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mardi 15 août 2017

Taine _ La Révolution- La conquête jacobine_63_ le 10 août et l’abdication du Roi- un massacre inutile

Comment les Girondins sont dépassés et les futurs montagnards imposent la purgation complète de l’Assemblée ; la manipulation des sections, la formation de la Commune insurrectionnelle et le renversement de la Commune légale ; meurtte de Mandat ; l’Assemblée et le Roi renoncent à se défendre, sans éviter le massacre.

La purgation complète de l’Assemblée- , le corps législatif, réduit à 224 Jacobins

l’Assemblée, se sentant abandonnée, s’abandonne, et, pour tout expédient, avec une faiblesse ou une naïveté qui peint bien les législateurs de l’époque, elle adopte une adresse philosophique, « une instruction au peuple sur l’exercice de sa souveraineté ».
Dès le lendemain, elle peut voir comment il l’exerce. À sept heures du matin, un député jacobin qui arrive en fiacre s’arrête devant la porte des Feuillants ; on s’attroupe autour de lui, il dit son nom, Delmas. La foule entend Dumas, constitutionnel notoire ; furieuse, elle l’arrache du fiacre, le frappe ; il était perdu, si d’autres députés, accourant, n’avaient certifié qu’il était le patriote Delmas de Toulouse, et non « le traître Mathieu Dumas »  . – Celui-ci n’insiste pas pour entrer, et trouve sur la place Vendôme un second avertissement non moins instructif. Des misérables, suivis de la canaille ordinaire, y promenaient des têtes sur des piques, probablement celles du journaliste Suleau et de trois autres, massacrés un quart d’heure auparavant ; « de très jeunes gens, des enfants jouaient avec ces têtes, les jetant en l’air et les recevant au bout de leurs bâtons ». – Sans contredit, les députés de la droite et même du centre feront prudemment de rester ou de rentrer chez eux ; et, de fait, on ne les voit plus à l’Assemblée  . Dans l’après-midi, sur 630 membres encore présents l’avant-veille, 346 ne répondront point à l’appel nominal, et auparavant une trentaine d’autres s’étaient déjà retirés ou démis  . La purgation est complète, pareille à celle que Cromwell en 1648 fit subir au Long-Parlement. Désormais, le corps législatif, réduit à 224 Jacobins ou Girondins et à 60 neutres effrayés ou dociles, obéira sans difficulté aux injonctions de la rue : avec sa composition, son esprit a changé ; il n’est plus qu’un instrument servile aux mains des séditieux qui l’ont mutilé et qui, maîtres de lui par un premier méfait, vont se servir de lui pour légaliser leurs autres attentats.

La manipulation des sections jacobines

Dans la nuit du 9 au 10 août, leur gouvernement s’est constitué pour agir, et il s’est constitué comme il agira, par la violence et par la fraude. – Vainement ils ont travaillé et fatigué les sections depuis quinze jours ; elles ne leur sont pas encore soumises, et à l’heure dite, onze heures du soir, sur quarante-huit, il ne s’en trouve que six assez échauffées ou épurées pour envoyer tout de suite à l’Hôtel de Ville leurs commissaires munis de pleins pouvoirs. Les autres suivront ; mais la majorité demeure inerte ou récalcitrante  . – Il faut donc la tromper ou la contraindre, et pour cela l’obscurité, l’heure avancée, le désordre, la peur du lendemain, l’indétermination de l’œuvre à faire sont des auxiliaires précieux. En beaucoup de sections  , la séance est déjà levée ou désertée ; il ne reste dans la salle que les membres du bureau permanent et peut-être quelques hommes endormis sur des bancs presque vides. Arrive un émissaire des sections insurgées, avec les affidés du quartier, criant qu’il faut sauver la patrie : les dormeurs ouvrent les yeux, s’étirent, lèvent la main et nomment qui on leur désigne, parfois des étrangers, des inconnus, qui seront désavoués le lendemain par la section rassemblée ; point de procès-verbal, ni de scrutin ; cela est plus prompt : à l’Arsenal, les six électeurs présents choisissent trois d’entre eux pour représenter 1 400 citoyens actifs. Ailleurs, la cohue des mégères, des gens sans aveu et des tapageurs nocturnes envahit la salle, chasse les amis de l’ordre, et emporte les nominations voulues  . D’autres sections consentent à élire, mais sans donner de pleins pouvoirs ; plusieurs font des réserves expresses, stipulent que leurs délégués agiront de concert avec la municipalité légale, se défient du futur comité, déclarent d’avance qu’elles ne lui obéiront pas ; quelques-unes ne nomment leurs commissaires que pour être informées et manifestent en même temps l’intention très nette d’arrêter l’émeute  . Enfin, vingt sections au moins s’abstiennent ou désapprouvent et n’envoient pas de délégués. – Peu importe, on se passera d’elles. À trois heures du matin, dix-neuf sections, à sept heures du matin vingt-quatre ou vingt-cinq sections   sont représentées tellement quellement à l’Hôtel de Ville, et cela fait un comité central : du moins, rien n’empêche plus soixante-dix ou quatre-vingts intrigants et casse-cou subalternes, qui s’y sont faufilés ou poussés, de se dire les délégués légitimes, extraordinaires, plénipotentiaires de toute la population parisienne  et d’opérer en conséquence.

La Commune insurrectionnelle prend la place de la Commune légale- Meurtre de Mandat

 – À peine installés sous la présidence d’Huguenin, avec Tallien pour secrétaire, ils ont appelé à eux « vingt-cinq hommes armés par section », cinq cents gaillards solides qui leur serviront de gardes et d’exécuteurs. – Contre une pareille bande, le conseil municipal qui siège dans la salle voisine est bien faible : d’ailleurs ses membres les plus modérés et les plus fermes, éloignés à dessein, sont en mission à l’Assemblée, au château, dans les différents quartiers ; enfin ses tribunes regorgent de figures patibulaires, d’aboyeurs apostés, et il délibère sous des menaces de mort — C’est pourquoi, à mesure que la nuit s’avance, entre les deux assemblées, l’une légale, l’autre illégale, qui siègent ensemble et en face l’une de l’autre comme sur les deux plateaux d’une balance, on voit l’équilibre se rompre. D’un côté la lassitude, la peur, le découragement et la désertion, de l’autre côté le nombre, l’audace, la force et l’usurpation vont croissant. À la longue, la seconde arrache à la première tous les arrêtés dont elle a besoin pour lancer l’insurrection et paralyser la défense. – Pour achever, vers les six heures du matin, le comité intrus suspend, au nom du peuple, le conseil légitime, l’expulse, et s’installe sur ses fauteuils.
Tout de suite le premier acte des nouveaux souverains indique ce qu’ils savent faire. Appelé à l’Hôtel de Ville, le commandant général de la garde nationale, Mandat, était venu justifier devant le conseil ses dispositions et ses ordres. Ils le saisissent, l’interrogent à leur tour, le destituent, nomment Santerre à sa place et, pour tirer plein profit de leur capture, somment leur prisonnier de faire retirer la moitié des troupes qu’il a placées autour du château. Très noblement et sachant à quoi il s’expose dans ce coupe-gorge, celui-ci refuse ; aussitôt on le met en prison, puis on l’expédie à l’Abbaye, « pour sa plus grande sûreté ». Sur ce mot significatif prononcé par Danton , il est tué, à la sortie, par un acolyte de Danton, Rossignol, d’un coup de pistolet à bout portant. – Après la tragédie, la comédie. Sur les instances redoublées de Pétion, qui ne veut pas être requis contre l’émeute  , on lui envoie une garde de 400 hommes, pour le consigner chez lui, en apparence malgré lui. – Ainsi abritée d’un côté par la trahison et de l’autre par l’assassinat, l’émeute peut maintenant passer en pleine sécurité, devant le gros tartufe qui se plaint solennellement de sa captivité volontaire, et devant le cadavre au front fracassé qui gît sur le perron de l’Hôtel de Ville. Sur la rive droite, les bataillons du faubourg Saint-Antoine, sur la rive gauche les bataillons du faubourg Saint-Marcel, les Bretons et les Marseillais, se mettent en marche et avancent aussi librement qu’à la parade. Les mesures de défense ont été déconcertées par le meurtre du commandant général et par la duplicité du maire : nulle résistance aux endroits gardés…

L’abdication, le Roi renonce à se défendre mais n’évite pas le massacre

Si le roi eût voulu combattre, il pouvait encore se défendre, se sauver et même vaincre. – Dans les Tuileries, 950 Suisses et 200 gentilshommes étaient prêts à se faire tuer pour lui jusqu’au dernier. Autour des Tuileries, deux ou trois mille gardes nationaux, l’élite de la population parisienne, venaient de crier sur son passage   : « Vive le roi ! vive Louis XVI ! C’est lui qui est notre roi, nous n’en voulons pas d’autre, nous le voulons ! À bas les factieux ! à bas les Jacobins ! Nous le défendrons jusqu’à la mort ! qu’il se mette à notre tête ! Vive la nation, la loi, la Constitution et le roi, tout cela ne fait qu’un ! » Si les canonniers s’étaient tus et semblaient mal disposés  , il n’y avait qu’à les désarmer brusquement et à mettre leurs pièces entre des mains fidèles. Quatre mille fusils et onze canons, abrités par les murailles des cours et par l’épaisse maçonnerie du palais, auraient eu aisément raison des neuf ou dix mille Jacobins de Paris, la plupart piquiers, mal conduits par des chefs de bataillon improvisés ou récalcitrants  , et encore plus mal dirigés par leur nouveau général Santerre qui, toujours prudent, se tenait loin des coups à l’Hôtel de Ville. Il n’y avait de ferme sur le Carrousel que les huit cents Brestois et Marseillais ; le reste était une tourbe pareille à celle du 14 juillet, du 5 octobre, du 20 juin  . « Le château, dit Napoléon Bonaparte, était attaqué par la plus vile canaille », par les émeutiers de profession, par la bande de Maillard, par la bande de Lazowski, par la bande de Fournier, par la bande de Théroigne, par tous les assassins de la veille, du jour, du lendemain, et, comme l’événement le prouva, la première décharge eût dispersé des combattants de cette espèce. – Mais, chez les gouvernants comme chez les gouvernés, la notion de l’État s’était perdue, chez les uns par l’humanité érigée en devoir, chez les autres par l’insubordination érigée en droit…
Partout les magistrats oubliaient que le maintien de la société et de la civilisation est un bien infiniment supérieur à la vie d’une poignée de malfaiteurs et de fous, que l’objet primordial du gouvernement, comme de la gendarmerie, est la préservation de l’ordre par la force, qu’un gendarme n’est pas un philanthrope, que, s’il est assailli à son poste, il doit faire usage de son sabre et qu’il manque à sa consigne lorsqu’il rengaine de peur de faire mal aux agresseurs…
Cette fois encore, dans la cour du Carrousel, les magistrats présents trouvent « leur responsabilité insupportable » ; ils ne songent qu’à « éviter l’effusion du sang » ; c’est à regret et en avouant leur regret, d’une voix altérée », qu’ils lisent aux troupes la loi martiale . Ils leur « défendent d’attaquer », ils les « autorisent seulement à repousser la force par la force » ; en d’autres termes, ils leur commandent de supporter le premier feu : « Vous ne tirerez qu’autant qu’on tirerait sur vous. » – Bien mieux, ils vont de peloton en peloton, « disant tout haut que ce serait folie de vouloir s’opposer à un rassemblement aussi considérable et aussi bien armé, et que ce serait un bien grand malheur que de le tenter ». – « Je vous le répète, disait Leroux, il me parait insensé de songer à se défendre ». – Voilà comment, pendant une heure, ils encouragent la garde nationale. « Je vous demande seulement, dit encore Leroux, de tenir encore quelque temps ; j’espère que nous déterminerons le roi à se rendre à l’Assemblée nationale. » – Toujours la même tactique : livrer la forteresse et le général plutôt que de tirer sur l’émeute. À cet effet, ils remontent et, Rœderer en tête, ils redoublent d’instances auprès du roi. « Sire, dit Rœderer, le temps presse, et nous vous demandons la permission de vous entraîner. » – Pendant quelques minutes, les dernières et les plus solennelles de la monarchie, celui-ci hésite  . Probablement son bon sens aperçoit que la retraite est une abdication : mais son intelligence flegmatique n’en démêle pas tout d’abord toutes les conséquences ; d’ailleurs son optimisme n’a jamais sondé l’immensité de la bêtise populaire et les profondeurs de la méchanceté humaine : il ne peut pas imaginer que la calomnie transformera en volonté de verser le sang sa volonté de ne pas verser le sang  . De plus, il est engagé par son passé, par son habitude de céder toujours, par son parti pris, déclaré et soutenu depuis trois ans, de ne jamais faire la guerre civile, par son humanité obstinée, et surtout par sa mansuétude religieuse. Systématiquement, il a éteint en lui l’instinct animal de résistance, l’étincelle de colère qui s’allume en chacun de nous sous l’agression injuste et brutale ; le chrétien a supplanté le roi ; il ne sait plus que son devoir est d’être homme d’épée, qu’en se livrant il livre l’État, et qu’en se résignant comme un mouton il mène avec lui tous les honnêtes gens à la boucherie. – « Allons, dit-il en levant la main droite, donnons, puisqu’il le faut encore, cette dernière marque de dévouement  . » Accompagné de sa famille et de ses ministres, il se met en marche entre deux haies de gardes nationaux et de Suisses  , arrive à l’Assemblée qui a député au-devant de lui, et dit en entrant : « Je suis venu ici pour éviter un grand crime. » –

 En effet, tout prétexte de conflit est écarté. Du côté des insurgés, l’assaut n’a plus d’objet, puisque le monarque avec tous les siens et tout son personnel de gouvernement a quitté le château. De l’autre côté, ce n’est pas la garnison qui engagera le combat : diminuée de 150 Suisses et de presque tous les grenadiers des Filles-Saint-Thomas qui ont servi d’escorte au roi jusqu’à l’Assemblée, elle est réduite à quelques gentilshommes, à 750 Suisses, à une centaine de gardes nationaux ; les autres, apprenant que le roi s’en va, jugent leur service fini et se dispersent…

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