Comment les Girondins sont dépassés et les
futurs montagnards imposent la purgation complète de l’Assemblée ; la manipulation
des sections, la formation de la Commune insurrectionnelle et le renversement
de la Commune légale ; meurtte de Mandat ; l’Assemblée et le Roi renoncent à se
défendre, sans éviter le massacre.
La purgation complète de l’Assemblée-
, le corps
législatif, réduit à 224 Jacobins
l’Assemblée, se sentant abandonnée, s’abandonne, et, pour tout expédient,
avec une faiblesse ou une naïveté qui peint bien les législateurs de l’époque,
elle adopte une adresse philosophique, « une instruction au peuple sur
l’exercice de sa souveraineté ».
Dès le lendemain, elle peut voir comment il l’exerce. À sept heures du
matin, un député jacobin qui arrive en fiacre s’arrête devant la porte des
Feuillants ; on s’attroupe autour de lui, il dit son nom, Delmas. La foule
entend Dumas, constitutionnel notoire ; furieuse, elle l’arrache du fiacre, le
frappe ; il était perdu, si d’autres députés, accourant, n’avaient certifié
qu’il était le patriote Delmas de Toulouse, et non « le traître Mathieu Dumas
» . – Celui-ci n’insiste pas pour
entrer, et trouve sur la place Vendôme un second avertissement non moins
instructif. Des misérables, suivis de la canaille ordinaire, y promenaient des
têtes sur des piques, probablement celles du journaliste Suleau et de trois
autres, massacrés un quart d’heure auparavant ; « de très jeunes gens, des
enfants jouaient avec ces têtes, les jetant en l’air et les recevant au bout de
leurs bâtons ». – Sans contredit, les députés de la droite et même du centre
feront prudemment de rester ou de rentrer chez eux ; et, de fait, on ne les
voit plus à l’Assemblée . Dans l’après-midi, sur 630 membres encore
présents l’avant-veille, 346 ne répondront point à l’appel nominal, et
auparavant une trentaine d’autres s’étaient déjà retirés ou démis . La
purgation est complète, pareille à celle que Cromwell en 1648 fit subir au
Long-Parlement. Désormais, le corps
législatif, réduit à 224 Jacobins ou Girondins et à 60 neutres effrayés ou
dociles, obéira sans difficulté aux
injonctions de la rue : avec sa composition, son esprit a changé ; il n’est
plus qu’un instrument servile aux mains des séditieux qui l’ont mutilé et qui,
maîtres de lui par un premier méfait, vont se servir de lui pour légaliser
leurs autres attentats.
La manipulation des sections
jacobines
Dans la nuit du 9 au 10 août,
leur gouvernement s’est constitué pour agir, et il s’est constitué comme il
agira, par la violence et par la fraude. – Vainement ils ont
travaillé et fatigué les sections depuis quinze jours ; elles ne leur sont pas
encore soumises, et à l’heure dite, onze heures du soir, sur quarante-huit, il ne
s’en trouve que six assez échauffées ou épurées pour envoyer tout de suite à
l’Hôtel de Ville leurs commissaires munis de pleins pouvoirs. Les autres
suivront ; mais la majorité demeure inerte ou récalcitrante . – Il faut donc la tromper ou la contraindre,
et pour cela l’obscurité, l’heure avancée, le désordre, la peur du lendemain,
l’indétermination de l’œuvre à faire sont des auxiliaires précieux. En beaucoup
de sections , la séance est déjà levée
ou désertée ; il ne reste dans la salle que les membres du bureau permanent et
peut-être quelques hommes endormis sur des bancs presque vides. Arrive un
émissaire des sections insurgées, avec les affidés du quartier, criant qu’il
faut sauver la patrie : les dormeurs ouvrent les yeux, s’étirent, lèvent la main
et nomment qui on leur désigne, parfois des étrangers, des inconnus, qui seront
désavoués le lendemain par la section rassemblée ; point de procès-verbal, ni de scrutin ; cela est plus prompt : à
l’Arsenal, les six électeurs présents choisissent trois d’entre eux pour
représenter 1 400 citoyens actifs. Ailleurs, la cohue des mégères, des gens
sans aveu et des tapageurs nocturnes envahit la salle, chasse les amis de
l’ordre, et emporte les nominations voulues
. D’autres sections consentent à
élire, mais sans donner de pleins pouvoirs ; plusieurs font des réserves
expresses, stipulent que leurs délégués agiront de concert avec la municipalité
légale, se défient du futur comité, déclarent d’avance qu’elles ne lui obéiront
pas ; quelques-unes ne nomment leurs commissaires que pour être informées et
manifestent en même temps l’intention très nette d’arrêter l’émeute . Enfin, vingt sections au moins
s’abstiennent ou désapprouvent et n’envoient pas de délégués. – Peu importe, on
se passera d’elles. À trois heures du
matin, dix-neuf sections, à sept heures du matin vingt-quatre ou vingt-cinq
sections sont représentées
tellement quellement à l’Hôtel de Ville, et cela fait un comité central : du
moins, rien n’empêche plus soixante-dix ou quatre-vingts intrigants et
casse-cou subalternes, qui s’y sont faufilés ou poussés, de se dire les délégués légitimes, extraordinaires,
plénipotentiaires de toute la population parisienne et d’opérer en conséquence.
La Commune insurrectionnelle
prend la place de la Commune légale- Meurtre de Mandat
– À peine installés sous la
présidence d’Huguenin, avec Tallien pour secrétaire, ils ont appelé à eux «
vingt-cinq hommes armés par section », cinq cents gaillards solides qui leur
serviront de gardes et d’exécuteurs. – Contre une pareille bande, le conseil municipal qui siège dans la
salle voisine est bien faible : d’ailleurs ses membres les plus modérés et
les plus fermes, éloignés à dessein, sont en mission à l’Assemblée, au château,
dans les différents quartiers ; enfin ses tribunes regorgent de figures
patibulaires, d’aboyeurs apostés, et il délibère sous des menaces de mort — C’est pourquoi, à mesure que la nuit
s’avance, entre les deux assemblées, l’une légale, l’autre illégale, qui
siègent ensemble et en face l’une de l’autre comme sur les deux plateaux d’une
balance, on voit l’équilibre se rompre. D’un côté la lassitude, la peur, le
découragement et la désertion, de l’autre côté le nombre, l’audace, la force et
l’usurpation vont croissant. À la longue, la seconde arrache à la première tous
les arrêtés dont elle a besoin pour lancer l’insurrection et paralyser la
défense. – Pour achever, vers les six
heures du matin, le comité intrus suspend, au nom du peuple, le conseil
légitime, l’expulse, et s’installe sur ses fauteuils.
Tout de suite le premier acte des nouveaux souverains indique ce qu’ils
savent faire. Appelé à l’Hôtel de Ville, le
commandant général de la garde nationale, Mandat, était venu justifier
devant le conseil ses dispositions et ses ordres. Ils le saisissent, l’interrogent
à leur tour, le destituent, nomment Santerre à sa place et, pour tirer plein
profit de leur capture, somment leur prisonnier de faire retirer la moitié des
troupes qu’il a placées autour du château. Très noblement et sachant à quoi il
s’expose dans ce coupe-gorge, celui-ci refuse ; aussitôt on le met en prison, puis on l’expédie à l’Abbaye, « pour sa plus
grande sûreté ». Sur ce mot significatif prononcé par Danton , il est tué, à la
sortie, par un acolyte de Danton, Rossignol, d’un coup de pistolet à bout
portant. – Après la tragédie, la comédie. Sur les instances redoublées de Pétion, qui ne veut pas être requis contre
l’émeute , on lui envoie une garde
de 400 hommes, pour le consigner chez
lui, en apparence malgré lui. – Ainsi abritée d’un côté par la trahison et
de l’autre par l’assassinat, l’émeute peut maintenant passer en pleine
sécurité, devant le gros tartufe qui se plaint solennellement de sa captivité
volontaire, et devant le cadavre au front fracassé qui gît sur le perron de
l’Hôtel de Ville. Sur la rive droite, les bataillons du faubourg Saint-Antoine,
sur la rive gauche les bataillons du faubourg Saint-Marcel, les Bretons et les
Marseillais, se mettent en marche et avancent aussi librement qu’à la parade.
Les mesures de défense ont été déconcertées par le meurtre du commandant
général et par la duplicité du maire : nulle résistance aux endroits gardés…
L’abdication, le Roi renonce à se
défendre mais n’évite pas le massacre
Si le roi eût voulu combattre, il pouvait encore se défendre, se sauver et
même vaincre. – Dans les Tuileries, 950 Suisses et 200 gentilshommes étaient
prêts à se faire tuer pour lui jusqu’au dernier. Autour des Tuileries, deux ou trois mille gardes nationaux,
l’élite de la population parisienne, venaient de crier sur son passage : « Vive le roi ! vive Louis XVI ! C’est lui
qui est notre roi, nous n’en voulons pas d’autre, nous le voulons ! À bas les
factieux ! à bas les Jacobins ! Nous le défendrons jusqu’à la mort ! qu’il
se mette à notre tête ! Vive la nation, la loi, la Constitution et le roi, tout
cela ne fait qu’un ! » Si les canonniers s’étaient tus et semblaient mal
disposés , il n’y avait qu’à les
désarmer brusquement et à mettre leurs pièces entre des mains fidèles. Quatre mille fusils et onze canons,
abrités par les murailles des cours et par l’épaisse maçonnerie du palais,
auraient eu aisément raison des neuf ou dix mille Jacobins de Paris, la plupart
piquiers, mal conduits par des chefs de bataillon improvisés ou
récalcitrants , et encore plus mal
dirigés par leur nouveau général Santerre qui, toujours prudent, se tenait loin
des coups à l’Hôtel de Ville. Il n’y avait de ferme sur le Carrousel que les
huit cents Brestois et Marseillais ; le reste était une tourbe pareille à celle
du 14 juillet, du 5 octobre, du 20 juin
. « Le château, dit Napoléon Bonaparte, était attaqué par la plus vile
canaille », par les émeutiers de profession, par la bande de Maillard, par la
bande de Lazowski, par la bande de Fournier, par la bande de Théroigne, par
tous les assassins de la veille, du jour, du lendemain, et, comme l’événement
le prouva, la première décharge eût dispersé des combattants de cette espèce. –
Mais, chez les gouvernants comme chez les gouvernés, la notion de l’État
s’était perdue, chez les uns par l’humanité érigée en devoir, chez les autres
par l’insubordination érigée en droit…
Partout les magistrats oubliaient que le maintien de la société et de la
civilisation est un bien infiniment supérieur à la vie d’une poignée de
malfaiteurs et de fous, que l’objet primordial du gouvernement, comme de la
gendarmerie, est la préservation de l’ordre par la force, qu’un gendarme n’est
pas un philanthrope, que, s’il est assailli à son poste, il doit faire usage de
son sabre et qu’il manque à sa consigne lorsqu’il rengaine de peur de faire mal
aux agresseurs…
Cette fois encore, dans la cour du Carrousel, les magistrats présents trouvent « leur responsabilité insupportable
» ; ils ne songent qu’à « éviter l’effusion du sang » ; c’est à regret et en
avouant leur regret, d’une voix altérée », qu’ils lisent aux troupes la loi
martiale . Ils leur « défendent d’attaquer », ils les « autorisent seulement à
repousser la force par la force » ; en d’autres termes, ils leur commandent de
supporter le premier feu : « Vous ne tirerez qu’autant qu’on tirerait sur vous.
» – Bien mieux, ils vont de peloton en peloton, « disant tout haut que ce
serait folie de vouloir s’opposer à un rassemblement aussi considérable et
aussi bien armé, et que ce serait un bien grand malheur que de le tenter ». – «
Je vous le répète, disait Leroux, il me
parait insensé de songer à se défendre ». – Voilà comment, pendant une heure,
ils encouragent la garde nationale. « Je vous demande seulement, dit encore
Leroux, de tenir encore quelque temps ; j’espère que nous déterminerons le roi
à se rendre à l’Assemblée nationale. » – Toujours la même tactique : livrer la
forteresse et le général plutôt que de tirer sur l’émeute. À cet effet, ils
remontent et, Rœderer en tête, ils redoublent d’instances auprès du roi. «
Sire, dit Rœderer, le temps presse, et nous vous demandons la permission de vous
entraîner. » – Pendant quelques minutes, les dernières et les plus solennelles
de la monarchie, celui-ci hésite .
Probablement son bon sens aperçoit que la retraite est une abdication : mais
son intelligence flegmatique n’en démêle pas tout d’abord toutes les
conséquences ; d’ailleurs son optimisme n’a jamais sondé l’immensité de la
bêtise populaire et les profondeurs de la méchanceté humaine : il ne peut pas imaginer que la calomnie
transformera en volonté de verser le sang sa volonté de ne pas verser le sang . De plus, il est engagé par son passé, par
son habitude de céder toujours, par son parti pris, déclaré et soutenu depuis
trois ans, de ne jamais faire la guerre civile, par son humanité obstinée, et
surtout par sa mansuétude religieuse. Systématiquement, il a éteint en lui
l’instinct animal de résistance, l’étincelle de colère qui s’allume en chacun
de nous sous l’agression injuste et brutale ; le chrétien a supplanté le roi ; il ne sait plus que son devoir est
d’être homme d’épée, qu’en se livrant il livre l’État, et qu’en se résignant
comme un mouton il mène avec lui tous les honnêtes gens à la boucherie. – «
Allons, dit-il en levant la main droite, donnons, puisqu’il le faut encore,
cette dernière marque de dévouement . »
Accompagné de sa famille et de ses ministres, il se met en marche entre deux
haies de gardes nationaux et de Suisses
, arrive à l’Assemblée qui a député au-devant de lui, et dit en entrant
: « Je suis venu ici pour éviter un
grand crime. » –
En effet, tout prétexte de conflit
est écarté. Du côté des insurgés, l’assaut n’a plus d’objet, puisque le
monarque avec tous les siens et tout son personnel de gouvernement a quitté le
château. De l’autre côté, ce n’est pas la garnison qui engagera le combat :
diminuée de 150 Suisses et de presque tous les grenadiers des
Filles-Saint-Thomas qui ont servi d’escorte au roi jusqu’à l’Assemblée, elle
est réduite à quelques gentilshommes, à 750 Suisses, à une centaine de gardes
nationaux ; les autres, apprenant que le roi s’en va, jugent leur service fini
et se dispersent…
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