Hypocrisie et habileté de Robespierre :
Que les bons citoyens viennent nous forcer à mettre en état d’arrestation les
députés infidèles. 31 Mai 1793 : Sous la menace de l’émeute et des canons
de Henriot, la Convention cède, s’automutile et livre les vingt deux Girondins.
La conquête Jacobine est achevée.
Hypocrisie
de Robespierre : Que les bons citoyens viennent nous forcer à mettre en
état d’arrestation les députés infidèles
Tout cela est
excessif, maladroit, inutile, dangereux, ou du moins prématuré, et les chefs de
la Montagne, Danton, Robespierre, Marat lui-même, mieux informés et moins
bornés, comprennent qu’un massacre brut
révolterait les départements déjà à demi soulevés . Il ne faut pas casser l’instrument
législatif, mais l’employer : on se servira de lui pour pratiquer sur lui la
mutilation requise : de cette façon, l’opération aura de loin une apparence
légale, et, sous le décor des phrases ordinaires, pourra être imposée aux provinciaux. Dès le 3 avril , aux Jacobins, Robespierre, toujours
circonspect et décent, a d’avance défini et limité l’émeute prochaine. « Que les bons citoyens, dit-il, se
réunissent dans leurs sections et viennent nous forcer à mettre en état
d’arrestation les députés infidèles. » Rien de plus mesuré, et, si l’on se
reporte aux principes, rien de plus correct. Le peuple garde toujours le droit
de collaborer avec ses mandataires, et déjà, dans les tribunes, c’est ce qu’il
fait tous les jours. Par une précaution suprême et qui le peint bien , Robespierre refuse d’intervenir davantage.
« Je suis incapable de prescrire au peuple les moyens de se sauver ; cela n’est
pas donné à un seul homme ; cela n’est pas donné à moi qui suis épuisé par quatre
ans de révolution et par le spectacle déchirant du triomphe de la tyrannie,...
à moi qui suis consumé par une fièvre lente et surtout par la fièvre du
patriotisme. J’ai dit ; il ne me reste pas d’autre devoir à remplir en ce
moment. »
31 Mai 1793 : La Convention s’automutile
et livre les vingt deux Girondins. La conquête Jacobine est achevée
C’est un drame
tragi-comique, en trois actes, dont chacun s’achève par un coup de théâtre
toujours le même et toujours prévu : un des principaux machinistes, Legendre, a
pris soin de l’annoncer d’avance. « Si la chose dure plus longtemps, dit-il aux
Cordeliers , si la Montagne est plus
longtemps impuissante, j’appelle le peuple et je dis aux tribunes : Descendez
ici délibérer avec nous. » Pour commencer, le 27 mai, à propos de l’arrestation
d’Hébert et consorts, la Montagne, appuyée par les galeries, fait rage . Vainement la majorité s’est prononcée et se
prononce à plusieurs reprises. « S’il y a cent bons citoyens, dit Danton, nous
résisterons. — Président, crie Marat
à Isnard, vous êtes un tyran, un
infâme tyran. – Je demande, dit Couthon, que le président soit cassé. – A
l’Abbaye le président ! » – La Montagne
a décidé qu’il ne présidera pas ; elle descend de ses bancs et court sur lui, elle
parle de « l’assassiner », elle brise sa voix à force de vociférations,
elle l’oblige à quitter son fauteuil, de lassitude et d’épuisement ; elle
chasse de même Boyer-Fonfrède, qui lui succède, et finit par mettre au fauteuil
un de ses complices, Hérault de Séchelles. — Cependant, à l’entrée de la
Convention, « les consignes ont été violées, » une multitude de gens armés « se
sont répandus dans les couloirs et obstruent toutes les avenues » ; les députés
Meillan, Chiappe et Lidon, ayant voulu sortir, sont arrêtés, on met à Lidon «
le sabre sur la poitrine », et les
meneurs du dedans excitent, protègent, justifient leurs affidés du dehors. –
Avec son audace ordinaire, Marat, apprenant que le commandant Raffet fait
évacuer les couloirs, vient à lui « un pistolet à la main et le met en état
d’arrestation » : car il faut respecter
le peuple, le droit sacré de pétition et les pétitionnaires. Il y en a « cinq
ou six cents, presque tous en armes »,
qui depuis trois heures stationnent aux portes de la salle ; au dernier moment,
deux autres troupes, envoyées par les Gravilliers et par la Croix-Rouge,
viennent leur apporter l’afflux final. Ainsi accrus, ils débordent au-delà des
bancs qui leur sont assignés, se répandent dans la salle, se mêlent aux députés
qui siègent encore. Il est plus de minuit ; nombre de représentants, excédés de
fatigue et de dégoût, sont partis ; Pétion, La Source et quelques autres, qui
veulent rentrer, « ne peuvent percer la foule menaçante ». Par compensation et
à la place des absents, les pétitionnaires, s’érigeant eux-mêmes en
représentants de la France, votent avec la Montagne, et le président jacobin,
loin de les renvoyer, les invite lui-même « à écarter tous les obstacles qui
s’opposent au bien du peuple ». Dans cette foule gesticulante, sous le
demi-jour des lampes fumeuses, au milieu du tintamarre des tribunes, on
n’entend pas bien quelle motion est mise aux voix ; on distingue mal qui reste
assis ou qui se lève ; et deux décrets passent ou semblent passer, l’un qui
élargit Hébert et ses complices, l’autre qui casse la commission des Douze . Aussitôt des messagers, qui attendaient
l’issue, courent porter la bonne nouvelle à l’Hôtel de Ville, et la Commune
célèbre son triomphe..
Mais le lendemain, malgré les terreurs de
l’appel nominal et les fureurs de la Montagne, la majorité, par un retour
défensif, révoque le décret qui la désarme, et un décret
nouveau maintient la commission des Douze. L’opération est donc à refaire… Il s’agit
d’invoquer contre les droits dérivés et provisoires du gouvernement établi le
droit supérieur et inaliénable du peuple, et de substituer
aux autorités légales, qui par nature sont bornées, le pouvoir révolutionnaire,
qui par essence est absolu. À cet effet, la section de la Cité, sous la
vice-présidence de Maillard le
septembriseur, invite les quarante-sept autres à nommer chacune deux
commissaires munis de « pouvoirs illimités ». Dans trente-trois sections,
purgées, terrifiées ou désertées, les Jacobins, seuls ou presque seuls , élisent les plus déterminés de leur bande,
notamment des étrangers et des drôles, en tout soixante-six commissaires qui,
le 29 au soir, s’assemblent à l’Évêché
et choisissent neuf d’entre eux, pour composer, sous la présidence de
Dobsent, un comité central et
révolutionnaire d’exécution….
Cependant la
Commune, traînant derrière elle le simulacre de l’unanimité populaire, assiège
la Convention de pétitions multipliées et menaçantes. Comme au 27 mai, les pétitionnaires
envahissent la salle et « se confondent fraternellement avec les membres du
côté gauche ». Aussitôt, sur la motion de Levasseur, la Montagne, sachant que «
sa place sera bien gardée », la quitte et passe au côté droit . Envahi à son tour, le côté droit refuse de
délibérer ; Vergniaud demande que « l’Assemblée aille se joindre à la force
armée qui est sur la place et se mette sous sa protection » ; il sort avec ses
amis, et la majorité décapitée retombe dans ses hésitations ordinaires…
Pendant sept heures d’horloge, la
Convention reste aux arrêts, et, lorsqu’elle a décrété l’éloignement
de la force armée qui l’assiège, Henriot
répond à l’huissier chargé de lui notifier le décret : « Dis à ton f...
président que je me f... de lui et de son Assemblée, et que si dans une heure
elle ne me livre pas les Vingt-Deux, je la fais foudroyer . »
Dans la salle, la
majorité, abandonnée par ses guides reconnus et par ses orateurs préférés,
faiblit d’heure en heure. Brissot, Pétion, Guadet, Gensonné, Buzot,
Salle, Grangeneuve, d’autres encore, les deux tiers des Vingt-Deux, retenus par
leurs amis, sont restés chez eux .
Vergniaud, qui est venu, se tait, puis s’en va ; probablement, la Montagne, qui
gagne à son absence, a levé pour lui la consigne. Quatre autres Girondins qui
restent à l’Assemblée jusqu’à la fin, Isnard, Dusaulx, Lanthenas et Fauchet,
consentent à se démettre ; quand les généraux rendent leur épée, les soldats ne
tardent pas à rendre les armes. Seul Lanjuinais, qui n’est pas Girondin, mais
catholique et Breton, parle en homme contre l’attentat que subit la
représentation nationale ; on lui court sus, il est assailli à la tribune ; le
boucher Legendre, faisant de ses deux
bras « le geste du merlin », lui crie : « Descends ou je t’assomme » ; un
groupe de Montagnards s’élance pour aider Legendre, on porte à Lanjuinais un
pistolet sur la gorge ; il a beau
persévérer, se cramponner à la tribune, autour de lui, dans son parti, les
volontés défaillent.
– A ce moment, Barère, l’homme aux expédients,
propose à la Convention de lever la séance et d’aller délibérer « au milieu de
la force armée qui la protégera ».
Faute de mieux, la majorité s’accroche à ce dernier débris d’espérance. Elle se
lève, malgré les cris des tribunes, descend le grand escalier et arrive jusqu’à
l’entrée du Carrousel, Là, le président montagnard, Hérault de Séchelles, lit à Henriot le décret qui lui enjoint de se
retirer et, correctement, officiellement, lui fait les sommations d’usage. Mais
quantité de Montagnards ont suivi la majorité et sont là pour encourager
l’insurrection ; Danton serre la main de
Henriot et lui dit à voix basse : « Va toujours ton train, n’aie pas peur,
nous voulons constater que l’Assemblée est libre ; tiens bon . » Sur ce mot, le grand escogriffe à panache
retrouve son assurance, et, de sa voix avinée, dit au président : « Hérault, le
peuple ne s’est pas levé pour écouter des phrases. Tu es un bon patriote ;... promets-tu, sur ta tête, que les Vingt-Deux
seront livrés dans vingt-quatre heures ? – Non. – En ce cas, je ne réponds
de rien. Aux armes, canonniers, à vos pièces ! »
Les canonniers
prennent leurs mèches allumées, « la cavalerie tire le sabre, et l’infanterie
couche en joue les députés ». –
Repoussée de ce côté, la malheureuse Convention tourne à gauche, traverse le
passage voûté, suit la grande allée du jardin, avance jusqu’au pont Tournant
pour trouver une issue. Point d’issue : le pont Tournant est levé ; partout la
barrière de piques et de baïonnettes reste impénétrable ; on crie autour des
députés : « Vive la Montagne ! vive Marat ! A la guillotine Brissot, Vergniaud,
Guadet, Gensonné ! Purgez le mauvais sang ! » et la Convention, pareille à un troupeau de moutons, tourne en vain dans
son enclos fermé. Alors, pour les faire rentrer au bercail, comme un chien
de garde aboyant, de toute la vitesse de ses courtes jambes, Marat accourt,
suivi de sa troupe de polissons déguenillés, et crie : « Que les députés
fidèles retournent à leur poste ! » Machinalement, la tête basse, ils reviennent…
Pour surveiller et
hâter leur besogne, des sans-culottes, la baïonnette au bout du fusil,
gesticulent et menacent du haut des galeries. Au dehors, au dedans, la
nécessité, de sa main de fer, les a saisis et les serre à la gorge. Silence
morne. On voit le paralytique Couthon se soulever de son banc : ses amis le portent
à bras jusqu’à la tribune ; ami intime de Robespierre, c’est un personnage
important et grave ; il s’assoit, et, de sa voix douce : « Citoyens, tous les
membres de la Convention doivent être maintenant rassurés sur leur liberté.... Maintenant vous reconnaissez que, dans vos
délibérations, vous êtes libres . »
– Voilà le mot final de la comédie ; il n’y en a pas d’égal, même dans Molière.
– Aux
applaudissements des galeries, le cul-de-jatte sentimental conclut en demandant
que l’on mette en arrestation les
Vingt-Deux, les Douze, les ministres Clavière et Lebrun. Nul ne combat sa
motion..Sauf une cinquantaine de membres de la droite qui se lèvent pour
les Girondins, la Montagne, accrue des insurgés ou amateurs qui fraternellement
siègent avec elle, vote seule et rend enfin le décret. – A présent que la Convention s’est mutilée elle-même, elle est matée
pour toujours, et va devenir une machine de gouvernement au service d’une
clique ; la conquête jacobine est
achevée, et, sous la main des conquérants, le grand jeu de la guillotine
peut commencer.
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