandistes », « régénérer la ville de Strasbourg ».
Dans le reste de la
France, la population, moins récalcitrante, n’est pas plus jacobine ; là où le peuple se montre « humble et soumis », comme à Lyon et à
Bordeaux, les observateurs déclarent que c’est par terreur pure ; là où l’opinion semble exaltée, comme à
Rochefort et à Grenoble, ils disent que « c’est un feu factice ». À Rochefort, le zèle n’est entretenu «
que par la présence de cinq ou six Jacobins de Paris ». À Grenoble, l’agent
politique Chépy, président du club, écrit « qu’il est sur les dents, qu’il
s’épuise et se consume pour entretenir l’esprit public et le fixer à la hauteur
des circonstances, mais qu’il a conscience que, s’il quittait un seul jour,
tout s’écroulerait ». — Rien que des modérés à Brest, à Lille, à Dunkerque ; si
tel département, par exemple celui du Nord, s’est empressé d’accepter la
constitution montagnarde, il n’y a là qu’un faux semblant « une infiniment petite partie des habitants
a répondu pour le tout ». — A
Belfort, « où l’on compte 1 000 à 1 200 pères de famille », seule, écrit
l’agent , « une Société populaire, composée de 30 ou de 40 membres au plus, maintient
et commande l’amour de la liberté ». – Dans Arras, « sur trois ou quatre cents
membres qui composaient la Société populaire », l’épuration de 1794 n’en épargne
que « 63, dont une dizaine d’absents ».
— À Toulouse, « sur 1 400 membres environ » qui formaient le club, il n’en
reste, après l’épuration de 1793, que trois ou quatre cents, simples machines
pour la plupart, et que « dix à douze intrigants conduisent à leur volonté ». – De même ailleurs : une ou deux douzaines de Jacobins de bonne trempe, 22 à Troyes, 21 à
Grenoble, 10 à Bordeaux, 7 à Poitiers, autant à Dijon , voilà le personnel actif d’une grande ville
; il tiendrait autour d’une table. – Avec tant d’efforts pour s’étendre, les
Jacobins ne parviennent qu’à disséminer leur bande ; avec tant de soin pour se
choisir, ils ne parviennent qu’à restreindre leur nombre. Ils restent ce qu’ils
ont toujours été, une petite féodalité de brigands superposée à la France
conquise . Si la terreur qu’ils
répandent multiplie leurs serfs, l’horreur qu’ils inspirent diminue leurs
prosélytes, et leur minorité demeure
infime, parce que pour collaborateurs ils ne peuvent avoir que leurs pareils…
Les trois aubaines du
Jacobin en mission : le vin et les taxes
– Rien de
tel que l’ivrognerie pour surexciter la férocité. À Strasbourg, les
soixante propagandistes à moustaches, logés dans le collège où ils se sont
installés à demeure, ont un cuisinier fourni par la ville, et font ripaille,
nuit et jour, « avec les comestibles de choix qu’ils mettent en réquisition »,
« avec les vins fins destinés aux défenseurs de la patrie ». C’est sans doute au sortir d’une de ces
orgies qu’ils viennent, sabre en main, à la Société populaire , voter et faire voter de force « la mort de tous les détenus enfermés au
séminaire, au nombre de plus de sept cents, de tout âge et de tout sexe,
sans qu’au préalable ils soient jugés ». Quand un homme veut être bon égorgeur,
il doit s’enivrer au préalable ; ainsi faisaient à Paris les travailleurs de
septembre ; le gouvernement révolutionnaire étant une septembrisade organisée,
prolongée et permanente, la plupart de ses agents sont obligés de boire
beaucoup .
Par la même raison, ayant l’occasion et la
tentation de voler, ils volent. — D’abord, pendant six mois, et jusqu’au décret
qui leur assigne une solde, les comités
révolutionnaires « se payent de leurs propres mains »
; ensuite, à leur salaire légal de 3 francs, 5 francs par jour et par membre,
ils ajoutent à peu près ce que bon leur semble, car ce sont eux qui perçoivent
les taxes extraordinaires, et souvent, comme à Montbrison, « sans rôles ni
registres des recouvrements ». Le 16 frimaire an II, le comité des finances annonçait que « le recouvrement et l’emploi
des taxes extraordinaires étaient inconnus au gouvernement, qu’il était
impossible de les surveiller, que la
Trésorerie nationale n’avait reçu aucune somme provenant de ces taxes ». Deux ans après, quatre ans après , la comptabilité des taxes révolutionnaires,
des emprunts forcés et des dons prétendus volontaires est encore un trou sans
fond :
Seconde
aubaine : rançonner les riches
Seconde
aubaine, aussi grasse. Ayant le droit de
disposer arbitrairement des fortunes, des libertés et des vies, ils peuvent en
trafiquer, et, pour les vendeurs comme pour les acheteurs, rien de plus
avantageux qu’un pareil trafic ; ce serait merveille s’il ne s’établissait pas.
Tout homme riche ou aisé, c’est-à-dire tout homme ayant des chances pour être
imposé, emprisonné et guillotiné, consent de bon cœur à « composer » , à se racheter, lui et les siens. S’il est
prudent, il paye, avant la taxe, pour n’être point taxé trop haut ; il paye,
après la taxe, pour obtenir une diminution ou des délais ; il paye pour être
admis ou maintenu dans la Société populaire. Quand le danger se rapproche, il
paye pour obtenir ou faire renouveler son certificat de civisme, pour ne pas
être déclaré suspect, pour ne pas être dénoncé comme conspirateur. Quand il a
été dénoncé, il paye pour être détenu chez lui plutôt que dans la maison
d’arrêt, pour être détenu dans la maison d’arrêt plutôt que dans la prison
commune, pour ne pas être traité trop durement dans la prison commune, pour
avoir le temps de rassembler ses pièces justificatives, pour faire mettre et
maintenir son dossier au-dessous de tous les autres dans les cartons du greffe,
pour ne pas être inscrit dans la prochaine fournée du tribunal révolutionnaire.
Il n’y a pas une de ces faveurs qui ne soit précieuse : partant, des rançons
innombrables sont incessamment offertes, et les fripons, qui pullulent dans les
comités révolutionnaires , n’ont qu’à
ouvrir leurs mains pour remplir leurs poches.
Troisième aubaine Le vol et
le pillage généralisé
Troisième
aubaine, non moins large, mais plus étalée au soleil, et partant plus
alléchante encore. — Une fois le suspect
incarcéré, tout ce qu’il apporte en prison avec lui, tout ce qu’il laisse au
logis derrière lui, devient une proie ; car, avec l’insuffisance, la
précipitation et l’irrégularité des écritures
, avec le manque de surveillance et les connivences que l’on sait, les
vautours grands ou petits peuvent librement jouer du bec et des serres. – À
Toulouse, à Paris et ailleurs, des commissaires viennent enlever aux
prisonniers tout objet de prix ; par suite, en nombre de cas, l’or, l’argent,
les assignats et les bijoux, confisqués,pour le Trésor, s’arrêtent au passage
dans les mains qui les ont saisis . – A
Poitiers, les sept coquins qui composent l’oligarchie régnante, reconnaîtront
eux-mêmes, après Thermidor, qu’ils ont volé les effets des détenus . – A Orange, « la citoyenne Viot, épouse de
l’accusateur public, les citoyennes Fernex et Ragot, épouses des deux juges »,
viennent elles-mêmes au greffe faire leur choix dans la dépouille des accusés,
et prendre pour leur garde-robe les boucles d’argent, le linge fin et les
dentelles . – Mais ce que les accusés
détenus ou fugitifs peuvent avoir emporté avec eux est peu de chose en
comparaison de ce qu’ils laissent à domicile, c’est-à-dire sous le séquestre.
Tous les bâtiments ecclésiastiques et seigneuriaux, châteaux et hôtels de
France y sont, avec leur mobilier, et aussi la plupart des belles maisons
bourgeoises, quantité d’autres logis moindres, mais bien meublés et abondamment
garnis par l’épargne provinciale ; outre cela, presque tous les entrepôts et
magasins des grands industriels et des gros commerçants : cela fait un butin
colossal et tel qu’on n’en a jamais vu, tous les objets agréables à posséder
amoncelés en tas, et ces tas disséminés par centaines de mille sur les
vingt-six mille lieues carrées du territoire. Point de propriétaire, sauf la
nation, personnage indéterminé, qu’on ne voit pas ; entre le butin sans maître
et ses conquérants il n’y a d’autre barrière que les scellés, c’est-à-dire un
méchant morceau de papier, maintenu par deux cachets mal appliqués et vagues.
Notez aussi que les gardes du butin sont justement les sans-culottes qui l’ont
conquis, qu’ils sont pauvres, que cette profusion d’objets utiles ou précieux
leur fait mieux sentir le dénuement de leur intérieur, que leur femme a bien
envie de monter son ménage. D’ailleurs, et dès les premiers jours de la
Révolution, ne leur a-t-on point promis que « 40 000 hôtels, palais et châteaux,
les deux tiers des biens de la France, seraient le prix de la valeur » ? En ce moment même, est-ce que le
représentant en mission n’autorise pas leurs convoitises ? Ne voit-on pas
Albitte et Collot d’Herbois à Lyon, Fouché à Nevers, Javogues à Montbrison,
proclamer que les biens des
contre-révolutionnaires et le superflu des riches sont « le patrimoine des
sans-culottes » ?
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