La
Terreur Jacobine _ Les massacres extra judicaires : 500,000 dans les
départements de l’Ouest ; Le pillage généralisé et
la gabegie financière ; La répression touche aussi les classes populaires - l’opération
révolutionnaire est une coupe sombre, conduite à travers le peuple comme à
travers les autres classes ; L’élite intellectuelle spécialement visée
Les
massacres extra judicaires : 500,000 dans les départements de l’Ouest
De
ce dernier genre sont d’abord des fusillades de Toulon, où le nombre des
fusillés dépasse de beaucoup 1 000 ; les
grandes noyades de Nantes, où 4 800 hommes, femmes et enfants ont péri ; les autres noyades , pour lesquelles on ne peut fixer le chiffre
des morts ; ensuite, les innombrables meurtres populaires commis en France
depuis le 14 juillet 1789 jusqu’au 10 août 1792 ; le massacre de 1 300 détenus
à Paris en septembre 1792 ; la traînée d’assassinats qui, en juillet, août et
septembre 1792, s’étend sur tout le territoire ; enfin, l’égorgement des
prisonniers fusillés ou sabrés sans jugement à Lyon et dans l’Ouest. Même en
exceptant ceux qui sont morts en combattant et ceux qui, pris les armes à la
main, ont été fusillés ou sabrés tout de suite et sur place, on compte environ 10 000 personnes tuées sans jugement
dans la seule province d’Anjou ; aussi
bien les instructions du Comité de Salut public, les ordres écrits de
Francastel et Carrier, prescrivaient aux généraux de « saigner à blanc » le pays
insurgé , et de n’y épargner aucune vie
: on peut estimer que, dans les onze
départements de l’Ouest, le chiffre des morts de tout âge et des deux sexes
approche d’un demi-million . – À
considérer le programme et les principes de la secte jacobine, c’est peu : ils
auraient dû tuer bien davantage. Malheureusement, le temps leur a manqué ;
pendant la courte durée de leur règne, avec l’instrument qu’ils avaient en
main, ils ont fait ce qu’ils ont pu. Considérez cette machine, sa construction
graduelle et lente, les étapes successives de sa mise en jeu, depuis ses débuts
jusqu’au 9 Thermidor, et voyez pendant quelle brève période il lui a été donné
de fonctionner. Institués le 30 mars et le 6 avril 1793, les comités
révolutionnaires et le tribunal révolutionnaire n’ont guère travaillé que
dix-sept mois. Ils n’ont travaillé de toute leur force qu’après la chute des
Girondins, et surtout à partir de septembre 1793, c’est-à-dire pendant onze
mois. La machine n’a coordonné ses organes incohérents et n’a opéré avec
ensemble, sous l’impulsion du ressort central, qu’à partir de décembre 1793,
c’est-à-dire pendant huit mois. Perfectionnée par la loi du 22 prairial, elle
opère, pendant les deux derniers mois, bien plus et bien mieux qu’auparavant,
avec une rapidité et une énergie qui croissent de semaine en semaine.
–
A cette date et même avant cette date, les théoriciens du parti ont mesuré la
portée de leur doctrine et les conditions de leur entreprise. Étant des
sectaires, ils ont une foi ; or l’orthodoxie ne peut tolérer l’hérésie, et,
comme la conversion des hérétiques n’est jamais sincère ni durable, il faut supprimer les hérétiques, afin de
supprimer l’hérésie. « Il n’y a que les morts qui ne reviennent pas »,
disait Barère, le 16 messidor. Le 2 et le 3 thermidor , le Comité de Salut public envoie à
Fouquier-Tinville une liste de 478 accusés, avec ordre « de mettre à l’instant
les dénommés en jugement ». Déjà Baudot et Jeanbon Saint-André, Carrier,
Antonelle et Guffroy avaient évalué à plusieurs millions le nombre des vies
qu’il fallait trancher , et, selon Collot d’Herbois, qui avait parfois
l’imagination pittoresque, « la transpiration politique devait être assez
abondante pour ne s’arrêter qu’après la destruction de douze à quinze millions
de Français ».
Le pillage généralisé et
la gabegie financière
En
revanche, dans la quatrième et dernière partie de leur œuvre, ils sont allés
presque jusqu’au bout ; tout ce qu’on pouvait faire pour ruiner les individus,
les familles et même l’État, ils l’ont fait ; tout ce qu’on pouvait prendre,
ils l’ont pris. – De ce côté, la Constituante et la Législative avaient
commencé la besogne par l’abolition, sans indemnité, de la dîme et de tous les
droits féodaux, par la confiscation de toute la propriété ecclésiastique ;
cette besogne, les opérateurs jacobins la continuent et l’achèvent : on a vu
par quels décrets, avec quelle hostilité contre la propriété collective et
individuelle, soit qu’ils attribuent à l’État les biens de tous les corps
quelconques, même laïques, collèges, écoles, sociétés scientifiques ou
littéraires, hôpitaux et communes, soit qu’ils dépouillent les particuliers,
indirectement, par les assignats et le maximum, directement par l’emprunt
forcé, par les taxes révolutionnaires ,
par la saisie de l’or et de l’argent monnayé et de l’argenterie, par la réquisition
de toutes les choses utiles à la vie, par la séquestration des biens des
détenus, par la confiscation des biens des émigrés, des bannis, des déportés et
des condamnés à mort. – Pas un capital immobilier ni mobilier, pas un revenu en
argent ou en nature, quelle qu’en soit la source, bail, hypothèque ou créance
privée, pension ou titre sur les fonds publics, profits de l’industrie, de
l’agriculture ou du commerce, fruits de l’épargne ou du travail, depuis
l’approvisionnement du fermier, du négociant et du fabricant jusqu’aux
manteaux, habits, chemises et souliers, jusqu’au lit et à la chambre des
particuliers , rien n’échappe à leurs
mains rapaces : dans la campagne, ils enlèvent jusqu’aux grains réservés pour
la semence ; à Strasbourg et dans le Haut-Rhin, toutes les batteries de cuisine
; en Auvergne et ailleurs, jusqu’aux marmites des pâtres. Tout objet de valeur,
même s’il n’a pas d’emploi public, tombe sous le coup de la réquisition : par
exemple, le comité révolutionnaire de Bayonne
s’empare d’une quantité de basins et de mousselines, « sous prétexte
d’en faire des culottes pour les défenseurs de la patrie ». – Notez que souvent
les objets requis, même quand ils sont utiles, ne sont pas utilisés : entre
leur saisie et leur emploi, le gaspillage, le vol, la dépréciation et
l’anéantissement interviennent. À Strasbourg
, sur l’invitation menaçante des représentants en mission, les habitants
se sont déshabillés et, en quelques jours, ont apporté à la municipalité « 6
879 habits, culottes et vestes, 4 767 paires de bas, 16 921 paires de souliers,
863 paires de bottes, 1 351 manteaux, 20 518 chemises, 4 524 chapeaux, 523
paires de guêtres, 143 sacs de peau, 2 673 draps de lit, 900 couvertures, outre
29 quintaux de charpie, 21 quintaux de vieux linge et un grand nombre d’autres
objets ». Mais « la plupart de ces objets sont restés entassés dans les
magasins : une partie y a pourri, ou a été mangée par les rats ; on a abandonné
le reste au premier venu. Le but de spoliation était rempli ». – Perte sèche pour
les particuliers, profit nul ou minime pour l’État, tel est, en fin de compte,
le bilan net du gouvernement révolutionnaire. Après avoir mis la main sur les
trois cinquièmes des biens fonciers de France, après avoir arraché aux
communautés et aux particuliers dix à douze milliards de valeurs mobilières et
immobilières, après avoir porté, par les assignats et les mandats
territoriaux , la dette publique, qui n’était pas de 4 milliards en 1789, à plus de 50
milliards, ne pouvant plus payer ses employés, réduit, pour faire subsister
ses armées et pour vivre lui-même, aux contributions forcées qu’il lève sur les
peuples conquis, il aboutit à la
banqueroute, il répudie les deux tiers de sa dette, et son crédit est si bas
que ce dernier tiers consolidé, garanti à nouveau par lui, perd le lendemain 83
pour 100 : entre ses mains, l’État a souffert autant que les particuliers.
La répression touche aussi
les classes populaires
Sur
les listes de guillotinés, de détenus et d’émigrés, les hommes et les femmes de
condition inférieure sont en nombre immense, en plus grand nombre que leurs
compagnons de la classe supérieure et de la classe moyenne mises ensemble. Sur 12 000 condamnés à mort dont on a relevé la
qualité et la profession, on compte 7 545
paysans, laboureurs, garçons de charrue, ouvriers des différents
corps d’état, cabaretiers et marchands de vin, soldats et matelots,
domestiques, filles et femmes d’artisans, servantes et couturières. Sur 1 900
émigrés du Doubs, plus de 1 100 appartiennent au peuple. Vers le mois d’avril
1794, toutes les prisons de France s’emplissent de cultivateurs ; dans les seules prisons de Paris, deux
mois avant le 9 Thermidor, il y en avait 2 000
. Sans parler des onze départements de l’Ouest, où quatre à cinq cents
lieues carrées de territoire ont été dévastées, où vingt villes et dix-huit cents villages ont été détruits , où le but avoué de la politique jacobine
est l’anéantissement systématique et total du pays, bêtes et gens,
bâtiments, moissons, cultures et jusqu’aux arbres, il y a des cantons et même
des provinces où c’est toute la population rurale et ouvrière que l’on arrête
ou qui s’enfuit : dans les Pyrénées, les vieilles peuplades basques, «
arrachées à leur sol natal, entassées dans les églises, sans autres
subsistances que celles de la charité », au cœur de l’hiver, si bien que 1 600
détenus meurent, « la plupart de froid et de faim » ; à Bédouin, ville de 2 000 âmes, où des
inconnus ont abattu l’arbre de la Liberté, quatre cent trente-trois maisons
démolies ou incendiées, seize guillotinés, quarante-sept fusillés, tous les
autres habitants expulsés, réduits à vivre « en vagabonds dans la montagne et à
s’abriter dans des cavernes qu’ils creusent en terre » ; en Alsace, 50 000 cultivateurs qui,
pendant l’hiver de 1793, se sauvent, avec femmes et enfants, au-delà du
Rhin . – Bref l’opération révolutionnaire est une coupe sombre, conduite à
travers le peuple comme à travers les autres classes, à travers le taillis
comme à travers la futaie, souvent de manière à faire place nette et à raser
jusqu’aux plus bas buissons.
L’élite intellectuelle
spécialement visée
Mais,
dans cette coupe à blanc étau, les notables du peuple, proportion gardée, ont
plus à souffrir que les simples gens du peuple, et, manifestement, le bûcheron
jacobin s’acharne, avec insistance et choix, sur les vétérans du travail et de
l’épargne, sur les gros fermiers qui, de père en fils et depuis plusieurs
générations, tiennent la même ferme, sur les ouvriers-patrons qui ont un
atelier bien monté et une bonne clientèle, sur les boutiquiers estimés et
achalandés qui n’ont pas de dettes, sur les syndics de village et de métier ;
car ils portent tous, plus profondément et plus visiblement que les autres gens
de leur classe, les cinq ou six marques qui appellent la hache. – Ils sont plus
à leur aise, mieux fournis des choses nécessaires ou commodes, et cela seul est
un délit contre l’égalité…
Robespierre,...
avec un art atroce, déchirait, calomniait, abreuvait de dégoûts et d’amertumes
tous ceux qui s’étaient livrés à de grandes études, tous ceux qui possédaient
des connaissances étendues ;... il sentait que jamais les hommes instruits ne
fléchiraient le genou devant lui... On a paralysé l’instruction, on a voulu
brûler les bibliothèques... Faut-il vous dire qu’à la porte même de vos séances
on met partout des fautes d’orthographe ? On n’apprend plus à lire et à écrire.
» — A Nantes, Carrier se glorifiait d’avoir « dispersé les chambres littéraires
», et, dans son dénombrement des malintentionnés, il ajoute, « aux négociants
et aux riches », « les gens d’esprit ».
Parfois, sur les registres d’écrou, on lit qu’un tel est détenu « pour avoir de
l’esprit et des moyens de nuire », un tel « pour avoir dit aux municipaux :
Bonjour, Messieurs ». – C’est que la
politesse, comme les autres marques d’une bonne éducation, est devenue un
stigmate : le savoir-vivre est considéré, non seulement comme un reste de
l’ancien régime, mais comme une révolte contre les institutions nouvelles ; on
s’insurge contre le régime établi quand on répugne à la camaraderie brutale,
aux jurons familiers, aux locutions ordurières de l’ouvrier et du soldat. – Au
total, le jacobinisme, par ses doctrines et ses actes, par ses cachots et ses bourreaux,
crie à la nation qu’il tient sous sa férule
: « Sois grossière, pour devenir républicaine ;…
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