Mes premières lectures sur
la Révolution étaient les Contes et récit de la Révolution Française ; la
lecture de Taine permet de réaliser à quel point nous avons été intoxiqués par
un récit historique pro-jacobin
Les premières cruautés inouïes
soit, point de vue positiviste, comment la métaphysique absolue des droits de l’homme
conduit à considérer l’adversaire politique comme un ennemi de l’Humanité
Le despotisme de la rue, tentative
de réaction par la formation de la Garde Nationale
Le moment fatal
est arrivé : ce n’est pas un
gouvernement qui tombe pour faire place à un autre, c’est tout gouvernement qui
cesse pour faire place au despotisme intermittent des pelotons que l’enthousiasme,
la crédulité, la misère et la crainte lanceront à l’aveugle et en avant. Le
lendemain 13, la capitale semble livrée à la dernière plèbe et aux bandits. Une
bande enfonce à coups de hache la porte des Lazaristes, brise la bibliothèque,
les armoires, les tableaux, les fenêtres, le cabinet de physique, se précipite
dans les caves, défonce les tonneaux et se soûle : vingt-quatre heures après,
on y trouva une trentaine de morts et de mourants, noyés dans le vin, hommes et
femmes, dont une enceinte de neuf mois. Devant la maison , la rue est pleine de
débris et de brigands qui tiennent à la main, les uns « des comestibles, les
autres un broc, forcent les passants à boire et versent à tout venant. Le vin
coule en talus dans le ruisseau, l’odorat en est frappé » ; c’est une kermesse.
Cependant on enlève le grain et les farines que les religieux étaient tenus par
édit d’avoir toujours en magasin, et on en conduit cinquante-deux voitures à la
Halle. Une autre troupe vient à la Force délivrer les prisonniers pour dettes ;
une troisième pénètre dans le Garde-Meuble, y enlève des armes et des armures
de prix. Des attroupements s’amassent devant l’hôtel de M. de Breteuil et le
Palais-Bourbon qu’on veut dévaster pour punir les propriétaires. M. de Crosne,
un des hommes les plus libéraux et les plus respectés de Paris, mais pour son
malheur lieutenant de police, est poursuivi, s’échappe à grand’peine, et son
hôtel est saccagé. – Pendant la nuit du 13 au 14, on pille des boutiques de
boulangers et de marchands de vin ; « des hommes de la plus vile populace,
armés de fusils, de broches et de piques, se font ouvrir les portes des
maisons, donner à boire, à manger, de l’argent et des armes ». Vagabonds,
déguenillés, plusieurs « presque nus », « la plupart armés comme des sauvages,
d’une physionomie effrayante », ils sont de ceux qu’on ne se souvient pas
d’avoir rencontrés au grand jour » ; beaucoup sont des étrangers, venus on ne
sait d’où . On dit qu’il y en a 50 000,
et ils se sont emparés des principaux postes….
Pendant ces deux
jours et ces deux nuits, dit Bailly, « Paris
courut risque d’être pillé, et ne fut sauvé des bandits que par la garde
nationale ». Déjà, en pleine rue, « des créatures arrachaient aux
citoyennes leurs boucles d’oreilles et de souliers », et les voleurs
commençaient à se donner carrière. – Heureusement la milice s’organise ; les
premiers habitants, des gentilshommes, s’y font inscrire ; 48 000 hommes se
forment en bataillons et en compagnies ; les bourgeois achètent aux vagabonds
leur fusil pour 3 livres, leur épée, sabre ou pistolet pour 12 sous. Enfin l’on
pend sur place quelques malfaiteurs, on en désarme beaucoup d’autres, et
l’insurrection redevient politique. – Mais, quel que soit son objet, elle reste
toujours folle, parce qu’elle est populaire. Son panégyriste Dusaulx avoue qu’il « a cru assister à la décomposition totale
de la société ». Point de chef, nulle direction. Les électeurs qui se sont
improvisés représentants de Paris semblent commander à la foule, et c’est la
foule qui leur commande. Pour sauver
l’Hôtel de Ville, l’un d’eux, Legrand, n’a d’autre ressource que de faire
apporter six barils de poudre et de déclarer aux envahisseurs qu’il va faire
tout sauter. Le commandant qu’ils ont choisi, M. de la Salle, a, pendant un
quart d’heure, vingt baïonnettes sur la poitrine, et, plus d’une fois, tout le
comité est près d’être massacré. l’enthousiasme, la crédulité, la misère et la
crainte lanceront à l’aveugle et en avant…
La prise de la Bastille
À la Bastille, de
dix heures du matin à cinq heures du soir, ils fusillent des murs hauts de
quarante pieds, épais de trente, et c’est par hasard qu’un de leurs coups
atteint sur les tours un invalide. On les ménage comme des enfants à qui l’on
tâche de faire le moins de mal possible : à
la première demande, le gouverneur fait retirer ses canons des embrasures ; il
fait jurer à la garnison de ne point tirer, si elle n’est attaquée ; il invite
à déjeuner la première députation ; il permet à l’envoyé de l’Hôtel de Ville de
visiter toute la forteresse ; il subit plusieurs décharges sans riposter, et
laisse emporter le premier pont sans brûler une amorce. S’il tire enfin,
c’est à la dernière extrémité, pour défendre le second pont, et après avoir
prévenu les assaillants qu’on va faire feu. Bref, sa longanimité, sa patience
sont excessives, conformes à l’humanité du temps. – Pour eux, ils sont affolés
par la sensation nouvelle de l’attaque et de la résistance, par l’odeur de la
poudre, par l’entraînement du combat ; ils ne savent que se ruer contre le
massif de pierres, et leurs expédients sont au niveau de leur tactique. Un
brasseur imagine d’incendier ce bloc de maçonnerie en lançant dessus avec des
pompes de l’huile d’aspic et d’œillette injectée de phosphore. Un jeune
charpentier, qui a des notions d’archéologie, propose de construire une
catapulte. Quelques-uns croient avoir saisi la fille du gouverneur et veulent
la brûler pour obliger le père à se rendre. D’autres mettent le feu à un
avant-corps de bâtiment rempli de paille et se bouchent ainsi le passage. « La Bastille n’a pas été prise de vive
force, disait le brave Élie, l’un des combattants ; elle s’est rendue avant
même d’avoir été attaquée », par capitulation, sur la promesse qu’il ne
serait fait de mal à personne. La garnison, trop bien garantie, n’avait
plus le cœur de tirer sans péril sur des corps vivants, et, d’autre part, elle
était troublée par la vue de la foule immense. Huit ou neuf cents hommes
seulement attaquaient, la plupart
ouvriers ou boutiquiers du faubourg, tailleurs, charrons, merciers, marchands
de vin, mêlés à des gardes françaises. Mais la place de la Bastille et toutes
les rues environnantes étaient combles de curieux qui venaient voir le spectacle
; parmi eux, dit un témoin , « nombre de femmes élégantes et de fort bon air,
qui avaient laissé leurs voitures à quelque distance…
Les premiers massacres- Launay, Flesselle
Élie, qui est entré le premier, Cholat,
Hullin, les braves qui sont en avant, les gardes françaises qui savent les lois
de la guerre, tâchent de tenir leur parole ; mais la foule
qui pousse par derrière ne sait qui frapper, et frappe à l’aventure. Elle
épargne les Suisses qui ont tiré sur elle et qui, dans leur sarrau bleu, lui
semblent des prisonniers. En revanche, elle s’acharne sur les invalides qui lui
ont ouvert la porte ; celui qui a empêché le gouverneur de faire sauter la
forteresse a le poignet abattu d’un coup de sabre, est percé de deux coups
d’épée, pendu, et sa main, qui a sauvé un quartier de Paris, est promenée dans
les rues en triomphe. On entraîne les officiers, on en tue cinq avec trois
soldats, en route ou sur place. Pendant les longues heures de la fusillade, l’instinct meurtrier s’est éveillé, et la
volonté de tuer, changée en idée fixe, s’est répandue au loin dans la foule qui
n’a pas agi. Sa seule clameur suffit à la persuader ; à présent, c’est
assez pour elle qu’un cri de haro ; dès que l’un frappe, tous veulent frapper…
J’arrivai enfin,
sous un cri général d’être pendu, jusqu’à quelques centaines de pas de l’Hôtel
de Ville, lorsqu’on apporta devant moi une tête perchée sur une pique, laquelle
on me présenta pour la considérer, en me disant que c’était celle de M. de
Launey », le gouverneur. – Celui-ci, en sortant, avait reçu un coup d’épée dans
l’épaule droite ; arrivé dans la rue Saint-Antoine, « tout le monde lui
arrachait les cheveux et lui donnait des coups ». Sous l’arcade Saint-Jean, il
était déjà « très-blessé ». Autour de lui, les uns disaient : « il faut lui
couper le cou », les autres : « il faut le pendre », les autres : « il faut
l’attacher à la queue d’un cheval ». Alors, désespéré et voulant abréger son
supplice, il crie : « qu’on me donne la mort », et, en se débattant, lance un
coup de pied dans le bas-ventre d’un des hommes qui le tenaient. À l’instant il
est percé de baïonnettes, on le traîne dans le ruisseau, on frappe sur son
cadavre en criant : « c’est un galeux et un monstre qui nous a trahis ; la nation demande sa tête pour la montrer
au public », et l’on invite l’homme qui a reçu le coup de pied à la couper
lui-même. – Celui-ci, cuisinier sans place, demi-badaud qui est « allé à la
Bastille pour voir ce qui s’y passait », juge que, puisque tel est l’avis
général, l’action est « patriotique » et croit même « mériter une médaille en
détruisant un monstre ». Avec un sabre qu’on lui prête, il frappe sur le col nu
; mais le sabre, mal affilé, ne coupant point, il tire de sa poche un petit
couteau à manche noir, et, comme, en sa qualité de cuisinier, il sait
travailler les viandes, il achève heureusement l’opération. Puis, mettant
la tête au bout d’une fourche à trois branches et accompagné de plus de deux
cents personnes armées, « sans compter la populace », il se met en marche, et,
rue Saint-Honoré, il fait attacher à la tête deux inscriptions pour bien
indiquer à qui elle était. — La gaieté vient : après avoir défilé dans le
Palais-Royal, le cortège arrive sur le pont Neuf ; devant la statue de Henri
IV, on incline trois fois la tête, en lui disant : « Salue ton maître »…
Cependant, au
Palais-Royal, d’autres gamins, qui, avec une légèreté de bavards, manient les
vies aussi librement que les paroles, ont dressé dans la nuit du 13 au 14 une
liste de proscription dont ils colportent les exemplaires ; ils prennent soin
d’en adresser un à chacune des personnes désignées, le comte d’Artois, le
maréchal de Broglie, le prince de Lambesc, le baron de Besenval, MM. de
Breteuil, Foullon, Bertier, Maury, d’Esprémenil, Lefèvre d’Amécourt, d’autres
encore , une récompense est promise à qui
apportera leurs têtes au café du Caveau. Voilà des noms pour la foule lâchée ;
il suffira maintenant qu’une bande rencontre l’homme dénoncé ; il ira jusqu’à
la lanterne du coin, mais non au delà. — Toute la journée du 14, le tribunal
improvisé siège en permanence, et achève ses arrêtés par ses actes. — M. de
Flesselles, prévôt des marchands et président des électeurs à l’Hôtel de Ville,
s’étant montré tiède , le Palais-Royal
le déclare traître, et l’envoie prendre ;
dans le trajet, un jeune homme l’abat d’un coup de pistolet, les autres
s’acharnent sur son corps, et sa tête, portée sur une pique, va rejoindre celle
de M. de Launey. — Des accusations aussi meurtrières et aussi proches de
l’exécution flottent dans l’air et de toutes parts. « Sous le moindre prétexte, dit un électeur, on nous dénonçait ceux que
l’on croyait contraires à la Révolution, ce qui signifiait déjà ennemis de
l’État. Sans autre examen, on ne parlait de rien moins que de saisir leurs
personnes, d’abîmer leurs maisons, de raser leurs hôtels. Un jeune homme
s’écria : Qu’à l’instant on me suive, et marchons chez Besenval » — Les
cerveaux sont si effarouchés et les esprits si défiants, qu’à chaque pas dans
la rue « il faut décliner son nom, déclarer sa profession, sa demeure et son
vœu.... On ne peut plus entrer dans Paris ou en sortir, sans être suspect de
trahison ».
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