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mardi 15 août 2017

Taine _ La Révolution- La conquête jacobine_64_ le 10 août – Prise de pouvoir des massacreurs

Ce 10 août qu’on a peine à concevoir. Les prisonniers suisse massacrés, l’Assemblée législative aux mains des jacobins. Paris au main des Jacobins, entre majorité indifférentes et vrais patriotes partis à l’armée : « par ce départ des braves et par cette inertie du troupeau, Paris appartient aux fanatiques de la populac». Les leaders jacobins, entre fanatisme et pègre.

« On a peine à concevoir, dit La Fayette (Mémoires, I, 454), comment la minorité jacobine et une poignée de prétendus Marseillais se sont rendus maîtres de Paris, tandis que la presque totalité des 40 000 citoyens de la garde nationale voulait la Constitution. »

Massacre des Suisses prisonniers - Fin de l’Assemblée législative – reddition totale aux Jacobins

La triste Assemblée, devenue girondine par sa mutilation récente, fait quelques vains efforts pour enrayer, pour maintenir, comme elle vient de le jurer, « les autorités constituées   », à tout le moins pour mettre Louis XVI dans le palais du Luxembourg, pour nommer un gouverneur au dauphin, pour conserver provisoirement les ministres en exercice, pour sauver les prisonniers et les passants. Aussi captive et presque aussi déchue que le roi lui-même, elle n’est plus qu’une chambre d’enregistrement des volontés populaires, et, dès le matin, elle a pu voir le cas que la plèbe armée fait de ses décrets. Dès le matin, on tuait à sa porte, au mépris de ses sauvegardes expresses ; à huit heures, Suleau et trois autres, arrachés de son corps de garde, ont été sabrés sous ses fenêtres. Dans l’après-midi, soixante ou quatre-vingts Suisses désarmés qui restaient encore dans l’église des Feuillants sont emmenés à l’Hôtel de Ville et, avant d’arriver, massacrés sur la place de Grève. Un autre détachement, conduit à la section du Roule, y est égorgé de même  . Le commandant de gendarmerie Carle, appelé hors de l’Assemblée, est assassiné sur la place Vendôme, et sa tête promenée au bout d’une pique. Le fondateur de l’ancien club monarchique, M. de Clermont-Tonnerre, retiré depuis deux ans des affaires publiques et passant tranquillement dans la rue, est reconnu, traîné dans le ruisseau et mis en pièces. – Après de tels avertissements, l’Assemblée n’a plus qu’à obéir en couvrant, selon son usage, sa soumission sous de grands mots. Si le comité dictatorial qui s’est imposé à l’Hôtel de Ville daigne encore la maintenir en place, c’est par une investiture nouvelle  , et en lui déclarant qu’elle ne doit pas se mêler de ce qu’il fait ou fera. Qu’elle se renferme dans son office, celui de rendre les décrets dont la faction a besoin ; et, comme les fruits d’un arbre rudement secoué, ces décrets précipités tombent coup sur coup, par jonchées, dans les mains qui les attendent   : suspension du roi, convocation d’une Convention nationale, les électeurs et les éligibles affranchis de tout cens, une indemnité aux électeurs qui se déplacent, la tenue des assemblées livrée à l’arbitraire des électeurs  , destitution et arrestation des derniers ministres, Servan, Clavière et Roland remis en place, Danton au ministère de la justice, la Commune usurpatrice reconnue, Santerre confirmé dans son nouveau grade, les municipalités chargées de la police de sûreté générale, l’arrestation des suspects confiée à tout citoyen de bonne volonté  , les visites domiciliaires prescrites pour la recherche des munitions et des armes  , tous les juges de paix de Paris soumis à la réélection de leurs justiciables, tous les officiers de la gendarmerie soumis à la réélection de leurs soldats  , trente sous par jour aux Marseillais à partir de leur arrivée, une cour martiale contre les Suisses, un tribunal de justice expéditive contre les vaincus du 10 août, et quantité d’autres décrets d’une portée plus vaste : la suspension des commissaires chargés près des tribunaux civils et criminels de requérir l’exécution des lois  , l’élargissement de tous les accusés ou condamnés pour insubordination militaire, pour délits de presse et pour pillage de grains  , le partage des biens communaux  , la confiscation et la mise en vente des biens des émigrés  , l’internement de leurs pères, mères, femmes et enfants, le bannissement ou la déportation des ecclésiastiques insermentés  , l’établissement du divorce facile, à deux mois d’échéance et sur la requête d’un seul époux  , bref toutes les mesures qui peuvent ébranler la propriété, dissoudre la famille, persécuter la conscience, suspendre la loi, pervertir la justice, réhabiliter le crime, et livrer les magistratures, les commandements, le choix de la future assemblée omnipotente, bref la chose publique, à l’autocratie de la minorité violente, qui, ayant tout osé pour prendre la dictature, osera tout pour la garder.

Vie normale de la majorité des Parisiens., entre les vrais patriotes partis à la frontières et les clubs Jacobins

Arrêtons-nous un instant pour contempler la grande cité et ses nouveaux rois. — De loin, Paris semble un club de 700 000 énergumènes qui vocifèrent et délibèrent sur les places publiques ; de près, il n’en est rien. La vase, en remontant, est devenue la surface et communique sa couleur au fleuve ; mais le fleuve humain coule dans son lit ordinaire, et, sous ce trouble extérieur, demeure à peu près le même qu’auparavant. C’est une ville de gens pareils à nous, administrés, affairés et qui s’amusent : pour la très grande majorité, même en temps de révolution, la vie privée, trop compliquée et trop absorbante, ne laisse qu’une place minime à la vie publique. Par routine et par nécessité, la fabrication, l’étalage, la vente, l’achat, les écritures, les métiers et les professions vont toujours leur train courant. Le commis est à son bureau, l’ouvrier à son atelier, l’artisan à son échoppe, le marchand à sa boutique, l’homme de cabinet à ses papiers, le fonctionnaire à son service   ; avant tout, ils sont préoccupés de leur besogne, de leur pain quotidien, de leurs échéances, de leur avancement, de leur famille et de leurs plaisirs ; pour y pourvoir, la journée n’est pas trop longue. La politique n’en détourne que des quarts d’heure, et encore à titre de curiosité, comme un drame qu’ils applaudissent ou sifflent de leur place, sans monter eux-mêmes sur les planches. – « La déclaration de la patrie en danger, disent des témoins oculaires  , n’a rien changé à la physionomie de Paris. Mêmes amusements, mêmes bruits... Les spectacles sont pleins, comme de coutume ; les cabarets, les lieux de divertissement, regorgent de peuple, de gardes nationales, de soldats... Le beau monde fait des parties de plaisir. » — Le lendemain du décret, la cérémonie, si bien machinée, ne produit qu’un effet très mince. « La garde nationale du cortège, écrit un journaliste patriote  , est la première à donner l’exemple de la distraction et même de l’ennui » ; elle est excédée de veilles et de patrouilles ; probablement elle se dit qu’à force de parader pour la nation, on n’a plus le temps de travailler pour soi. — Quelques jours après, sur ce grand public indifférent et lassé, le manifeste du duc de Brunswick « ne produit aucune espèce de sensation ; on en rit ; il n’est connu que des journaux et de ceux qui les lisent... Le peuple ne le connaît point... Personne ne redoute la coalition ni les troupes étrangères   ». — Le 10 août, « hors le théâtre du combat, tout est tranquille dans Paris ; on s’y promène, on cause dans les rues comme à l’ordinaire   ». – Le 19 août, l’Anglais Moore   voit avec étonnement la foule insouciante qui remplit les Champs-Élysées, les divertissements, l’air de fête, le nombre infini des petites boutiques où l’on vend des rafraîchissements avec accompagnement de chansons et de musique, la quantité de pantomimes et de marionnettes…
Telle est la froideur ou la tiédeur de la grosse masse égoïste, occupée ailleurs, et toujours passive sous ses gouvernements, quels qu’ils soient, vrai troupeau qui les laisse faire, pourvu qu’ils ne l’empêchent pas de brouter et folâtrer à son aise. – Quant aux hommes de cœur qui aiment la patrie, ils sont encore moins gênants ; car ils sont partis ou partent, quelquefois au taux de 1 000 et même de 2 000 par jour, 10 000 dans la dernière semaine de juillet  , 15 000 dans la première quinzaine de septembre  , en tout peut-être 40 000 volontaires fournis par la capitale seule et qui, avec leurs pareils en nombre proportionné fournis par les départements, seront le salut de la France. – Par ce départ des braves et par cette inertie du troupeau, Paris appartient aux fanatiques de la populace. « Ce sont les sans-culottes, écrivait le patriote Palloy, c’est la crapule et la canaille de Paris, et je me fais gloire d’être de cette classe, qui a vaincu les soi-disant honnêtes gens  .

Les leaders Jacobins, entre fanatisme et pègre

Plus alarmés, plus infatués et plus despotes encore, leurs conducteurs n’ont pas de scrupules qui les retiennent ; car les plus notables sont des hommes tarés, et ce sont justement ceux-ci qui entraînent les autres ou agissent seuls. Des trois chefs de l’ancienne municipalité, le maire, Pétion, annulé en fait et honoré en paroles, est écarté et conservé comme un vieux décor. Quant aux deux autres qui restent actifs et en fonctions, Manuel  , le procureur-syndic, fils d’un portier, bohème emphatique et sans talent, a volé dans un dépôt public, falsifié et vendu à son profit la correspondance privée de Mirabeau. Le substitut de Manuel, Danton  , par une double infidélité, a reçu l’argent du roi pour empêcher l’émeute et s’en est servi pour la lancer. — Varlet, « cet extraordinaire déclamateur, a mené une vie si sale et si prodigue, que sa mère en est morte de chagrin ; ensuite il a mangé le reste, et présentement il n’a plus rien   ». – D’autres ont manqué non seulement à l’honneur, mais à la probité vulgaire. Carra, qui a siégé dans le directoire secret des fédérés et rédigé le plan de l’émeute, a été condamné par le tribunal de Mâcon à deux ans d’emprisonnement pour vol avec effraction  . Westermann, qui conduisait la colonne d’assaut, a volé un plat d’argent armorié chez Jean Creux, restaurateur rue des Poulies, et a été expulsé deux fois de Paris pour escroqueries  . Panis  , le chef du comité de surveillance, a été chassé pour vol, en 1774, du Trésor, où son oncle était sous-caissier. Son collègue Sergent va s’approprier « trois montres d’or, une agate montée en bague et autres bijoux » dans un dépôt dont il était gardien  . Pour le comité tout entier, « les bris de scellés, fausses déclarations, infidélités », détournements sont choses familières : entre ses mains, des tas d’argenterie et 1 100 000 francs en or vont disparaître  . – Parmi les membres de la nouvelle Commune, le président Huguenin, commis aux barrières, est un concussionnaire éhonté  . Rossignol, compagnon orfèvre, impliqué dans un assassinat, est en ce moment même sous le coup de poursuites judiciaires  . Hébert, le sac à ordures du journalisme, ancien contrôleur de contre marques, a été renvoyé des Variétés pour filouterie  . Parmi les hommes d’exécution, Fournier l’Américain, Lazowski, Maillard, sont non seulement des massacreurs, mais des voleurs  , et, à côté d’eux, s’élève le futur général de la garde nationale parisienne, Henriot, d’abord domestique chez un procureur, qui l’a chassé pour vol, puis garde de la ferme et de là aussi expulsé pour vol, ensuite espion de police et encore enfermé pour vol à Bicêtre, enfin chef de bataillon et l’un des exécuteurs de septembre

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