Important et magistral :
la bourgeoisie lasse
de l’anarchie, veut la fin de Révolution. ; en langage jacobin, elle fait
scission avec le peuple. La dénonciation de la tactique jacobine par André Chénier :
douze cents succursales d’émeutes. La guerre pour attiser la peur artificielle
du retour d’un ordre ancien dont personne ne voulait et que quelques émigrés ne
menaçaient pas. Derrière la guerre étrangère, les jacobins préparent la guerre
civile, la guerre des piques. Les piques termineront la Révolution
La rupture entre la bourgeoise et
la Révolution : La bourgeoisie, fait scission avec le peuple
Il était dur en tout lieu pour les familles de vieille bourgeoisie, pour
les anciens notables de chaque ville ou bourgade, pour les principaux de chaque
art, profession ou métier, pour les gens aisés et considérés, bref pour la
majorité des hommes qui avaient sur la tête un bon toit et sur le dos un bon
habit, de subir la domination illégale
d’une plèbe conduite par quelques centaines ou douzaines de déclamateurs et de
boutefeux. – Déjà, au commencement de 1792, le mécontentement était si
visible, qu’on le dénonçait à la tribune et dans la presse. Isnard tonnait contre « cette infinité de gros
propriétaires, de riches négociants, d’hommes opulents et orgueilleux qui,
placés avantageusement dans l’amphithéâtre des conditions sociales, ne veulent
pas qu’on en déplace les sièges ». – « La
bourgeoisie, écrivait Pétion , cette
classe nombreuse et aisée, fait scission avec le peuple ; elle se place
au-dessus de lui,... il est le seul objet de sa défiance. Une idée la poursuit
partout : c’est qu’à présent la révolution est la guerre de ceux qui ont contre
ceux qui n’ont pas. »
– Effectivement, elle s’abstenait aux élections, elle refusait de
fréquenter les sociétés patriotiques, elle réclamait le rétablissement de
l’ordre et le règne de la loi ; elle ralliait autour d’elle « la multitude
des gens modérés et timides pour qui la tranquillité est le premier besoin »,
et surtout, ce qui était plus grave, elle imputait les troubles aux auteurs des
troubles.
La dénonciation d’André Chénier :
douze cents succursales d’émeutes
Avec une indignation contenue et une force de preuves irrésistible, un
homme de cœur, André Chénier, sortait de
la foule muette, et, publiquement, ôtait aux Jacobins leur masque . Il perçait à jour le sophisme quotidien par
lequel un attroupement, « quelques centaines d’oisifs réunis dans un jardin ou
dans un spectacle étaient effrontément
appelés le peuple ». Il peignait ces « deux ou trois mille usurpateurs de
la souveraineté nationale enivrés chaque jour par leurs orateurs et leurs
écrivains d’un encens plus grossier que l’adulation offerte aux pires despotes
» ; ces assemblées où un « infiniment petit nombre de Français paraissent un
grand nombre parce qu’ils sont réunis et qu’ils crient » ; ce club de Paris
d’où les honnêtes gens laborieux et instruits se sont retirés un à un, pour
faire place aux intrigants endettés, aux gens tarés, aux hypocrites de
patriotisme, aux amateurs de bruit, aux talents avortés, aux cerveaux avariés,
aux déclassés de tout ordre et de toute
espèce qui, n’ayant su faire leurs affaires privées, se dédommagent sur les
affaires publiques. Il montrait, autour de la manufacture centrale, douze cents
succursales d’émeutes, douze cents sociétés affiliées, qui, « se tenant par la
main, forment une sorte de chaîne électrique autour de la France » et la
secouent à toute impulsion partie du centre ; leur confédération installée et
intronisée, non pas seulement comme un État dans l’État, mais comme un État
souverain dans un État vassal ; des administrations mandées à leur barre, des
arrêts de justice cassés par leur intervention, des particuliers visités,
taxés, condamnés par leur arbitraire ; l’apologie incessante et systématique de
l’insubordination et de la révolte ; « sous le nom d’accaparements et de
monopoles, le commerce et l’industrie représentés comme des délits » ; toute
propriété ébranlée, tout riche suspect, « les talents et la probité réduits au
silence » ; bref une conjuration
publique contre la société au nom de la société même, et « l’effigie sainte de
la liberté employée à sceller » l’impunité de quelques tyrans.
Une pareille protestation disait tout haut ce que la plupart des Français
murmuraient tout bas, et de mois en mois des excès plus graves soulevaient une
réprobation plus forte. « L’anarchie existe à un degré presque sans exemple,
écrivait l’ambassadeur des Etats-Unis .
Telles sont l’horreur et l’appréhension universellement inspirées par les
sociétés licencieuses, qu’il y a quelque raison de croire que la grande masse de la population française
regarderait le despotisme lui-même comme un bienfait, s’il était accompagné de
cette sécurité des personnes et des propriétés que l’on possède sous les
plus mauvais gouvernements de l’Europe. »
La guerre nécessaire pour
entretenir la peur du retour de l’ordre ancien
Tout au rebours avec la guerre : incontinent la face des choses change, et
l’alternative se déplace. Il ne s’agit
plus de choisir entre l’ordre et le désordre, mais entre le nouveau régime et
l’ancien, car derrière les étrangers on aperçoit les émigrés à la frontière.
L’ébranlement est terrible, surtout dans la couche profonde qui jadis portait
seule presque tout le poids du vieil édifice, parmi les millions d’hommes qui
vivent péniblement du travail de leurs bras, artisans, petits cultivateurs,
métayers, manœuvres, soldats, et aussi contrebandiers : faux-sauniers,
braconniers, vagabonds, mendiants et demi-mendiants, qui, taxés, dépouillés,
rudoyés depuis des siècles subissaient, de père en fils, la misère,
l’oppression et le dédain. Ils savent, par leur expérience propre, la
différence de leur condition récente et de leur condition présente. Ils n’ont
qu’à se souvenir pour revoir en imagination l’énormité des taxes royales,
ecclésiastiques et seigneuriales, les 81
pour 100 d’impôt direct, les garnisaires, les saisies et les corvées,
l’inquisition du gabelou, du rat de cave et du garde-chasse, les ravages du
gibier et du colombier, l’arbitraire du collecteur et du commis, la lenteur et
la partialité de la justice, la précipitation et la brutalité de la police, les
coups de balai de la maréchaussée, les misérables ramassés comme un tas de boue
et d’ordures, la promiscuité, l’encombrement, la pourriture et le jeûne des
maisons d’arrêt . Ils n’ont qu’à ouvrir
les yeux pour voir l’immensité de leur délivrance, toutes les taxes directes ou
indirectes abolies en droit ou supprimées en fait depuis trois ans, la bière à
deux sous le pot, le vin à six sous la pinte, les pigeons dans leur
garde-manger, le gibier à la broche, le bois des forêts nationales dans leur
grenier, la gendarmerie timide, la police absente, en beaucoup d’endroits toute
la récolte pour eux, le propriétaire n’osant réclamer sa part, le juge évitant de
les condamner…
Ochlocratie contre démocratie :
derrière la guerre nationale, les Jacobins préparent la guerre civile (la
guerre des piques)
Telle est la brute colossale que les Girondins introduisent dans l’arène
politique ; pendant six mois, ils
agitent devant elle des drapeaux rouges, ils l’aiguillonnent, ils
l’effarouchent, ils la poussent, à coups de décrets et de proclamations, contre
leurs adversaires et contre ses gardiens, contre la noblesse et le clergé,
contre les aristocrates de l’intérieur, complices de Coblentz, contre le «
comité autrichien », complice de l’Autriche, contre le roi, dont ils
transforment la prudence en trahison, contre le gouvernement tout entier,
auquel ils imputent l’anarchie qu’ils fomentent et la guerre dont ils sont les
provocateurs.
Ainsi surexcitée et tournée, il
ne manque plus à la plèbe qu’un signe de ralliement et des armes : tout de suite ils lui fournissent ces armes et ce signe de ralliement.
Par une coïncidence frappante et qui montre bien un plan concerté , ils ont mis en branle du même coup trois
machines politiques. Au moment juste où,
par leurs rodomontades voulues, ils rendaient la guerre inévitable, ils ont
arboré la livrée populaire, et ils ont armé les indigents. Presque dans la même
semaine, à la fin de janvier 1792, ils ont signifié à l’Autriche leur ultimatum
à délai fixe, adopté le bonnet de laine rouge et commencé la fabrication des
piques. — Manifestement, en rase campagne, contre une armée régulière et des
canons, ces piques ne peuvent servir ; c’est donc à l’intérieur et dans les
villes qu’elles doivent trouver leur emploi. Que le garde national aisé qui
paye son uniforme, que le citoyen actif, privilégié par ses 3 francs de
contribution directe, ait son fusil ; l’ouvrier du port, le portefaix de la
halle, le compagnon qui loge en garni, le citoyen passif que sa pauvreté exclut
du vote, aura sa pique et, en ce temps d’insurrections, un bulletin de vote ne
vaut pas une bonne pique maniée par des bras nus. — A présent, le magistrat en
écharpe peut préparer toutes les sommations qu’il voudra : on les lui fera
rentrer dans la gorge, et, de peur qu’il n’en ignore, on l’avertit d’avance. « Les piques ont commencé la révolution ; les
piques l’achèveront . » – « Ah !
disent les habitués du jardin des Tuileries, si les bons patriotes du Champ de
Mars en avaient eu de pareilles, les habits bleus (les gardes de La Fayette)
n’auraient pas eu si beau jeu ! » – « On les portera partout où seront les
ennemis du peuple, au Château s’ils y sont. » Elles feront tomber le veto et
passer les bons décrets de l’Assemblée nationale. À cet effet, le faubourg
Saint-Antoine offre les siennes, et, pour bien en marquer l’emploi, il se
plaint de ce que « l’on cherche à
substituer l’aristocratie de la richesse au pouvoir de la naissance » : il
réclame « des mesures sévères contre les scélérats hypocrites qui égorgent le
peuple, la Constitution à la main » ; il déclare que « les rois, les ministres
et la liste civile passeront, mais que les droits de l’homme, la souveraineté
nationale et les piques ne passeront pas » ; et, par l’organe de son président,
l’Assemblée nationale remercie les pétitionnaires « des avis que leur zèle les
engage à lui donner ». – Entre les meneurs de l’Assemblée et la populace à
piques, la partie est liée contre les riches, contre les constitutionnels,
contre le gouvernement, et désormais, à côté des Girondins marchent les
Jacobins extrêmes, les uns et les autres réconciliés pour l’attaque, sauf à
différer après la victoire…
Les plus vils
agents, les perturbateurs de profession, les brigands, les fanatiques, les
scélérats de tout ordre, les indigents hardis et armés qui, en front de
bandière », marchent à l’assaut des propriétés et au « sac universel », bref
les barbares de la ville et de la campagne, « voilà leur armée commune, et ils
ne la laissent pas un jour dans l’inaction ». – Sous leur usurpation
universelle, concertée et grandissante, toute
la substance du pouvoir fond aux mains des autorités légales ; peu à peu elles
sont réduites à l’état de simulacres vains, et, d’un bout à l’autre de la
France, bien avant l’écroulement final, en province comme à Paris, la faction, au nom des dangers publics,
substitue le gouvernement de la force au gouvernement de la loi.
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